Des atouts indéniables
Si la France demeure une puissance économique majeure [1], elle est aussi une puissance militaire de premier rang. Avec un budget de la défense d’environ 55 milliards d’euros par an, elle affirme vouloir rester dans le concert des nations. En témoignent ses nombreuses implications dans des opérations extérieures (Mali, Centrafrique, Libye, Irak...) qui mobilisent plus de 8000 militaires. En plus des opex, la France est présente en permanence dans de nombreux pays où stationnent des forces armées (Djibouti, Côte d’Ivoire...). Elle fait aussi partie des nations qui comptent un porte-avions, le Charles de Gaulle, actuellement en rénovation. Elle possède donc une importante force de projection et peut intervenir rapidement sur l’ensemble du globe. Mais surtout, ce qui lui permet de s’affirmer sur la scène internationale, c’est sa puissance nucléaire. Avec 210 essais à son actif et un arsenal d’environ 300 ogives, la France est la troisième puissance nucléaire de la planète. Ajoutons à cela un important réseau d’alliances, son siège et son droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU et sa participation au commandement intégré de l’Otan qui la rendent pour ainsi dire intouchable.
Cependant, la France est en recul face aux puissances émergentes. La Chine d’abord, qui est devenue la seconde puissance militaire au monde et possède désormais un deuxième porte-avions. L’Inde aussi, qui bénéficie de partenariats avec la France et est désormais la sixième puissance militaire. L’Arabie Saoudite est, quant à elle, devenue ces dernières années une puissance incontournable et figure dorénavant au quatrième rang mondial en terme de dépenses militaires. Surtout, la France reste très loin derrière les États-Unis, géant militaire ; l’hyperpuissance dépense à elle seule autant que tout le reste de la planète pour sa politique de défense. La puissance de feu américaine est gargantuesque et sans comparaison possible avec celle de la France.
La stratégie géo-culturelle
Il y a un domaine dans lequel la France excelle, c’est celui de la culture et de l’exportation de celle-ci. Alors que l’on parle souvent du soft-power américain, on néglige celui de la France. C’est pourtant un atout indéniable de la géopolitique tricolore. Déjà, de par son réseau diplomatique, le troisième au monde, qui lui permet d’être présente et de faire entendre sa voix partout sur le globe. Aussi grâce aux vecteurs de la culture française que sont le cinéma et les musées. Sa production cinématographique est la sixième au monde et est reconnue internationalement, en témoignent ses 70 Oscars gagnés [2] . De même dans le domaine audiovisuel avec les chaînes France24 et TV5 Monde, qui font entendre la voix de la France. Pour les musées, Paris, première destination touristique au monde, est une référence. Le musée du Louvre, avec plus de 9 millions d’entrées annuelles, est de loin le plus visité au monde. Rappelons aussi qu’il a ouvert en 2017 une antenne à Abu Dhabi, dont le bâtiment est dessiné par Jean Nouvel, architecte français. Cet exemple émirati de diffusion de la culture française s’inscrit dans une logique de longue date, comme on peut le constater avec la francophonie. L’Organisation Internationale de la Francophonie se compose aujourd’hui de 88 Etats [3] . Véritable outil de diffusion de la langue, de la culture et des valeurs françaises, l’OIF permet aussi de promouvoir les intérêts de la France. Pour diffuser sa langue et sa culture, cette dernière s’appuie également sur l’important réseau de l’Alliance Française, 834 antennes dans 132 pays. De même que l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger, plus vaste réseau scolaire au monde. L’AEFE scolarise 355 000 élèves au sein de ses 496 établissements implantés dans 137 pays. Environ 60% des élèves ne sont pas français et seront donc, une fois leurs études achevées des ambassadeurs de la France au sein de leur pays. L’AEFE contribue ainsi à former des élites francophiles comme Amin Maalouf, Leïla Slimani, Jodie Foster, Ricardo Bofill ou encore Rolande Kammogne, fondatrice de Vox Africa.
