Le plan d’investissement présenté, au nom de la Commission européenne, par son nouveau président, Jean-Claude Juncker, rappelle le projet de grands travaux proposé par Jacques Delors en 1993 dans un Livre blanc. A l’époque, raconte l’ancien président de la Commission européenne dans ses Mémoires, « deux éléments-chocs » modifiaient le paysage : la nouvelle révolution technologique et l’accélération des phénomènes d’interdépendance dans le mouvement de mondialisation.
Les gouvernements se rendaient compte, explique-t-il, que des activités industrielles leur échappaient parce que, à qualité égale, on pouvait produire beaucoup moins cher ailleurs. Quant à l’interdépendance des économies, elle avait « un visage amer, celui des pertes d’emploi et des licenciements ». Les grands travaux devaient aider à lutter contre le « chômage massif », devenu « le talon d’Achille des sociétés européennes ».
Un nouvel instrument financier
Le sombre constat établi par Jacques Delors reste largement d’actualité en 2014. La question est de savoir si le programme défini par Jean-Claude Juncker peut réussir là où celui de son lointain prédécesseur a échoué, faute du soutien des Etats membres. Les temps ont changé, répond-on à la Commission, et surtout le dispositif proposé n’est pas le même. La contribution des Etats n’est pas obligatoire, même si elle est souhaitée.
Le Fonds européen pour les investissements stratégiques, nouvel instrument financier créé au sein de la Banque européenne d’investissement (BEI), sera doté d’un capital de 21 milliards d’euros, venu, pour 16 milliards, du budget communautaire sous la forme d’une garantie et, pour 5 milliards, de la BEI. Celle-ci pourra prêter jusqu’à 60 milliards d’euros, le reste étant apporté par d’autres financeurs pour atteindre, selon des effets de levier, le total de 315 milliards d’euros.
La Commission se dit persuadée que des liquidités existent sur les marchés financiers mais qu’elles ne s’investissent pas suffisamment « dans l’économie réelle » en raison des incertitudes qui pèsent sur la croissance et de l’absence de confiance des acteurs économiques. « Le problème n’est pas l’argent, explique-t-on à Bruxelles, mais le manque de capacité de prise de risque pour financer les projets ». L’objectif du nouveau Fonds sera donc d’assurer la protection du risque afin de favoriser « des projets à forte valeur ajoutée mais comportant davantage de risques ».
Le numérique, l’énergie, les transports, l’innovation devraient être les principaux bénéficiaires de ces financements. Un comité d’experts indépendants choisira les projets en fonction de leur valeur ajoutée européenne, de leur viabilité économique et de la rapidité de leur mise en œuvre.
Un signal insuffisant ?
Le plan est accueilli « favorablement » à Paris, selon Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement. Les eurodéputés socialistes le jugent « sous-dimensionné en argent frais ». « Le temps des demi-mesures, du business as usual et des petits pas est révolu », affirment-ils. Ils continueront de se battre pour une stratégie plus ambitieuse mais n’en considèrent pas moins l’initiative du nouveau président de la Commission comme « un signal de la réorientation ».
Le pari de Jean-Claude Juncker est de « casser le cercle vicieux du manque de confiance et du sous-investissement ». Son espoir est de séduire, dans un premier temps, les investisseurs privés en leur offrant la garantie de l’Union européenne puis, dans un second temps, d’obtenir le concours d’investisseurs publics – Etats membres ou banques de développement nationales. Il va lui falloir convaincre les gouvernements nationaux du « changement de cap radical » que représente, selon la Commission, cette « nouvelle manière d’utiliser l’argent public » s’il veut faire mieux que Jacques Delors il y a vingt ans.