I/ UN MONDE ENTRE BOULEVERSEMENTS ET RUPTURES
Les Etats-Unis sont entrés dans une phase à la fois de retrait et de fortes tensions internes : la crainte d’un retour au pouvoir de Donald Trump et d’une majorité républicaine agressive est une possibilité sérieuse. La Russie veut consolider une nouvelle zone d’influence au nom de sa sécurité. Des régimes populistes, qui instrumentalisent souvent la corde nationaliste, s’affirment à travers le monde. Le Moyen-Orient comme une partie de l’Afrique connaissent une situation chaotique comme en témoigne la multiplication des Etats faillis. Le risque terroriste reste toujours présent malgré l’écroulement du proto-Etat crée par Daech en 2014. Des bruits de bottes sont entendus tant dans les Balkans, qu’en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, et en Asie, alors même que de nouveaux espaces de conflictualité apparaissent comme la cyberguerre ou la guerre de l’information via Internet. L’insécurité humaine, climatique ou sanitaire atteint des niveaux de létalité sans précédent et ont un effet systémique sur les menaces plus classiques, alimentant en particulier les nouveaux conflits.
Dans ce contexte déjà préoccupant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie apparaît comme apportant à l’ordre international un bouleversement géo-stratégique majeur tout en accentuant les formes nouvelles de conflictualité. Alors même que la guerre est loin d’être terminée, on peut d’ores et déjà faire plusieurs constats.
La puissance russe agressive a été surévaluée et a été mise en échec au début de son offensive. Les sanctions prises vont gravement affecter son économie et sa société et renforcer le caractère autoritaire du régime. L’ancrage de la Russie à l’Europe apparaît pour l’instant compromis. L’Ukraine affirme fortement sa résistance et son identité. Les liens, que l’on espérait distendre entre la Russie et la Chine, se renforcent sans prendre pour autant la forme d’alliance classique. D’une façon plus générale, l’ordre international né en 1945 est remis en cause et on risque d’assister, sinon à un retour, à une sorte de guerre froide, tout au moins à des formes de tension vives dont la nature est renouvelée et semble inévitable.
L’Otan se réaffirme au détriment de l’autonomie stratégique de l’Europe. Une nouvelle répartition des forces apparaît au sein de l’UE avec le poids croissant des pays de l’Est et de nouvelles pressions pour un nouvel élargissement, le déclin relatif de l’influence de l’Allemagne. Les Etats-Unis sont contraints de se réengager en Europe mais n’entendent pas renoncer à la priorité Asie-Pacifique. De nouveaux clivages apparaissent entre le West et le Rest, avec le refus de nombreux pays de s’engager sur le conflit ukrainien qui apparaît de plus en plus comme un conflit entre les Etats-Unis et la Russie par procuration dont les pays du Sud notamment font déjà les frais.
Les Européens prennent peu à peu conscience de ces évolutions mais ne sont pas pressés d’en tirer les conséquences. Les plus déterminés, comme il est compréhensible, sont les anciens pays de l’Est qui ont pour la plupart des relations très difficiles avec Moscou et ne voient d’autres garanties de leur sécurité que celle des Etats-Unis. Enfin la Turquie prend ses distances avec l’Alliance et se lance dans des aventures militaires.
Alors que la mondialisation, qui apparaissait comme un phénomène irréversible, est remise en cause dans son organisation présente, les enjeux globaux ont une importance croissante dans la vie internationale et les stratégies de blocs ou d’alliances privilégiées ne leur sont que peu adaptées, sinon contre-productives. Si un consensus peut être atteint sur le diagnostic, il existe des clivages profonds entre les pays sur la façon de faire face aux défis que représentent notamment le changement climatique, la défense de l’environnement, la lutte contre les pandémies, la gestion de flux migratoires, les crises alimentaires et la lutte contre la pauvreté ou le respect des droits de l’homme. Les vieux schémas compétitifs, fondés exclusivement sur des intérêts nationaux concurrents, n’ont plus la pertinence d’antan. Enfin, la guerre a profondément changé dans sa nature, dérivant de plus en plus de crises internes frappant des sociétés fragiles, ce qui n’exclut pas le retour à des conflits de haute intensité comme c’est le cas en Ukraine.
II/ DES ORIENTATIONS PRIORITAIRES
S’agissant de la France, elle conserve de nombreux atouts, certes frappés de nouvelles incertitudes, notamment son siège permanent au Conseil de sécurité, son rôle moteur en Europe, la dissuasion nucléaire, la francophonie et ses liens historiques avec de nombreux pays. Elle reste ainsi une puissance qui a une vocation qui devrait lui permettre de réagir à une telle évolution.
Sa capacité d’action se situe d’abord dans l’étranger proche : Europe, Russie, Afrique, Méditerranée/Moyen-Orient mais il appartient également à la France de jouer un rôle au niveau global tout en restant conscient que, dans le contexte difficile actuel, la marge de manœuvre dont dispose la France seule ne peut être que limitée. Ceci signifie qu’elle doit agir en concertation avec ses partenaires européens pour promouvoir ses initiatives en exploitant les opportunités offertes par la fluidité nouvelle des relations internationales, voire en tirant partie des crises qui peuvent survenir. La politique de la France est trop souvent réactive plus qu’active. Il convient donc de réfléchir aux objectifs qu’il importe de se fixer sur le long terme et définir les nouvelles orientations de politique étrangère en conséquence.
