Cela ne va pas bien pour Olaf Scholz. La situation du nouveau chancelier, moins de six mois après sa prise de fonctions le 8 décembre 2021, pose plus de questions qu’elle n‘en résoud. Son parti, le SPD, a perdu les élections régionales au Schleswig-Holstein le 8 mai et en Rhénanie du Nord-Westphalie le 15 mai. Dans ces deux Länder les sociaux-démocrates ont obtenu leurs plus mauvais résultats depuis 1947 avec 16% des suffrages (27,2% en 2017) dans le premier et 26,7% (31,2% en 2017) dans le second. Les ministres-présidents sortants de la CDU, Daniel Günther et Hendrik Wüst, ont réussi à augmenter leurs scores respectifs en recueillant 43,3% des voix (32% en 2017) à Kiel et 35,7% (33% en 2017) à Düsseldorf, alors que leurs alliés, les libéraux du FDP, partenaires de choix dans les deux Länder, ont subi des pertes importantes en obtenant respectivement 6,4% des suffrages (11,5% en 2017) et 5,9% (12,6% en 2017). Les Verts, en revanche, sortent également gagnants des deux scrutins. A Kiel, où ils participent à une coalition dite „Jamaïque“ avec la CDU (noir) et le FDP (jaune), ils ont augmenté leur score à 18,3% (12,9% en 2017). A Düsseldorf, ils ont presque triplé leur résultat, passant de 6,4% en 2017 à 18,2%. Les chefs de file régionaux du SPD n‘ont pas su convaincre, le soutien du chancelier ne leur a offert aucun avantage.
Désormais, le nouveau chef de la CDU, Friedrich Merz, voit sa position renforcée comme chef de l’opposition au Bundestag face à un chancelier affaibli. Avec les „quadras“ Daniel Günther et Hendrik Wüst, qui viennent de gagner leurs scrutins régionaux en étant reconduits dans leurs fonctions, les chrétiens-démocrates sont en mesure maintenant, peu de temps seulement après leur défaite en 2021, de présenter deux jeunes vainqueurs, prétendants potentiels à la candidature suprême aux prochaines élections nationales en 2025, qui viennent de faire leur preuve. Cette course est ouverte maintenant.
L’autorité du chancelier mise en question
L’autorité du chancelier au niveau national, au sein de la coalition dite „feu tricolore“, est déjà mise en question. Sa performance dans la gestion des crises n’est guère appréciée, que ce soit la crise de la pandémie dont il a hérité au début de son mandat, qui n’est pas encore finie, mais dont personne ne parle plus - sauf son ministre de la santé, restant bien seul ; que ce soit la crise internationale causée par la guerre en Ukraine dans laquelle l’Allemagne se trouve en butte aux reproches, venus de ses amis, d’agir trop peu, trop tard – des amis européens, mais aussi des amis de sa propre coalition. Le chancelier n’arrive toujours pas à s’expliquer ni à convaincre sur la question.
En conséquence, dans les sondages nationaux les plus récents, le parti du chancelier est retombé, en quelques semaines, de la première à la troisième place (22%), derrière la CDU (26%), premier parti d’opposition au niveau fédéral, mais aussi derrière les Verts (24%), dont les vedettes, le vice-chancelier Robert Habeck et la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock, sont devenus les personnages politiques les plus populaires, Olaf Scholz n’arrivant qu’en troisième position. 74% des sondés sont contents du travail d’Annalena Baerbock à propos de l’Ukraine, 67% le sont de celui de Robert Habeck, mais 50% seulement de celui d’Olaf Scholz. En ce qui concerne les jugements qui portent sur la performance générale des partis de la coalition, sur une échelle de +5 à -5 les, Verts se trouvent déjà en tête, améliorant leur score de 0,9 à 1,3 ; le SPD, parti du chancelier, perd un peu en passant de 0,8 à 0,7 ; et le FDP du ministre des finances plonge de 0,5 à 0,2. L’équilibre des forces au sein de la coalition s‘en trouve bouleversé. Même si 74% des sondés sont convaincus que la coalition va rester en place jusqu’à la fin de son mandat en 2025, du côté de la majorité une autre course est ouverte déjà : celle pour la „pole position“ entre le SPD et les Verts.
Un manque de clarté et de crédibilité
Bref, en début de mandat, alors que cette nouvelle „coalition du progrès“ veut un projet pour la décennie et que le nouveau chancelier veut une „décennie de la social-démocratie“, son gouvernement souffre déjà d’un manque de clarté, de crédibilité, de confiance dans le leadership du chancelier. En fait, ce sont le SPD et le FDP qui souffrent tandis que les Verts se retrouvent aux anges, comme en témoignent les résultats des élections ainsi que les sondages.
Comment Olaf Scholz peut-il sortir de cette situation ? A 3 ans et demi des prochaines échéances législatives il a encore le temps. Mais ce sera difficile. Il se trouve devant trois défis fondamentaux dont deux se sont ajoutés au défi déjà extraordinaire que présente la transition écologique du pays, qui est au coeur de son programme de gouvernement et qui va coûter beaucoup d’argent et demander beaucoup d’efforts de pédagogie. Le besoin de transformer les conditions de notre façon de vivre, de produire et de consommer, de créer des règles à la fois pratiques et justes permettant de décarboniser et de digitaliser notre économie et toute la société afin de pouvoir maîtriser le changement du climat et ses conséquences - tout cela n’a pas disparu, bien au contraire. Les contraintes qui dérivent de la guerre en Ukraine rendent encore plus urgentes des mesures qui seront à prendre pour réorganiser nos pays sans déchirer le tissu de la société, sans polariser davantage, sans ignorer celles et ceux à qui la complexité et la rapidité des changements font peur.