Ce qui est regrettable, c’est que les dirigeants français semblent négliger la dimension géo-culturelle. En témoignent, la baisse du budget de l’AEFE pour l’année 2017, amputé de 33 millions d’euros et les annonces inquiétantes pour l’avenir de ce réseau unique au monde. C’est pourtant sur cette spécificité française qu’il faut investir car s’il y a bien un domaine où la France peut exceller c’est dans la promotion de sa culture, qui bénéficie d’une bonne image dans le monde. On assiste malheureusement à la dégradation de l’enseignement français [4] , et ce de l’école primaire à l’enseignement supérieur. Même si les universités françaises accueillent des étudiants étrangers, aussi bien Européens que Chinois, le système universitaire français n’est que le 18ème au monde. L’enseignement supérieur français est de moins en moins attractif. D’ailleurs, un nombre croissant de jeunes partent étudier à l’étranger. Beaucoup ne reviendront pas, la France comptant de plus en plus d’expatriés.
Enfin, la France compte aussi sur le sport pour rayonner au niveau mondial. Elle a obtenu la 7ème place en nombre de médailles aux Jeux Olympiques de 2016 et s’illustre dans certaines disciplines comme le handball, ou encore le football avec sa victoire lors de la Coupe du monde 2018. Surtout, elle a obtenu l’organisation des JO 2024 à Paris, événement planétaire par excellence, qui constitue une véritable vitrine pour le pays. Le défi sera d’obtenir plus de médailles que lors de la précédente olympiade et de se hisser sur le podium.
Une région décisive, l’Océan Indien
La France a les moyens de s’imposer sur les mers et les océans. Si elle n’est pas une thalassocratie, elle pourrait le devenir car elle dispose d’une vaste Zone Economique Exclusive, la seconde au monde. C’est un atout considérable que la France doit à ses possessions ultramarines. Outre le potentiel économique, avec d’importantes ressources halieutiques et des réserves d’hydrocarbures, c’est un avantage géopolitique. Elle est en effet présente dans le Pacifique, l’Atlantique, l’Océan Indien et la Mer Rouge. Cela accroît sa capacité de projection, les possessions françaises étant autant de relais pour les troupes et engins de son armée.
C’est particulièrement vrai dans l’Océan Indien. Alors que cet espace est surveillé en permanence par les États-Unis et est convoité par la Chine et désormais par l’Inde, la France y a une position ancienne et privilégiée. En effet, elle administre un ensemble d’îles, à commencer par la Réunion. Elle gère aussi Tromelin, revendiquée par l’île Maurice, Mayotte revendiquée par les Comores ainsi que les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Basas da India, toutes revendiquées par Madagascar. Les protestations des pays voisins n’y changent rien, la France ne souhaite pas laisser échapper un tel atout qui lui permet de contrôler le sud-ouest de l’Océan Indien et l’intégralité du Canal du Mozambique, passage indispensable à la mondialisation. Constamment occupés par des militaires, ces « confettis » peuvent servir de bases arrière pour d’éventuelles opérations dans la région. Ils permettent aussi de surveiller la zone, à l’image de Mayotte qui abrite un important centre d’écoute. A la croisée de deux continents qui vont s’avérer décisifs dans les prochaines années, l’Afrique et l’Asie, l’Océan Indien va certainement jouer un rôle croissant et l’ancrage français pourrait s’avérer déterminant. Contrôle des routes maritimes, ressources halieutiques, hydrocarbures, base arrière, centre d’écoute, sont autant d’intérêts pour la France à confirmer et consolider sa présence dans cette partie du monde où les grandes puissances renforcent toutes leur position.
Alors qu’elle semble en perte de vitesse ces dernières années, la France a les moyens d’inverser la tendance et de s’affirmer comme une puissance incontournable. Si elle ne peut rivaliser avec les États-Unis et la Chine, elle jouit encore d’un certain prestige et peut jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale. Elle doit pour cela investir massivement dans sa stratégie géo-culturelle et ne pas laisser s’effriter son soft-power. De plus, elle doit consolider et renforcer ses positions ultramarines, en particulier dans l’Océan Indien. C’est à ce prix qu’elle pourra demeurer une nation qui pèse, sinon elle risque l’effacement et de se retrouver reléguer au second rang.