1. Accélérer le pas en Europe
Dans un contexte géopolitique de plus en plus chaotique et dangereux, il est difficile de distinguer la sécurité de la France de celle de ses partenaires de l’UE, et même, dans ce contexte de globalité, de celle de l’ensemble du monde. De la même façon, l’influence de la France dans le monde sera d’autant plus forte que l’Union aura elle-même franchi le pas d’une ambition politique au service de ses valeurs et de ses intérêts. C’est cette conjonction des puissances, nationale et européenne, que la France doit s’efforcer de développer. Elle dispose des moyens de contribuer de façon particulièrement efficace à la gestion des défis globaux ou transnationaux, tels le réchauffement climatique, la lutte contre les pandémies, le terrorisme international, la gestion positive des flux migratoires etc. Les options nationales, face à ces enjeux, ne sont plus en effet d’actualité. Mais la conjugaison des puissances française et européenne, articulée aux autres puissances de plus ou moins grande envergure, est aussi un gage de plus grande efficacité collective face aux risques de toute nature qui s’accumulent autour de nous. Une Europe puissante et influente sur la scène diplomatique, loin de diminuer la puissance et l’indépendance de notre pays, en est au contraire l’un de ses atouts majeurs.
Le temps est révolu où l’Europe n’était qu’un « levier d’Archimède » de la puissance française. C’est l’inverse qui est vrai désormais : la France doit servir à propulser la puissance de l’Union, autrement dit mettre tout son talent, sa force de conviction, son expérience et ses moyens au service d’une Europe qui accepte de s’émanciper de toute dépendance stratégique. Sans un engagement déterminé de la France en faveur de la souveraineté européenne, celle-ci n’existera pas. Or la France a besoin de cette Europe forte, dans laquelle elle jouera un rôle majeur, avec l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et d’autres, pour défendre des intérêts et des valeurs communes. La guerre en Ukraine et le flottement du nouveau gouvernement allemand, donnent une chance à la France d’affirmer son leadership européen. Notre rôle et nos responsabilités de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, notre statut de puissance nucléaire responsable, notre détermination à jouer un rôle dans toutes les crises et les enjeux mondiaux, notre souveraineté dans l’engagement de nos forces militaires, tout ce qui fait la puissance de notre pays n’a rien à craindre, et tout à gagner, de la consolidation politique de l’Europe.
Dans cette perspective, la France se doit de continuer, en concertation avec l’Allemagne, le rôle créatif et moteur qu’elle a eu depuis le Traité de Rome, notamment en renforçant les mécanismes institutionnels de l’Europe. De concert avec notre partenaire, elle doit penser sa politique européenne en définissant notamment les secteurs qu’elle estime prioritaires. A cet égard, elle doit contribuer à promouvoir l’autonomie technologique de l’Europe en favorisant les coopérations industrielles et les investissements en particulier dans les domaines sensibles que sont les nouvelles technologies de l’information et l’industrie d’armement. Les activités des GAFAM seront suivies avec attention tant sur le plan des bonnes pratiques et du respect des règles instituées par la RGPD que sur le plan fiscal. La création d‘un véritable marché unique numérique respectant la vie privée des internautes sera poursuivie.
La réalisation de cet objectif pourrait être favorisée par le développement des coopérations renforcées, dont les modalités devraient être assouplies, avec nos partenaires les plus proches. La France s’appuiera sur son partenariat privilégié avec l’Allemagne –dans la parité- sans négliger toutefois des interlocuteurs comme l’Italie, à laquelle nous lie le traité du Quirinal, l’Espagne ou la Pologne. De même, elle veillera à nouer des relations de confiance avec les petits pays, en particulier de l’est européen par exemple par des visites bilatérales plus fréquentes. Dans cette perspective, l’idée d’une politique danubienne pourrait être proposée.
La promotion d’une véritable gestion européenne des flux migratoires est indispensable tant sur le plan économique que de la sécurité. Elle suppose non seulement une réforme des conditions de fonctionnement de Frontex mais également une concertation plus étroite de l’Europe avec les pays de transit ou de départ des flux migratoires en vue d’accords de réadmission. Ainsi cette politique aura comme objectif de définir une politique plus positive et plus adaptée aux exigences d’un monde moderne plus mobile et qui puisse concilier les préoccupations humanitaires mais aussi économiques de l’Europe et ses contraintes politiques et sécuritaires. Un droit européen de l’asile politique devrait être défini et le règlement de Dublin remis en cause. La dimension sociale du problème posé par l’intégration de populations immigrées devrait être traitée notamment avec la création d’une Agence européenne de formation, en ayant à l’esprit les besoins existants matière de travailleurs qualifiés.
