Cette année, la Conférence de Munich était l’occasion pour la nouvelle administration américaine de présenter sa vision du monde et de prendre contact directement avec tous ces experts et responsables dont elle se considère, à tort ou à raison, comme le « leader ».
Clarifier la position des Etats-Unis
Seulement – cette année, rien n’était comme d’habitude. Le nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump, n’arrête pas d’irriter ses amis et alliés, et ceci, depuis son investiture il y a six semaines, presque tous les jours – avec des tweets, des décrets présidentiels, des conférences de presse très particulières, et la présentation de « faits alternatifs » par ses porte-parole. Il était évident que les amis transatlantiques avaient un grand besoin de clarification et attendaient beaucoup de cette conférence à Munich – clarification sur la position américaine concernant OTAN, l’Union européenne, les relations avec la Russie, la guerre au Proche-Orient, la Syrie en particulier ; clarification sur toutes les questions sur lesquelles le président américain s’est déjà prononcé à plusieurs reprises, avec des messages pour le moins ambivalents voire contradictoires.
A la fin des trois jours de débats, le président de la conférence Wolfgang Ischinger a constaté qu’il y avait moins de questions qu’avant ; il a déclaré qu’il en était satisfait, car « un certain degré de clarté a pu être rétabli » — phrase digne du haut diplomate qu’a été M. Ischinger, ancien ambassadeur d’Allemagne à Washington, puis à Londres. La journaliste américaine Anne Applebaum, en revanche, du Washington Post (« fake news media » selon les critères de M.Trump) s’est étonnée que « alors qu’orateur après orateur on a demandé l’unité et la cohérence face aux dangers graves auxquels se trouve confrontée l’Alliance atlantique, personne n’a osé dire la vérité. La vérité, c’est qu’un des plus grands dangers pour l’Alliance atlantique vient du président des Etats Unis. »
Deux questions clefs se posent : la conférence de Munich a-t-elle pu contribuer à clarifier les choses ? Ou a-t-elle soulevé encore davantage des questions ? Comme toujours, la réponse doit être : les deux à la fois. La clarification venait surtout des efforts du vice-président américain Mike Pence et du ministre de la défense James Mattis, qui ont tout fait pour rassurer leurs amis sur la fiabilité de l’engagement des Etats-Unis pour l’OTAN et sur leur politique envers les Européens. Ils ont plusieurs fois proclamé que le message de leur président était que les amis de l’Amérique peuvent lui faire confiance.
Pourquoi consacrer 2% du PIB à la défense ?
Pourtant, des questions, il en restait. Les clarifications ne pouvaient sembler clarifier les choses que parce qu’elles cachaient des divergences qui existent de longue date et qui continuent d’exister, indépendamment de M.Trump et de ses idées. Oui, la recommandation de l’OTAN de 2002 demandant aux nations de dépenser l’équivalent de 2% de leur PIB pour la défense, à laquelle ont fait référence les Américains, a été confirmée par les chefs d’Etat et de gouvernement en 2014 à leur sommet au Pays de Galles, dans le contexte de la crise ukrainienne. Cela ne pouvait pas faire de mal de le répéter ici encore une fois, étant donné qu’on en est d’accord et qu’un appel au respect des engagements pris fait toujours bonne impression.
En revanche on n’est pas du tout d’accord, au sein de l’Alliance, sur le point de savoir à quelle fin ces dépenses supplémentaires doivent servir. Est-ce que, par exemple, ces dépenses non-négligeables (dans le cas de l’Allemagne, l’augmentation du budget de défense à 2% du PIB ferait presque doubler le budget de défense actuel) devraient servir avant tout à renforcer les forces de défense territoriale, ce qui permettrait à l’Alliance (et à l’Allemagne dans ce cas) de développer une présence militaire substantielle chez nos voisins à l’est qui en font la demande depuis des années ? Ou est-ce que plus d’argent devrait d’abord être prévu pour augmenter les capacités à mener une guerre aérienne à distance afin de pouvoir aider nos amis à éradiquer « Daesh » de la terre, comme l’a exprimé le président Trump. La revoilà, la question de 2001-2002 : à quoi sert l’Alliance ? Après le 11 septembre 2001 déjà, on pouvait entendre des experts à Washington parler d’une OTAN « obsolète ». Ce jeu recommence. Et la question de savoir à quoi doivent servir les 2% du PIB est non seulement restée ouverte. Elle n’a même pas été posée.
