En cette année électorale en France comme en Allemagne, l’Europe est plus que jamais appelée à se réveiller, à en finir avec ses crises, à devenir un véritable acteur du système international pour résister aux multiples défis qui mettent en danger ce que nous nous sommes habitués à appeler « l’Ouest » et sa « communauté de valeurs ».
A Washington, on attend maintenant le démantèlement de l’Union européenne ; à Moscou, on continue à essayer de la diviser ; et à Bruxelles ? On se prépare à la sortie du Royaume Uni, la troisième économie et la première place financière de l’Union européenne ; des nations se replient sur elles-mêmes, font face à la montée des extrêmes-droites, au désenchantement des citoyens avec « l’Europe ». Et cinquante-quatre ans après le Traité de l’Elysée on attend que Paris et Berlin reprennent leur rôle de moteur européen. La France et l’Allemagne seront-elles au rendez-vous de l’histoire ? Nos dirigeants en sont-ils conscients ? Les deux ministres des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et son nouveau collègue allemand, Sigmar Gabriel, l’affirment. Mais auront-ils le temps de passer aux actes ?
Campagnes en France et en Allemagne
À Paris et à Berlin, on est en campagne. En France, l’existence même du Parti socialiste, au pouvoir actuellement, est en jeu. Et l’extrême-droite de Marine Le Pen, le Front national, est en passe de devenir le premier parti. Un parti politique qui veut sortir la France de l’euro et de l’UE. Le système électoral devrait empêcher le pire, mais « la maison brûle », et on voit mal qui pourrait finalement éteindre le feu. Les Français, semble-t-il, sont très concentrés sur leurs propres problèmes.
Et à Berlin, la chancelière Angela Merkel, après douze ans au pouvoir, est contestée, pour la première fois, par une nouvelle extrême droite qui risque de devenir la troisième force au prochain Bundestag. Cela rendra encore plus difficile la formation du prochain gouvernement. A la différence de toutes les campagnes électorales depuis quarante-cinq ans, aucun parti politique n’est prêt à annoncer aux électeurs avec quelle autre formation il voudrait former un gouvernement.
Rien ne doit être exclu, sauf la participation au gouvernement de l’extrême droite. Une « grande coalition » Merkel-SPD ? Ni les chrétiens-démocrates, ni les socio-démocrates ne veulent reconduire cette formule pour une troisième fois depuis 2005. L’extrême-droite de l’AfD (Alternative für Deutschland) pourrait augmenter encore son poids politique et devenir le « leader de l’opposition » au Bundestag ; le SPD risquerait de perdre son âme.
Angela Merkel avec les Verts (et/ou les libéraux du FDP ?) ? A deux reprises, en 2009 et en 2013, les Verts ont vu les partenaires d’Angela Merkel payer au prix fort leur coopération – en 2009, après quatre ans de grande coalition, le SPD a obtenu son plus mauvais résultat depuis 1949. En 2013, les libéraux du FDP ont été éjectés du Bundestag pour la première fois depuis 1949. En 2017, les Verts vont regarder de très près si le SPD sera « puni » une deuxième fois.
L’arrivée de Martin Schulz
Un chancelier SPD ? L’ancien président du Parlement européen Martin Schulz vient d’arriver sur la scène politique nationale, choisi par les socio-démocrates comme candidat à la chancellerie. Il pourrait chercher à former un gouvernement avec les Verts mais ce serait vraisemblablement insuffisant pour avoir une majorité. Alors quelle force d’appoint ? Une participation de Die Linke, la gauche radicale, au gouvernement fédéral est loin d’être acquise. Le parti s’oppose à toute participation de la Bundeswehr à des opérations militaires extérieures dans le cadre de l’OTAN ou de l’UE, jetant ainsi un doute la crédibilité de l’Allemagne sur le plan international. En Allemagne aussi, les dirigeants politiques se préoccupent surtout de la politique intérieure. Peu de chances donc pour une relance substantielle du projet européen, malgré les déclarations multiples et, peut-être, les bonnes intentions.
Et pourtant, rien ne serait plus urgent qu’une prise de position forte des Européens. Le nouveau président américain, Donald Trump, fait la démonstration tous les jours depuis sa prise de fonction le 20 janvier qu’il ne change pas de méthode, une fois arrivé à la Maison Blanche, par rapport à ses méthodes de campagne. « America First », l’Amérique d’abord, n’est pas seulement un programme d’action politique nationaliste, irrespectueuse des accords internationaux. C’est aussi un défi aux règles habituelles du comportement diplomatique. Il faut, donc, que nous, les européens, fassions face.