La revitalisation de l’OTAN provoquée par l’agression russe en Ukraine n’est pas forcément appelée à durer, l’orientation des Etats-Unis vers l’Asie restant prioritaire, les fonctions de l’organisation étant mal adaptées au monde post-bipolaire et les divergences entre Etats-membres tendant même à se renforcer. Le désengagement des Etats-Unis de l’Europe est inéluctable à terme, en particulier si les Républicains devaient revenir au pouvoir. Il rend indispensable la progression à petits pas vers une défense européenne, notamment à travers des coopérations concrètes. Dans cette perspective, il serait souhaitable de proposer la création d’une académie militaire européenne pour contribuer à insuffler une culture de défense commune au sein de l’Europe.
Il convient enfin de renforcer le rôle et la crédibilité de l’Europe dans le monde, non seulement sur les plans commerciaux, économiques et financiers mais également politiques. Le dialogue avec ses principaux partenaires sera intensifié et devrait porter sur des sujets concrets. Dans cette perspective il serait souhaitable de rétablir des relations de bon voisinage et des coopérations, y compris militaires, avec la Grande Bretagne. De même le dialogue avec les grands pays émergents devrait s’intensifier, à la fois en termes économiques mais également politiques, compte tenu de leur affirmation de plus en plus nette sur la scène internationale. Enfin les modalités des rencontres avec les Etats-Unis, la Chine et les pays émergents devront être renforcées avec comme objectif une plus grande efficacité et une meilleure prise en compte des intérêts communs à définir préalablement par les Etats membres.
2. Organiser la sécurité du continent européen
Faire en sorte que l’Europe puisse assurer sa propre sécurité
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre d’une extrême violence qui s’est installée désormais constituent un enjeu majeur pour l’Europe. Pour le moment, le conflit demeure dans une phase strictement militaire, l’avenir demeure très incertain, aucune perspective sérieuse de négociation ne se présente. Mais d’ores et déjà, la sécurité du continent européen s’en trouve bouleversée et appelle de nouvelles approches et de nouvelles décisions.
Dans un précédent article (Boulevard Extérieur, 3 avril 2022), nous recommandions de préparer notre dispositif militaire à faire face à un conflit de haute intensité, qu’il s’agisse de modernisation de notre dissuasion nucléaire considéré comme un enjeu central, ou de la nécessité de développer de façon accélérée les moyens de nos forces aériennes, navales, terrestres et cyber dont l’insuffisance est patente et nous suggérions de soumettre au nouveau Parlement une loi de programmation nouvelle. Les évènements actuels doivent conduire la France à bousculer son calendrier, à amplifier et accélérer l’effort en vue de changer radicalement l’échelle de notre dispositif militaire et finalement de transformer notre modèle de défense.
Nous suggérions aussi que « la France devrait tendre à la mise en œuvre d’une nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe, considérée comme l’enjeu principal des Européens, négociée d’abord entre eux, puis avec les Etats-Unis, puis avec la Russie (...). Les scénarios possibles ne sont pas écrits. La Russie est devenue plus agressive et de ses choix dépendra la nature de nos liens avec elle ». Bien évidemment ces propos, les espoirs et les incertitudes qu’ils expriment, ne sont guère d’actualité. L’invasion de l’Ukraine a changé la donne. L’agression russe à l’encontre d’un Etat dont la souveraineté avait pourtant était reconnue par Moscou (en 1991 et en 1994 avec le mémorandum de Budapest) rend impossible de bâtir une architecture de sécurité à l’échelle du continent avec le concours de la Russie qui s’en est durablement exclue.
Certes, cela reste souhaitable à terme, encore faudrait-il que les conditions en soient à nouveau réunies, à savoir la paix revenue en Ukraine sur des bases agrées et actées par la communauté internationale, Moscou ayant renoncé aux exigences affichées face à Washington en décembre 2021 à propos de l’OTAN en Europe orientale, la Russie affichant enfin des dispositions à un dialogue constructif avec les Européens. Ce n’est sans doute pas pour demain. Les propos tenus récemment par Vladimir Poutine au Forum de Saint Pétersbourg confirment, s’il en était besoin, que la Russie est engagée dans une stratégie conflictuelle durable avec l’Ouest.
L’objectif actuel est différent : il est d’assurer la sécurité de tous les Européens face à la Russie. Les Etats-membres de l’UE en ont désormais pris conscience. La déclaration du Conseil de l’UE à Versailles le 11 mars dernier est claire : des orientations nettes sont prises pour renforcer les capacités de défense de l’Union et des Etats-membres. Le principe de la souveraineté européenne est affirmé. C’est un moment solennel d’unité face aux menaces russes.
En même temps, plusieurs questions se posent qui font débat entre les gouvernements européens. La première concerne l’objectif poursuivi en Ukraine : mettre la Russie en « échec stratégique » pour l’affaiblir durablement comme le considèrent les Etats-Unis et les pays de l’Est de l’Europe, ou plutôt s’en tenir à une approche française partagée par l’Allemagne et l’Italie notamment, qui souligne, à juste titre, que « nous ne faisons pas la guerre à la Russie » et prône la recherche d’une négociation plutôt qu’une solution militaire.
