Xi Jinping est le deuxième dirigeant communiste chinois à intégrer sa « pensée » dans la charte du parti. Seul Mao Tsedong l’avait fait avant lui. Les autres avaient dû se contenter de voir leurs idées reprises soit de manière anonyme, soit après leur mort. Une preuve de l’ascendant de Xi sur le parti et l’Etat, remarque Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au CNRS.
Rupture avec Deng Tsiaoping
Au XIXème Congrès, le chef du parti a annoncé « une nouvelle ère » du socialisme, « aux couleurs de la Chine ». Jean-Philippe Béja préfère cette expression à la formule classique « aux caractéristiques chinoises », car elle rappelle un slogan du Parti communiste français qui voulait jadis un « socialisme aux couleurs de la France ».
Cette nouvelle ère qui devrait se développer sur une trentaine d’années est à la fois une référence au « rêve chinois » du XIXème siècle — refaire de la Chine « un pays puissant et prospère » —, et une rupture avec les principes de Deng Tsiaoping. Le maître d’œuvre des réformes des années 1980 appelait ses camarades à garder un profil bas sur la scène internationale et à manifester une certaine modestie à l’intérieur. Il n’en est plus question.
Au contraire, pour Xi Jinping, le moment est venu pour le Parti de s’affirmer de nouveau comme la force motrice de la société. Au cours de la décennie précédent l’arrivée au pouvoir de Xi en 2012, le parti avait eu tendance à s’effacer derrière les institutions de l’Etat voire à laisser la société développer des instances autonomes. Si le durcissement a commencé en 2008 dès le lendemain des Jeux olympiques, Xi Jinping considère les deux mandats de son prédécesseur Hu Jintao comme une période d’immobilisme politique, autrement dit de « stagnation ». C’est l’expression qui avait été employée en 1985 par Mikhaïl Gorbatchev pour caractériser la politique de Brejnev et de ses éphémères successeurs.
La révolte de Wukan
Mais pour le chef du PCC pas question d’emprunter pour sortir de la « stagnation » la voie choisie par le dernier président de l’URSS, à savoir la reconnaissance de la place de la société qu’on appellera « civile » par opposition au Parti et à ses organes de contrôle. Des expériences ont été tentées dans ce sens, notamment à Wukan, dans le Guangdong, la province autour de Canton.
A la révolte contre la corruption de la population du village de Wukan (13 000 habitants) en 2011, les autorités avaient d’abord répondu par les moyens classiques de la répression. Prenant acte de l’échec de la manière forte, le secrétaire du Parti pour le Guangdong, Wang Yang a opté pour une forme de démocratie participative, laissant la parole aux villageois. Mais en 2016, la reprise en main a été brutale. Wang Yang qui a quitté Canton en 2013 est un des vice-premiers ministres.
A l’option « libérale » s’opposait la ligne Bo Xilai, du nom du chef du Parti dans la grande ville de Chongqing, qui prônait le retour à un vrai socialisme grâce à un retour au maoïsme. Il avait par exemple réintroduit les « chansons rouges » dans les usines, les écoles et les parcs. Il s’était fait connaître aussi par une lutte sans merci contre la corruption dont il tombera lui-même victime. En 2011, sa femme et lui ont été arrêtés, accusés d’être impliqués dans le meurtre d’un ressortissant britannique avec lequel ils étaient en affaires. Ils sont aujourd’hui en prison ou en résidence surveillée.
Un homme, un parti, un peuple
Xi Jinping s’est débarrassé de Bo Xilai mais comme c’est souvent le cas dans les régimes autoritaires, il a adopté sa politique. Il fait du Bo Xilai sans Bo Xilai. Il estime que la Chine a besoin d’un homme fort, d’un parti puissant et d’un peuple obéissant.
Des messages de fermeté sont envoyés tous azimuts. A l’endroit de la société civile, la répression contre les avocats et les défenseurs des droits de l’homme doit freiner les ardeurs de tous ceux qui avaient utilisé les espaces de liberté apparus ces dernières années et cherché à les agrandir. Le Parti doit devenir une machine efficace et omniprésente. Toutefois, contrairement à la période maoïste, il n’est pas question de mettre les masses en mouvement pour assurer l’hégémonie du Parti, de crainte que le mouvement n’échappe à ses créateurs.
C’est la Commission centrale de contrôle qui a la haute main sur les affaires du Parti. Elle est la pièce essentielle de la lutte contre la corruption, instrumentalisée pour se débarrasser des dirigeants indésirables et terroriser les autres.
La « nouvelle ère » se traduit aussi par une reprise en main de l’armée, de l’économie, par un renforcement des entreprises d’Etat et la mise sous tutelle d’un certain nombre de grands patrons du privé, et des médias, dont bien sûr Internet.
Culte de la personnalité
Elle s’accompagne d’ un retour du culte de la personnalité. Les librairies sont pleines d’un nouveau petit livre – qui n’est cependant pas rouge – reproduisant le rapport de Xi Jinping au XIXèle Congrès. Le secrétaire général n’a pas laissé percer l’intention de susciter un successeur parmi les sept membres du Comité permanent du bureau politique, le vrai centre du pouvoir. Et donc de passer la main dans cinq ans alors qu’une règle non-écrite voudrait, depuis Deng Tsiaoping, que la présence au sommet du secrétaire général du Parti et chef de l’Etat se limite à deux mandats de cinq ans. A cette règle s’ajoutait une autre tout aussi implicite, à savoir une limite d’âge de 67 ans pour être élu au bureau politique. Or Xi Jinping aura 69 ans en 2022. Défiera-t-il les principes trentenaires de Deng ?
La concentration de tous les pouvoirs autour d’un seul homme comporte des dangers. En cas d’échec, il portera l’entière responsabilité. D’autant plus qu’au-delà du slogan de la « modernisation » et du renforcement du Parti, personne ne sait par quels moyens Xi veut atteindre ses objectifs. La « nouvelle pensée » n’a rien de très nouveau. Elle ressemble plus à un recyclage de formules anciennes remises au goût du jour. Dans le « socialisme au couleurs de la Chine », Deng mettait l’accent sur la spécificité chinoise. Xi insiste sur le mot socialisme.
Cependant dans une Chine de plus en plus intégrée dans l’économie internationale et fer de lance du libre-échange, le socialisme n’entre pas en contradiction avec le capitalisme. Il s’oppose à la démocratie libérale. En ce sens, le socialisme « aux couleurs de la Chine » peut trouver des adeptes en dehors de l’empire du milieu, dans de très nombreux régimes autoritaires.