Les contradictions de Donald Trump
L’OTAN « obsolète » ? Ou soutenue à 100% ? Donlad Trump a dit tout et son contraire. L’OTAN pour faire quoi ?
Pour combattre le terrorisme international ? Depuis 2001, les Etats-Unis et leurs alliés ne sont pas d’accord sur le rôle de l’OTAN dans cette lutte qui continue à changer d’aspect, d’acteurs, de théâtre, de format, de caractère. En tout cas, les alliés qui font partie de la coalition internationale contre « l’Etat Islamique » en Syrie et en Iraq, ont pris bien soin que l’Alliance en tant que telle n’y soit pas engagée sur le terrain.
L’OTAN comme protection contre la menace russe ? Depuis leur entrée dans l’Alliance en 2004-2007, les nouveaux Etats membres, qui ont appartenu au pacte de Varsovie, les républiques baltes en particulier, font de la protection contre des ambitions de Moscou la raison même de leur appartenance à l’OTAN. Le révisionnisme russe avec l’annexion par la force de la Crimée et le soutien militaire russe aux séparatistes de l’est de l’Ukraine ont emmené l’OTAN, avec difficulté, à renforcer ses capacités militaires et de dissuasion pour soutenir ses membres frontaliers de la Russie.
L’OTAN « obsolète » ou soutenue à 100% et pour quoi faire ? Il revient aux Européens d’apporter des réponses et de peser de tout leur poids, en termes de concepts politiques et de capacités militaires et de ressources. Pour ce faire, il faudrait qu’ils se mettent d’accord entre eux sur la politique de sécurité et de défense qu’ils veulent mener et dans quel cadre. Au sein de l’OTAN ? Au sein de l’UE ? Ou dans un autre cadre ? Si les Européens, sous l’impulsion nécessaire de Berlin et de Paris, ne prennent pas position, ce sera Donald Trump qui décidera pour eux.
Crise d’identité
L’Union européenne est encore loin d’avoir surmonté ses crises — crise de l’euro, crise migratoire, crise des frontières —, qui sont toutes des crises d’identité. En même temps, l’UE et le Royaume-Uni doivent organiser et gérer le Brexit. Or, face à la mise en question des règles du commerce international par la nouvelle administration américaine, mais aussi face aux ambitions chinoises et d’autres puissances émergentes, les Européens ne réussiront pas à préserver leurs modèles d’économie de marché régulée et leurs systèmes sociaux si chacun essaie de s’entendre seul avec les grandes puissances.
En revanche, l’Union européenne, le plus grand marché du monde, peut, elle, faire en sorte que ses règles et ses valeurs démocratiques soient préservées. Il y a donc urgence que l’Union sorte de ses crises. Pour ce faire, il faut que le « moteur franco-allemand » relance ses efforts. Et propose une vision que les citoyens européens puissent reprendre à leur compte. Qu’est-ce qu’elle doit être ? De quelles compétences et capacités nouvelles doit-elle disposer ? Ces questions ne peuvent être plus longtemps éludées.
C’est seulement ensemble que les Européens peuvent faire face aux ambitions révisionnistes de Vladimir Poutine qui a réussi à refaire de la Russie un acteur incontournable des relations internationales. En Ukraine, il a créé un nouveau « conflit gelé » qu’il peut rallumer à sa guise pour démontrer qu’il est maître du jeu dans « son jardin ». En Syrie, Moscou a su s’imposer comme maître du jeu avec son intervention militaire en soutien du régime de Bachar el-Assad qui, désormais, dépend totalement de la Russie. Poutine a réussi à écarter pratiquement les Européens d’un conflit qui continue à avoir des répercussions dramatiques sur l’Europe. Avec le « sultan » dans une Turquie membre de l’Otan, le « tsar » s’est entendu sur un soutien mutuel dans leurs ambitions d’autocrates anti-occidentaux. Là encore, les Européens doivent s’affronter aux efforts de ces dirigeants antidémocratiques de s’immiscer dans leurs affaires intérieures en soutenant des forces politiques nationalistes, autoritaires, populistes de l’extrême droite.
Rarement comme en ce début d’année, les Européens ont été confrontés à autant de défis fondamentaux en même temps, qui mettent en cause notre modèle de société, notre système de coopération, la paix et la démocratie. L’Union européenne est la clef de notre capacité à faire face à ces défis. Ainsi, les campagnes électorales sont l’occasion de souligner la signification profonde de l’intégration européenne pour nos pays.