La diplomatie française de Sarkozy à Hollande : qu’est-ce qui l’emporte ? Le changement ou la continuité ?
Il n’existe pas une politique étrangère de droite et une politique étrangère de gauche. Quand de Gaulle décide de sortir du commandement militaire intégré de l’OTAN, quand il renoue avec la Chine, prononce le discours de Phnom Penh, il n’en est pas pour autant devenu un homme de gauche. Les clivages traversent les deux camps.
Quand Sarkozy arrive au pouvoir, il veut rompre avec l’époque Chirac. Il apparaît atlantiste, pro-américain. Il copine avec George W. Bush. Il prône l’amitié avec Israël après les incidents survenus avec Chirac (le 22 octobre le président de la République menaça d’interrompre sa visite officielle après que le service d’ordre israélien eut voulu empêcher les Arabes de Jérusalem est de le saluer). Il manifeste une sorte « d’occidentalisme », critiqué par les tenants de ce qu’Hubert Védrine appelle « le consensus gaullo-mitterrando-chiraquien ». Est-il pour autant un néoconservateur ? Pas vraiment. Il ne croit pas à l’extension universelle de la démocratie libérale et s’il se montre activiste, il multiplie les marques d’autonomie par rapport à la politique américaine, en Géorgie en 2008, avec Assad et Kadhafi (dans un premier temps), en poussant à la création du G20, etc.
Beaucoup de critiques de François Hollande disent qu’il est arrivé à l’Elysée sans avoir d’idée précise sur la politique étrangère. Est-ce vrai ?
Non. François Hollande n’arrive pas comme un béotien. Il se prépare à son élection depuis longtemps, et en particulier depuis 2011 pour la politique étrangère, en clarifiant le débat entre ce que certains appellent « la secte » (les supposés néoconservateurs au sein de l’administration) et les gaullo-mitterrando-védriniens. Dans un premier temps, c’est plutôt « la secte » qui l’emporte. Les convictions de François Hollande sont étayées aussi sur des considérations de politique intérieure : acceptation du recours à la force, solidarité atlantique, importance du nucléaire, rapprochement avec Israël…
Il a tranché entre les deux lignes car il sait que sa crédibilité se jouera très vite sur sa politique extérieure.
Toutefois, plutôt qu’une ligne, il s’agit de constantes qui renvoient dans une large mesure à la tradition social-démocrate française, depuis la SFIO : emploi de la force, atlantisme, relations avec Israël.
Ce n’est pas un « faucon ». Personnellement, ce serait plutôt une « colombe ». La force, si force il doit y avoir, doit être au service du droit.
En fait, comme souvent, sa politique étrangère est un mélange diplomatique. L’atlantisme de base ne l’empêche pas de prendre ses distances avec Barack Obama, sur la Syrie, sur l’Ukraine, sur le traité transatlantique de libre-échange, sur l’Iran. Là encore, le pragmatisme domine. « On cherche la boussole », dit Védrine.
On peut donc dire qu’il y a des invariants qui s’imposent à tout président de la République.
Il existe une continuité globale sur les fondamentaux. Ces invariants sont la paix, la stabilité, la gouvernance mondiale, l’organisation du monde, la « prospérité partagée » qui doit remplacer l’aide au développement. Dans le langage de François Hollande, ça s’appelle l’indépendance – dans le cadre des alliances —, le droit international et le dialogue. Pour une « puissance moyenne d’influence mondiale » (comme la France), la crédibilité passe par le respect de quelques invariants, estime l’ancien conseiller diplomatique de Sarkozy, Jean-David Levitte.
Un de ces invariants est la relation avec l’Allemagne. Et pourtant là, on a assisté à un changement entre la période Sarkozy et Hollande.
François Hollande, qui s’est rendu à Berlin le soir même de sa prise de fonction, a voulu mettre fin à « Merkozy ». Angela Merkel a tout de suite été d’accord. Cette proximité, surjouée, entre la France et l’Allemagne agaçait les autres Européens. Hollande prônait le calme, la transparence et la prévisibilité. Il avait déminé le terrain en assurant la chancelière qu’il ratifierait le pacte de stabilité et que son seul problème était de trouver un habillage pour ne pas braquer ses électeurs. Avec Berlin, Hollande veut un « leadership partagé ».
Le fonctionnement de la machine diplomatique a-t-il été modifié de Sarkozy à Hollande ?
Nicolas Sarkozy avait tout concentré à l’Elysée, en s’appuyant sur Claude Guéant et une forme de diplomatie parallèle contre les diplomates professionnels qu’il méprisait ouvertement. L’arrivée de Juppé au Quai d’Orsay en 2011 avait un peu rétabli l’équilibre. Mais François Hollande a remis du collectif dans le dispositif.
En 1981, Mitterrand avait innové en rebaptisant le ministère des affaires étrangères, « ministère des relations extérieures ». Hollande, lui, a rattaché le commerce extérieur au Quai d’Orsay. Est-ce un signe ?
Cette étroite connexion entre la diplomatie et l’économie n’est pas vraiment nouvelle mais elle est de plus en plus importante et le gouvernement veut se donner les moyens d’aider l’entreprise France à gagner des marchés. En même temps, le redressement des comptes intérieurs est une condition d’une diplomatie active. « Il faut une économie forte pour payer nos actes de souveraineté », affirme François Hollande. Il faut avoir la capacité économique des ambitions politiques d’une France qui se veut toujours porteuse des idées de 1789 et représentante des valeurs universelles.
Tout président de la République française est frappé du « syndrome de Chantecler ». Comme le coq d’Edmond Rostand, il est « si convaincu […] que son cocorico fera crouler la nuit », et il est tout ébloui d’avoir par son chant « lui, le coq, fait lever le soleil ».
Propos recueillis par Daniel Vernet