Les autres questions qui font débat concernent l’OTAN. Américains et Européens, toutes sensibilités confondues, sont d’accord pour considérer que désormais face à la menace russe nouvelle, l’Alliance atlantique a retrouvé sa vocation première de défense collective de ses membres. Celle-ci est d’ailleurs considérée par une majorité d’Etats-membres de l’Est comme la seule ultime garantie de leur sécurité. Pour autant demeurent les incertitudes et les doutes sur la portée de l’article 5 du Traité du point de vue de l’engagement américain. Il ne faut pas non plus sous-estimer les bouleversements en cours du jeu stratégique mondial : le pivot américain vers l’Asie et l’affirmation chinoise. Enfin il est crucial d’empêcher que la sécurité des pays démocratiques de l’Europe fasse l’objet d’un dialogue exclusif et quasi secret entre Américains et Russes, hors de la présence des Européens. Il n’est pas question d’accepter un Yalta 2, comme le laissait entendre l’ultimatum russe de décembre 2021 exigeant un retour à la configuration stratégique antérieure à 1997.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire que l’UE et ses Etats-membres s’organisent pour maîtriser eux-mêmes les fondamentaux de leur sécurité. A cet effet deux voies sont possibles : accroître les moyens de défense propres de l’Union européenne ou construire le pilier européen au sein de l’OTAN. Le débat est très ancien, mais jamais résolu, il doit l’être aujourd’hui face à la gravité nouvelle des menaces qui pèsent sur l’Europe. Le débat doit être à nouveau ouvert et mené à son terme au sein de l’UE et avec les Etats-Unis.
L’objectif devrait être de concilier le rôle fédérateur de l’OTAN dans le domaine militaire et la prise en considération des choix politiques exprimés par les Européens au sein de l’UE, y compris la possibilité pour les Européens de disposer d’une autonomie éventuelle de décision et d’action, avec un quartier général permanent de l’UE à cet effet.
Contribuer à une solution politique de la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine est un enjeu majeur pour l’Europe. Elle reste pour l’instant dans sa phase militaire et l’avenir demeure très incertain sur son évolution. L’agression russe à l’encontre d’un État dont la souveraineté avait pourtant été reconnue par Moscou rend impossible de bâtir une « architecture de sécurité » à l’échelle du continent. La Russie s’en est durablement exclue, tant par son agression militaire, sa guerre de conquêtes territoriales et son régime autocratique, incompatible avec la démocratie qui est le fondement du système européen.
La France a proposé un schéma d’organisation du continent sous la forme d’une « communauté politique européenne » qui permettrait d’associer les pays et les sociétés désireux d’appartenir à la famille européenne sans affaiblir l’Union européenne actuelle par de nouveaux élargissements précipités. Cette approche est partagée par l’Italie et le président du Conseil européen. La France devrait surtout innover en dessinant les contours d’un statut d’État associé aux pays attirés par une adhésion à l’UE. Ce serait une étape intermédiaire durant le long processus d’adoption des critères d’adhésion (capacité de reprise de l’acquis communautaire, état de droit, gouvernance et séparation des pouvoirs, économie de marché, union monétaire). L’association commencerait par le volet des valeurs (article 2 du Traité), des positions internationales de l’UE (article 21) et d’un partenariat privilégié (article 8). Elle serait réversible.
Redéfinir nos relations avec les Etats-Unis
La relation avec les Etats-Unis doit faire l’objet d’une refondation sous le signe d’un véritable partenariat. S’il existe sur de nombreux points de larges convergences, notamment sur la lutte contre le terrorisme, il est clair que sur d’autres apparaissent de forts points de désaccords. Il en est ainsi notamment de la question de l’extraterritorialité des lois américaines, contraires au droit international, qui pénalisent nos sociétés, des dossiers de contentieux commerciaux, des relations avec la Russie, la Chine ou certains pays du Moyen- Orient, notamment dans le Golfe ou Israël. La refondation du lien transatlantique devrait être entreprise tant au niveau européen que national et être cohérent avec la volonté française d’affirmer son autonomie stratégique. Une concertation sera recherchée sur les dossiers les plus sensibles en particulier au Moyen-Orient et en Afrique où l’objectif de stabilisation de ces zones sensibles devrait être d’un intérêt commun.
Cette redéfinition passe également par un changement des pratiques de l’OTAN et la transformation de l’Alliance atlantique. Un mouvement se dessine en faveur d’un effort européen plus autonome, comme l’initiative européenne d’intervention et le fonds européen de la défense. Le nouveau gouvernement allemand devrait y être plus disposé. Il ne faut pas non plus sous-estimer les bouleversements en cours du jeu stratégique mondial : le pivot américain vers l’Asie et l’affirmation chinoise. On peut donc effectivement s’attendre à ce que, dans les années à venir, les Etats-Unis se prêtent plus volontiers dans ce cadre à un scénario de moindre présence militaire en Europe en échange d’un partenariat sur une base plus égalitaire.
Ceci justifie l’engagement de la diplomatie française : prendre un risque proportionné au résultat espéré, sortir l’Europe de son état de faiblesse. Le débat sur une nouvelle architecture de sécurité ouvre la voie à un rééquilibrage de la relation euro-américaine et à la transformation de l’Alliance atlantique.