Depuis le 24 février, l’attaque russe contre son voisin et „pays frère“, l’Ukraine, s’ajoute à ce cahier des charges du chancelier déjà bien rempli. C‘est le deuxième défi. Une fois, mais une fois seulement, Olaf Scholz a saisi sa chance pour donner un nouvel élan à son action. Avec son discours devant le Bundestag, le dimanche 27 février, trois jours après l’agression, en parlant du „tournant de l’époque“, le chancelier a annoncé un changement de cap radical dans sa politique de sécurité et de défense : Exportation d’armes dans des „régions de crise“, démentie encore la veille par son gouvernement ; un fonds spécial de 100 milliards € pour la Bundeswehr en supplément du budget de la défense pour lequel la législation nécessaire n’existe pourtant toujours pas trois mois plus tard ; augmentation du budget militaire pour dépasser 2% du PIB contre 1,5% actuellement, sans qu’on puisse être sûr de pouvoir identifier et surtout de réaliser ces dépenses supplémentaires à court terme.
Les livraisons d’armes à l‘Ukraine
Depuis ce discours, on attend et on discute. Il y a eu des livraisons d’armes à l‘Ukraine, certes. Mais surtout, le pays a discuté de la lenteur avec laquelle les annonces ont été et sont toujours suivies d’actions. Le pays a discuté de deux lettres ouvertes au chancelier, émanant d’intellectuels et d’activistes, d’écrivains et de professeurs, l’une demandant au chancelier de ne surtout pas livrer des armes lourdes à l’Ukraine, car cela prolongerait la guerre, et l’autre, au contraire, lui demandant d’accélerer les livraisons d’armes pour aider l’Ukraine à empêcher Vladimir Poutine de vaincre. Et le pays a discuté pour savoir si l’ambassadeur ukrainien à Berlin a eu raison ou tort de presser le chancelier et le gouvernement, dans tous les médias disponibles, de faire plus pour soutenir son pays, ignorant les règles de la diplomatie et appelant même le chancelier dans une interview à la presse „une saucisse vexée“, parce qu’il a refusé une visite à Kiev après qu’une visite du président Frank Walter Steinmeier eut été déclarée non souhaitable par Kiev. Tous ces débats ont semé plus de confusion que de clarté sans que le chancelier ait cru bon pendant trop longtemps de prendre position.
Finalement, ces débats autour de cette guerre d’agression atroce dans un pays voisin et partenaire de l’Union européenne, déclenchée par la Russie, une grande puissance autoritaire, revancharde et ouvertement hostile à l’Europe, a semé aussi des doutes. Des doutes exprimés à l‘étranger sur la position, la détermination et le rôle de l’Allemagne dans ce conflit et dans cette guerre ; des doutes exprimés dans le pays sur le manque de leadership et de clarté dans les paroles du chancelier ; mais des doutes aussi au sein de la coalition, exprimés, la plupart du temps plus discrètement, par des parlementaires. La présidente de la commission de la défense au Bundestag, Marie-Agnès Strack-Zimmermann (FDP), est devenue la principale voix publique poussant le chancelier à faire plus et plus vite. Et le président de la commission des affaires européennes, Anton Hofreiter (Verts), a déclaré clairement : „Le problème se situe à la chancellerie.“
Les libéraux affaiblis, les Verts confirmés
Voilà le troisième défi lourd, qui se manifeste plus nettement aujourd‘hui, mais qui a existé dès le début. La gestion de la coalition par le chancelier s’avère plus compliquée que prévu. Les libéraux (FDP) souffrent. Leur défaite „désastreuse“ le 15 mai, comme l’a dit son président, le ministre des finances Christian Lindner, semble indiquer que leur électorat estime trop laxiste la politique continue des déficits publics que mène le chef de leur parti. Avec le chancelier, Christian Lindner doit essayer de limiter les dégâts pour les libéraux. Les prochaines élections régionales auront lieu le 9 octobre en Basse-Saxe.
Et il y a les Verts qui se voient confirmés dans leurs approches, sur la forme comme sur le fond. Qui réussissent mieux que leurs partenaires à communiquer leurs messages, à se présenter comme étant à la fois compétents et crédibles ; qui, pour l’instant, réussissent aussi à faire passer chez leurs militants et dans leur électorat leurs soucis et leurs efforts pour marier les ambitions de leur programme avec les nécessités de la réalité internationale, causée par la guerre en Ukraine. Le chancelier ne peut pas se permettre de tenter de les freiner. Il doit se préparer à une concurrence sérieuse de leur part pour la chancellerie en 2025.
Finalement, il y a le SPD, son propre parti. Olaf Scholz restera un chancelier du SPD qui a des difficultés avec son propre camp. Cela a été le cas avec ses prédécesseurs Helmut Schmidt, qui avait été désavoué par son parti en 1982, et Gerhard Schröder, qui avait vite pris ses distances avec son parti en acceptant de se mettre au service de la Russie de son ami Vladimir Poutine. Ce n’est que maintenant, à cause de la guerre en Ukraine, que le courant toujours influent des „amis de la Russie“ au sein du SPD commence à corriger sa position. Le courant pacifiste n’est pas à sous-estimer non plus. Tout cela dirige le chancelier vers plus de prudence qu’il serait prêt, peut-être, à observer de son propre gré.
La situation internationale est compliquée. Les défis du chancelier incluent la gestion de la rénovation de l’Union européenne, de la réorientation de l’Otan, de la position à prendre dans la compétition globale des grandes puissances, des multiples menaces globales et continentales, y compris pour le système démocratique même. On ne peut qu’espérer que nos responsables politiques élus, le chancelier Scholz inclus, arrivent à s’occuper des questions qui se posent d‘une manière déterminée et réfléchie sans céder aux pressions du jour.