Si, elle l’a été. Sigmar Gabriel, le nouveau ministre des affaires étrangères allemand, a posé la question : est-il vraiment raisonnable de féliciter la Grèce - avec la Grande Bretagne, la Pologne et l’Estonie une des quatre nations de l’OTAN à côté des Etats-Unis à atteindre les 2% de PIB pour la défense — alors qu’elle se voit obligée de réduire les retraites que sa sécurité sociale ne peut plus payer comme il était prévu à cause de son énorme dette publique ? Non, la confirmation par les USA de leur engagement dans l’OTAN, liée à la demande répétée aux alliés d’augmenter leurs dépenses militaires, n’a pu offrir qu’un semblant de clarification, car la question concernant la stratégie de l’administration Trump pour l’OTAN n’a pas trouvé de réponse. Ni la question de savoir combien d’argent supplémentaire est nécessaire et à quelle fin M. Trump a l’intention de le dépenser pour refaire des forces armées de son pays qui, selon le président, se trouvent dans un état lamentable, les meilleures du monde. Aucune indication sur ce point des représentants suprêmes du président Trump. Le manque de clarté persiste.
Le sens de l’Occident
Ce n’est certainement pas un hasard si Ursula von der Leyen, la ministre de la défense allemande, a remercié dans son discours de bienvenue son collègue américain pour « l’engagement clair du ministre de la défense américain pour le lien transatlantique ». Pas de remerciement adressé aux Etats Unis, ni à la nouvelle administration, mais à lui, au ministre personnellement. Car "l’OTAN ne va pas de soi – ni pour l’Amérique, ni pour nous Européens. »
Mais les Européens, eux, n’ont pas non plus saisi l’occasion de cette conférence pour s’affirmer comme des acteurs que les amis transatlantiques devraient prendre au sérieux. Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, a, certes présenté l’Union européenne comme un « partenaire stable et fiable » pour la « sécurité par coopération ». Face à « la confusion à laquelle nous nous trouvons confrontés » comme elle dit, on peut lire ses mots comme un beau programme alternatif, même si elle n’a pas prononcé de noms. Mais ce programme aurait bien besoin de plus de substance.
Et même si Jean-Marc Ayrault et Sigmar Gabriel, les ministres des affaires étrangères français et allemands, ont lancé un « appel franco-allemand » afin de renforcer auprès des experts présents la signification de l’Union européenne pour la sécurité et la paix en Europe, ils n’ont rien présenté de bien concret qui aille au-delà de ce qui a déjà été décidé par le Conseil européen. Sigmar Gabriel a cependant soulevé une question clef dans ce contexte, une question qui, jusqu’à maintenant, a souvent été évitée : « Est-ce que nous sommes, en tant qu’Union européenne avec nos structures d’action et notre philosophie politique, compatibles avec le monde d’aujourd’hui ? » Cette question aurait pu être une impulsion forte pour un débat approfondi du caractère et du rôle de l’Union européenne dans le monde, bref, de l’avenir de l’Europe. Il appartient aux ministres de faciliter et de mener eux-mêmes activement une telle discussion.
La Russie, cette année, n’a pas suscité de grand débat. Certes, Sergueï Lavrov, l’éternel ministre des affaires étrangères, a fait référence au discours de Vladimir Poutine il y a 10 ans – quand le président russe avait demandé, à Munich, la fin du monde unipolaire, dominé par les Etats-Unis, et qu’il ne se sentait pas pris au sérieux. Cette année, Sergueï Lavrov, lui, s’est prononcé pour une « ère post-occidentale » - ce qui n’a surpris personne au moment même où l’ère « occidentale », même en Occident, semble toucher à sa fin, avec la montée et l’acceptation des comportements autoritaires et des idées nationalistes. Après tout, Vladimir Poutine se veut, depuis des années, en lutte contre la « décadence occidentale » qui, à ses yeux et aux yeux de ses confrères autoritaires, les empêche de gouverner en contact direct avec leurs peuples, sans représentants gênants.
Et pourtant, Sergueï Lavrov a présenté quelques idées concernant de nouveaux accords de contrôle des armements. Après tous les exercices militaires surprise (« snap exercises ») des Russes depuis 2014 dans les districts militaires occidentaux aux frontières de l’OTAN et le déploiement récent d’unités militaires de l’OTAN dans les pays membres à l’Est (Moscou avait aussi augmenté sa présence militaire dans la partie occidentale de la Russie, en particulier dans l’enclave de Kaliningrad, située entre la Pologne et la Lituanie, tous deux pays membres de l’OTAN), on pourrait se mettre autour d’une table, dit M. Lavrov, et examiner ensemble qui dispose de quelles forces dans quels endroits. Après cela, on pourrait négocier un nouvel accord de contrôle de ces forces et d’autres « mesures de sécurité. »
Seulement, les idées présentées à une conférence, même par un ministre, ne sont pas encore des propositions formelles d’un gouvernement. Et pourtant, à Munich les occasions ne manquaient pas pour les délégations diverses de lancer des initiatives depuis les petites salles de réunion où elles se retrouvaient et pouvaient discuter, en privé, des questions les plus sensibles.