D’ores et déjà, il faut changer les pratiques de l’OTAN pour infléchir sa gouvernance avec l’objectif de passer d’une alliance subordonnée à un partenariat entre (presque) égaux. La France a déjà, à juste titre, marqué ses réserves aux projets d’élargissement de l’OTAN à certains Etats d’Europe orientale. Elle devra veiller à ce que l’Alliance ne soit plus entraînée par les Etats-Unis dans des situations conflictuelles hors de la zone atlantique.
La politique de sanctions pratiquées à l’initiative des Etats-Unis devrait être remise en cause. D’une manière générale les sanctions internationales devraient avoir un caractère exceptionnel. Elles sont très rarement efficaces et ont de nombreux effets pervers comme on peut le constater s’agissant du conflit ukrainien. Contrairement à ce qui est attendu, elles renforcent généralement les pouvoirs en place tandis que les contre-mesures prises pour y répondre affectent fâcheusement les pays initiateurs des sanctions et les pays tiers. Elles ne sauraient être prises de façon unilatérale et devraient être décidées en conformité avec le droit international pour une durée limitée.
L’Union européenne devrait poursuivre l’objectif d’obliger les Etats-Unis à renoncer au caractère extraterritorial des lois qu’ils prennent, en dehors de toute légalité internationale pour sanctionner certains Etats. Le cas le plus frappant est celui de l’Iran. L’attitude américaine est profondément choquante et constitue entre les Etats-Unis et l’Union européenne un obstacle d’une très grande importance à une coopération loyale.
3. S’attacher à résoudre les crises dans notre environnement proche
Cet objectif doit se faire en privilégiant le dialogue. Ce dialogue doit s’accomplir tant au niveau européen que de façon bilatérale.
Réduire les tensions dans les Balkans
Les tensions dans les Balkans restent fortes. Il en est ainsi plus particulièrement en Bosnie, où le membre serbe de la présidence de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, fait appel ouvertement à la sécession et se retire des instances fédérales, de plus en plus paralysées. Par ailleurs, les contentieux entre la Serbie et le Kosovo n’ont toujours pas été réglés et le président Kosovar menace de poursuivre la Serbie devant la Cour internationale de justice pour génocide. De façon générale, l’extension des réseaux mafieux dans cette zone est une menace pour la sécurité européenne. L’Union européenne en tant que telle doit contribuer à apaiser ces tensions récurrentes qui rendent problématique leur adhésion. Ces réticences doivent être explicitement formalisées, d’autant plus que la demande d’adhésion de l’Ukraine ne peut renforcer la pression des pays balkaniques pour rejoindre l’UE.
Stabiliser l’axe de crise africain
La dégradation de la situation sécuritaire et la désagrégation des structures politico- administratives de plusieurs pays d’Afrique, notamment de l’Ouest, posent un vrai dilemme à la France qui agit en fonction d’accords de défense et d’actions de coopération au développement totalement dépassés, tout en étant associée par leurs citoyens à des régimes contestés car inefficaces et des sociétés déshéritées et déchirées. L’effondrement de plusieurs pays ne doit pas être exclu. L’évolution défavorable de la situation diplomatique et militaire au Sahel et la montée d’une francophobie véhémente dans de nombreux pays africains en partie entretenue par la Russie, à travers une campagne qui développe le thème de la responsabilité de l’ancienne puissance coloniale dans la montée du terrorisme comme dans l’extension de la pauvreté, ont mis la France sur la défensive, voire en situation préoccupante d’échec. Economiquement et culturellement la France est en recul tant en raison de la fascination pour le modèle anglo-saxon chez les jeunes que de la concurrence de la Chine et de la Turquie. Les débats qui ont lieu en France sur l’immigration ne peuvent que contribuer à la dégradation de l’image de la France. Quant au groupe Wagner, il est de plus en plus présent en Afrique, en particulier au Mozambique, à Madagascar, au Soudan, en RCA et, plus récemment au Mali. L’objectif poursuivi par les mercenaires russes est double : assurer la sécurité de régimes fragiles, notamment ceux nés de coups d’Etat, et prendre en gage l’exploitation des richesses minières locale.
Il convient de repenser les fondements mêmes et les orientations de notre politique africaine sur de nouvelles bases, à la fois au niveau français et au niveau de l’Union européenne, comme ceci vient d’être esquissé au sommet UE/Afrique tenue le 19 février 2022 à Bruxelles. Cette politique doit cibler l’ensemble de l’Afrique, y incluant les pays non francophones. Face au reproche de « néo-colonialisme », il serait souhaitable de développer l’idée de « partenariat ». C’est l’une des urgences du prochain quinquennat. La France, avec les partenaires européens qui le veulent, doit rester engagée en Afrique pour bâtir une communauté de destin avec la jeunesse qui constitue la majorité de la population, les sociétés civiles et les diasporas résidant en Europe. Cette relation doit prendre en compte tous les aspects de cette relation qui doit être à la fois politique, économique, culturelle et sécuritaire.
