Le 2 mars 1953, alors qu’il reçoit une lettre d’une pianiste qu’il admire mais qui dénonce le totalitarisme au nom des valeurs de la religion orthodoxe, Staline est frappé par une attaque. Il mourra trois jours plus tard. Ses collaborateurs tremblent de peur. Ils ne savent que faire, se méfient les uns des autres, craignent de subir le sort qu’ils ont infligé à des millions de leurs compatriotes. Le film, comme la bande dessinée du même nom, ne se distingue peut-être pas par la profondeur de son analyse historique. C’est une comédie qui se revendique comme telle.
C’est trop pour les fonctionnaires de la culture, apparatchiks des unions d’intellectuels qui ont repris le pouvoir qu’elles avaient du temps de l’URSS mais qu’elles avaient perdu dans les premières années du postcommunisme. Dans ce domaine aussi, le régime Poutine renoue avec le soviétisme.
Au nom du patriotisme "russe et soviétique"
Dans un premier temps, le ministère de la culture avait autorisé le film. Il est revenu sur sa décision après une pétition de quelques intellectuels de cour qui condamnent la satire au nom du patriotisme « russe et soviétique ». L’année du 75ème anniversaire de la bataille de Stalingrad, il serait interdit de tourner en dérision une partie de l’histoire, à un moment où Vladimir Poutine, tout à sa réélection, cherche à réconcilier les Blancs et les Rouges, l’Eglise orthodoxe et le communisme, les bourreaux et les victimes du stalinisme.
Il est regrettable mais significatif de l’évolution du système que quelques apparatchiks faisant profession d’intellectuels appellent à la censure d’œuvres qui ne leur conviennent pas.
Dans un article publié en allemand par la Frankfurter am Sonntag, le romancier Viktor Erofeiev, lui-même auteur d’une autobiographie au titre ironique – « Ce bon Staline » —, souligne le durcissement du régime. Ces dernières années le respect de l’ordre moral était confié à l’Eglise. Mais celle-ci ne suffit plus à la tâche. L’Etat et ses auxiliaires doivent veiller à écarter tout ce qui, venu de l’Occident, pourrait polluer les valeurs de la Grande Russie.
Nous publions ci-dessous le lettre ouverte adressée au ministre de la culture demandant l’interdiction du film « La mort de Staline », signée par des metteurs en scène, dont Nikita Mikhalkov, président de l’Union des cinéastes, auteur entre autres de « Soleil trompeur », par des représentants officiels des peintres, des compositeurs, des historiens et des acteurs par ailleurs députés du parti officiel.
Уважаемый Владимир Ростиславович !
Вчера мы были приглашены в Минкультуры России на просмотр фильма режиссера Армандо Ианнуччи "Смерть Сталина", производство Великобритания.
После просмотра у нас сложилось впечатление, что мало того, что это произведение с очень плохо играющими актерами, небрежными и неправдивыми декорациями, фильм - это еще пасквиль на историю нашей страны, злобная и абсолютно неуместная якобы "комедия", очерняющая память о наших гражданах, победивших фашизм.
Мы считаем, что фильм содержит информацию, которая может быть расценена как экстремистская...
"Cher Vladimir Rostislavovich !
Hier [22 janvier], nous avons été invités au ministère de la culture de Russie pour regarder le film "La mort de Staline" réalisé par Armando Iannucci, une production britannique.
Après l’avoir vu, nous avons l’impression que ce film a non seulement de mauvais acteurs, des décors négligés et sonnant faux, mais qu’il s’agit d’un pamphlet sur l’histoire de notre pays, une supposée "comédie" malveillante et absolument déplacée qui noircit la mémoire de nos concitoyens, vainqueurs du fascisme.
Nous pensons que le film contient des informations qui peuvent être considérées comme extrémistes, visant à l’humilier l’homme russe (soviétique), à abaisser l’être humain sur la base de son origine sociale et nationale.
Dans la bande-annonce du film il y a aussi un passage offensant envers l’hymne national du pays (des expressions et des actions obscènes apparaissent au moment où résonne l’hymne national). Une sortie du film à la veille du 75ème anniversaire de la bataille de Stalingrad serait une gifle au visage de tous ceux qui y sont morts et de tous ceux qui sont encore en vie.
Nous vous demandons, cher Vladimir Rostislavovich, de diligenter une expertise juridique supplémentaire de ce film quant à sa conformité avec la législation de la Russie et de retirer provisoirement l’autorisation d’exploitation."
Suit une vingtaine de signatures.