Le mouvement a commencé début février suite à des bagarres récurrentes et particulièrement violentes entre bandes rivales dans un lycée de l’île. Les professeurs ont exercé leur droit de retrait. Dans le même temps, les chauffeurs de bus scolaires se sont mis en grève pour protester contre les caillassages de leurs véhicules aux abords de Mamoudzou, chef-lieu de fait sinon de jure, du département de Mayotte.
C’est ce climat d’insécurité qui a déclenché la mobilisation populaire. Les deux acteurs importants de la contestation sont l’intersyndicale, qui rassemble l’ensemble des syndicats de salariés, et le collectif qui regroupe des associations de citoyens. Ces deux entités ne sont pas tout à fait sur la même longueur d’onde puisque l’intersyndicale exige des investissements massifs de l’État afin de combler l’important retard de développement que connaît Mayotte alors que le collectif se focalise sur la lutte contre l’insécurité et l’immigration illégale.
Un pays pauvre très attractif
Mayotte est le département le plus pauvre de France. Son PIB par habitant est trois fois inférieur à celui de la Réunion. Le taux de chômage est de 26% et les trois-quarts des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. La moitié de la population de Mayotte a moins de 18 ans, la croissance démographique y est la plus rapide de France. Les infrastructures sont insuffisantes dans tous les domaines, de l’éducation à la santé en passant par le réseau routier ou celui de distribution et de traitement de l’eau. L’île est clairement sous-développée.
Malgré cette situation catastrophique Mayotte attire des immigrés venant des îles voisines. Mayotte est un département français mais elle fait partie de l’archipel des Comores. L’Union des Comores, soutenue par l’ONU, réclame toujours la restitution de l’île. Cette situation, couplée avec la grande misère qui règne dans les îles comoriennes, conduit à l’arrivée sur le territoire mahorais de migrants qui sont considérés par la France comme illégaux. Ils vivent dans des conditions très précaires, mais certains Mahorais estiment qu’ils sont responsables de tous les maux de l’île et notamment de l’insécurité. Mayotte est donc en proie à d’incessantes tensions inter-communautaires et on a même vu le Front National y faire un très bon score lors des dernières élections présidentielles.
La récurrence des manifestations et violences
C’est dans ce contexte que fin février le mouvement de protestation s’est durci et que des barrages routiers se sont mis en place. Ils bloquent complètement l’île, tout déplacement devient impossible. Même les malades sont empêchés de se rendre chez le médecin. Des pénuries commencent à apparaître, les rayons des magasins se vident et l’essence se fait rare. Le mouvement n’est pas sans rappeler les précédents, en 2011, 2016 et 2017. En 2011, c’est l’augmentation du coût de la vie qui avait suscité d’importantes contestations sociales. En 2016 une mobilisation de 44 jours, avec barrages, a eu lieu pour "l’égalité réelle". Une grave pénurie d’eau en 2017 a mis en lumière la fragilité des infrastructures de l’île.
Le gouvernement semble n’avoir pris conscience de la situation qu’après deux semaines de blocages. Les interventions des différents ministres n’ont pas calmé les choses et les Mahorais se sentent abandonnés. D’abord annoncée comme indésirable par les leaders du mouvement, la ministre de l’outre-mer atterrit finalement à Mayotte le lundi 12 mars au matin. La division entre les élus du territoire et la population apparaît clairement lorsque les premiers s’empressent de recevoir la ministre alors que la population rejette toute discussion. Des élus sont même sortis de force du conseil départemental par une foule en colère. Les déclarations d’Annick Girardin sont vues comme une provocation par l’intersyndicale et le collectif qui refusent de dialoguer avec elle. Ils revoient finalement leur position et rencontrent la ministre mardi 13 mars en fin d’après-midi. Dans la soirée, un accord est trouvé, la ministre engage le gouvernement sur les questions de lutte contre l’insécurité et l’immigration, le collectif s’engage à lever les blocages. La grève est suspendue pour un mois, le temps de voir si le gouvernement tient ses engagements. La ministre parait s’en tirer à bon compte car aucune proposition n’est faite en matière de santé, d’éducation, de transport ou encore de logement. Certains ont pourtant chiffré un plan de rattrapage à hauteur de 1,8 milliard d’euros.
Les événements de Mayotte rappellent bien sûr ceux de Guyane l’an dernier, liés eux aussi à l’insécurité et au manque d’infrastructures, et posent la question de la gestion par la France de ses territoires ultra-marins, les plus pauvres de France.