Sur le plan politique la relation doit se développer sur le plan tant bilatéral qu’européen ou multilatéral (Banque mondiale). Le dialogue avec les sociétés civiles ne doit pas empêcher de poursuivre les échanges avec les pouvoirs en place, qu’ils soient légitimes ou pas. Il en est ainsi des rencontres au niveau des chefs d’État et de gouvernement, qu’il s’agisse des sommets africains ouverts aux non-francophones, du processus de Barcelone, du 5+5. La concertation avec certains de nos partenaires européens, en particulier l’Allemagne et la Grande Bretagne, sera poursuivie, voire avec la Chine. Notre ambition en Afrique inclut également une concertation avec l’ensemble maghrébin, notamment le Maroc, sur la base d’intérêts communs. Les interventions militaires ne sauraient être qu’exceptionnelles, faites à la demande des pouvoirs en place, sur la base des accords existants, et temporaires. En revanche l’aide à la formation des armées nationales reste une priorité.
Le rôle de l’Agence française de développement reste essentiel. Mais il convient de veiller à ce que son action soit bien conforme aux objectifs de la politique étrangère, à travers la tutelle du ministère des affaires étrangères : ses moyens, notamment très concessionnels, devraient être renforcés en faveur des pays les plus pauvres. La coopération dans les domaines régaliens devrait être accentuée. En effet le risque sécuritaire ne va faire que croître : le renforcement de l’administration territoriale, de la justice, des forces de la gendarmerie est indispensable pour faire face à cette insécurité grandissante qui est un obstacle à la mise en œuvre des projets. Un programme massif d’aide à la formation et d’aménagement des territoires en faveur des sociétés fragiles et décomposées, et un dispositif de mobilité contractuelle, professionnelle ou étudiante, financé avec des fonds européens, seront mis en place avec de nouveaux moyens définis dans la durée. Les activités améliorant immédiatement le sort des populations et/ou créatrices d’emploi seront les cibles prioritaires de l’aide internationale. Le partenariat public/privé sera privilégié. Les entreprises françaises devraient être incitées à investir davantage en Afrique à travers un système de garanties plus efficaces. Des accords de protection des investissements. Un véritable agenda de mise en œuvre locale d’une politique de sécurité humaine, en étroit partenariat avec les acteurs nationaux et locaux, constitue une réponse urgente aux échecs sur lesquels ont débouché les politiques d’intervention militaire.
Dans le domaine culturel, un effort prioritaire doit être poursuivi dans l’enseignement du français, tant au niveau des Alliances françaises ou de centres culturels qu’à travers des établissements scolaires plus nombreux. Cet effort doit être fait par priorité dans les pays francophones de plus en plus tentés par l’usage de l’anglais. La promotion de la culture française privilégiera les réseaux sociaux et les outils numériques, de plus en plus utilisés par les jeunes africains. La propagande malveillante sera contrée par les outils adaptés.
Cette nouvelle politique devrait tenir compte des spécificités culturelles de l’Afrique et de l’ambivalence des nouvelles générations africaines partagées entre attirance et rejet à l’égard de la France. Elle peut s’appuyer sur les diasporas africaines vivant en France.
Promouvoir la stabilité en Méditerranée et au Moyen-Orient
Au Maghreb, la France doit se garder d’exprimer une différence de traitement et d’intérêt entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Elle doit agir dans le sens de la stabilité, de l’ouverture démocratique et de l’apaisement. A cet égard, le processus de réconciliation avec l’Algérie devrait se faire sur de nouvelles bases en proposant des coopérations tournées vers l’avenir plutôt qu’une approche irréconciliable du passé.
Au Moyen-Orient, alors que les Etats-Unis se retirent et que la Russie et la Chine étendent leur influence, l’Europe et en particulier la France ne peuvent se désintéresser d’une région qui reste à bien des points de vue stratégique pour sa sécurité. La France se doit de parler à tout le monde, notamment les pays avec lesquels les relations sont particulièrement difficiles, comme la Turquie, la Syrie et l’Iran. La France se doit de promouvoir un processus de dialogue et de stabilisation. Si les relations d’Israël avec certains pays arabes semblent s’être normalisées à travers notamment les accords dits « d’Abraham », la question palestinienne reste non résolue, constituant un déni du droit reconnu à l’autodétermination pour la population résidant dans les territoires occupés et une menace pour la sécurité d’Israël. Les accusations portés par de nombreuses et respectées associations de défense des droits de l’homme, comme HRW ou Amnesty, de même que le refus de promouvoir la solution des deux Etats appellent à rechercher une solution sur des bases nouvelles et de se mobiliser pour mettre fin aux violences meurtrières comme vient de le souligner encore le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Dans le Golfe, la conclusion d’un accord sur le nucléaire reste indispensable. En outre la France pourrait proposer à l’Iran comme aux monarchies arabes, un système de sécurité fondé sur des bases comparables à celles sur lesquelles a été fondée l’OSCE : mise en place de mesures de confiance, définition de garantie de non-agression, mécanisme de contrôle... Ce système de sécurité pourrait être validé et garanti par les membres permanents du Conseil de sécurité.
4. S’engager clairement dans la voie d’une diplomatie m
ondialiséeNotre statut de membre permanent du Conseil de sécurité nous permet d’avoir cette ambition et d’affirmer notre volonté d’avoir une responsabilité à vocation mondiale, ce qui implique une diplomatie autonome.
Contribuer activement à la maîtrise des enjeux globaux
Une part croissante du bien-être, de la prospérité et de l’avenir des jeunes français dépend de la façon dont les problèmes qui sont globaux par nature vont être gérés de façon coopérative et solidaire par toutes les nations. La pandémie du COVID en fournit un exemple présent à tous les esprits. Elle révèle l’urgence de la coopération multilatérale et son caractère incontournable. Sans traitement commun et solidaire des questions de nature globale, aucune solution durable n’est possible pour un pays comme la France alors que ces domaines sont très présents à l’esprit de nos citoyens.
La France se doit d’avoir un engagement fort sur les grands sujets qui mettent en jeu l’avenir de l’Humanité. Elle doit jouer un rôle exemplaire dans la redéfinition des modes internationaux et diplomatiques de traitement des défis globaux qui hélas décident aujourd’hui de l’écrasante majorité des cas de létalité. Elle a toujours été présente et active dans ces domaines qui exigent une large coopération autour des formes multiples de la gouvernance mondiale ; elle doit jouer un rôle pilote dans l’édiction de propositions concrètes renforçant la gouvernance globale climatique, sanitaire, alimentaire notamment : environnement, développement, sécurité alimentaire, droits de l’homme et démocratie, justice pénale internationale, lutte contre la criminalité et le terrorisme. En 2015, elle a servi de catalyseur à l’accord de Paris. Celui-ci sert de cadre très imparfait à la lutte contre le réchauffement climatique qui revêt un caractère crucial et immédiat pour l’humanité dans son ensemble : il est temps de faire preuve d’inventivité pour aller au-delà.
Les années à venir vont être décisives pour tous ces domaines et vont exiger une forte coopération entre tous les Etats et toutes les composantes de leurs sociétés de même qu’un dépassement lucide et pensé des seuls horizons dessinés par les intérêts nationaux. La France doit encore intensifier son engagement aux côtés de tous les acteurs concernés. Elle est une force de proposition, un promoteur de la mise en œuvre des engagements pris et un soutien essentiel pour les instances multilatérales et les processus existants ou à créer. Partout elle devra donner l’exemple par ses pratiques nationales.
Une gestion multilatérale des problèmes sera également indispensable en matière de commerce international, de stabilité des flux financiers et monétaires, de soutien aux objectifs de développement durable des Nations Unies, de définition des normes pour les technologies nouvelles et de régulation des domaines du numérique comme le cyberespace et les crypto monnaies. La place de la France dans la compétition globale reflétera l’efficacité de son engagement dans ces domaines.
L’action de la France sera d’autant plus efficace qu’elle sera menée en bonne entente avec ses partenaires de l’Union Européenne au sein du G 7, du G 20, de l’OCDE et dans les multiples organes des Nations Unies compétents. La France travaillera avec le continent africain pour qu’il trouve toute sa place dans ces projets collectifs. Ainsi la France pourra peser, à travers des coalitions à géométrie variable, pour assurer des formes de gouvernance globale dynamiques, équilibrées et régulées qui préservent au mieux ses intérêts et sa sécurité à travers des champs très variés, dans un contexte qui promet d’être difficile.
Être actif dans la zone Indo-Pacifique
Les relations avec la Chine devraient être placées sous le signe du refus de rentrer dans la logique des blocs ou de la guerre froide. Dans cette perspective, il est indispensable de renforcer l’action européenne commune sans complaisance qui vise à contrer les dérives discriminatoires des autorités chinoises à l’égard des entreprises européennes. Notre action économique et culturelle en Chine devrait s’amplifier. Par ailleurs notre implication dans la zone Indo-Pacifique devrait s’accompagner d’un effort pour proposer une politique de stabilisation et d’équilibre des influences qui s’y exercent et ce de façon inédite, sans reproduire l’illusion dangereuse de blocs militaires.
Renforcer notre capacité de rayonnement
Pour promouvoir notre capacité de rayonnement, la France doit s’appuyer sur les ressorts de la puissance : outre les moyens traditionnels qui demeurent important -une défense respectée, une économie prospère- il faut compter sur la présence de nos entreprises, notre présence culturelle dans le monde, le rayonnement de notre langue. Elle doit se reposer également sur la présence croissante des Français de l’étranger et d’une francophonie en expansion, notamment en Afrique.
Elle dispose de réelles capacités de rayonnement à travers son réseau d’Instituts français, d’alliances françaises, de lycées et de médias, mais également à travers l’Agence française de développement. Elle est un des rares pays qui organise des débats d’idées, des festivals culturels, des journées linguistiques et des fêtes de la musique. Par ses activités culturelles partagées, la France fait référence. La langue française est perçue dans les mondes francophones comme une langue de cohésion nationale et d’émancipation. Il importe d’investir massivement dans la formation des professeurs et dans l’accès aux textes, en premier lieu sur le continent africain.
Son action culturelle, actuellement en grave repli, doit être relancée à travers un programme d’action pluriannuel, défini conjointement entre le MEAE et le ministère de la Culture. Le Ministre des affaires étrangères devra exercer de façon plus efficace sa tutelle sur les grands opérateurs de façon à veiller que leurs actions sont bien cohérentes avec la politique étrangère menée par la France.
5. Se donner les moyens d’une politique étrangère ambitieus e
La présidentialisation de la politique étrangère est une évolution normale sous la Vème République. Cependant le ministère des Affaires étrangères reste un vivier de compétences indispensables pour mener une telle politique. Il convient de renforcer les liens entre le Président et sa cellule diplomatique et le Quai d’Orsay. La réforme de la haute fonction publique ne doit pas se traduire par un affaiblissement du corps diplomatique. Sa suppression, qui n’était pas une conséquence nécessaire de la réforme de la haute fonction publique, ne peut qu’être regrettée alors que ses compétences reconnues sont de plus en plus indispensable dans ce monde complexe. Son expertise comme sa spécificité et son professionnalisme doivent être sauvegardés.
Les grandes orientations de la politique étrangère de la France devraient être définies dans le cadre d’un livre blanc en début de mandat. Elles s’inscrivent dans le contexte d’un projet européen où se joue son destin. Elles feront l’objet d’un débat et d’un vote au niveau du parlement pour en consolider sa pertinence et sa crédibilité. En effet, les objectifs à long terme par-delà les problèmes de court terme doivent être définis en évitant de succomber au climat émotionnel d’une opinion influencée par les médias et réseaux sociaux.
Ces orientations doivent reposer sur la réalité d’un monde tel qu’il est. Elles doivent rester fidèles à notre volonté de parler à tous, sans arrogance ni parti pris, de jouer un rôle de médiation, de contrer la logique des blocs qui reste dans les têtes tout en nous permettant de conserver une marge de manœuvre. Ainsi, l’objectif essentiel est d’assurer notre sécurité au sens large du terme et de restaurer notre autonomie stratégique tout en respectant nos alliances ou en nouant d’autres relations voire des partenariats avec les interlocuteurs qui comptent. Tout en réaffirmant son attachement à ses engagements internationaux, la France doit conserver son indépendance en matière de politique étrangère et exploiter les marges de manœuvre dont elle dispose, n’hésitant pas à jouer si besoin est le rôle de franc-tireur.
Notre action veillera à construire la gouvernance mondiale qui s’exerce dans un cadre multilatéral, notamment au niveau des Nations Unies et plus spécialement à celui du Conseil de sécurité qui a pour rôle d’assurer la paix et la sécurité internationale. La France se doit de contribuer à la stabilité du monde, notamment de notre environnement proche, par le dialogue diplomatique en limitant le recours aux interventions militaires ou aux sanctions, qui en toute hypothèse doivent être conformes à la légalité internationale.
La politique étrangère doit cependant être pensée dans un contexte plus large qui englobe notre politique de défense et de sécurité, la redéfinition claire des fonctions de notre dissuasion nucléaire dans ce monde nouveau et fragmenté mais également notre autonomie technologique. En effet, sans remettre en cause la mondialisation des économies, notre sécurité passe également par la recherche de moyens pour diminuer notre dépendance, notamment en matière d’approvisionnement de produits sensibles.
Enfin il convient d’assurer une meilleure adéquation entre les objectifs poursuivis et les moyens à mettre en œuvre, qu’il s’agisse des domaines économiques, financiers, technologiques, militaires ou de renseignements, qui doivent bénéficier d’une attention prioritaire. L’effort fait dans le domaine de la défense doit être poursuivi, voire amplifié, mais repensé dans le contexte des nouvelles donnes internationales qui ne sont plus celles du début de la Vème République. Ceci devrait conduire à une reformulation de la loi de programme militaire. Notre politique d’aide au développement s’inscrit également dans ce cadre.
Dans le monde dangereux où nous vivons, la France se doit de fixer clairement ses priorités. Le renforcement de la construction européenne reste d’autant plus une priorité majeure que l’agression de la Russie en Ukraine lui pose un défi que l’on pourrait qualifier d’existentiel. L’affrontement entre les Etats-Unis et la Chine, qui n’est pas encore arrivé au même stade de maturité, ne nous concerne pas directement. Il convient d’éviter de s’y trouver impliqué. Enfin les tensions que l’on peut constater entre les pays occidentaux et le reste du monde, que la crise ukrainienne a ravivées, ne doivent pas déboucher sur de nouveaux affrontements : la France se doit de continuer de s’opposer à la logique des blocs et développer son dialogue à l’égard de pays qui se veulent de plus en plus non alignés.
Telles sont les principales orientations de politique étrangère proposées par le Club des Vingt qui supposeront un fort volontarisme des autorités françaises de même qu’un engagement européen sans arrogance et une mobilisation d’un outil diplomatique préservé.
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Membres du Club des Vingt : Hervé de CHARRETTE, président du Club, Roland DUMAS (anciens ministres des Affaires étrangères), Sylvie BERMANN, Maurice GOURDAULT-MONTAGNE (Ambassadeurs de France), Général Henri BENTEGEAT, Bertrand BADIE (Professeur des Universités), Denis BAUCHARD, Claude BLANCHEMAISON, Jean-Claude COUSSERAN, Dominique DAVID, Régis DEBRAY, Yves DOUTRIAUX, Alain FRACHON, Michel FOUCHER, Jean-Louis GERGORIN, Renaud GIRARD, Nicole GNESOTTO, Bernard MIYET, Jean-Michel SEVERINO, Pierre-Jean VANDOORNE.
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