Le rapprochement Qataro-Saoudien : entre réconciliation et intérêts géopolitiques.

En juin 2017, toute relation diplomatique avec le Qatar a été rompue par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et l’Égypte. Ainsi un blocus du commerce et de la circulation a-t-il été imposé, mettant le Qatar dans une situation précaire. Tensions extérieures et circonstances exceptionnelles conduisent aujourd’hui à un rapprochement inattendu et à la réouverture des frontières. Apparaît alors un nouveau contexte géopolitique dans la région, où le Qatar est au centre de plusieurs sphères d’influence rivales.

Doha en 2018
ilpaisonline.com

Une réconciliation inattendue

Mené par l’Arabie Saoudite, l’embargo complet de 2017 a été motivé par plusieurs raisons ; le supposé soutien du Qatar aux Frères musulmans, son activisme en faveur des sociétés civiles arabes et son rapprochement avec les deux puissances régionales non arabes, la Turquie et l’Iran. Le Qatar a réagi en niant tous liens avec les Frères musulmans et en mettant en place plusieurs mesures contre l’Arabie Saoudite, notamment une campagne médiatique visant à démontrer la violence du conflit au Yémen et la responsabilité de Ryad. Cependant, malgré le refus par le Qatar de se plier aux 13 demandes imposées par les pays du blocus pour rétablir les relations diplomatiques – notamment l’arrêt de la plateforme “Al Jazeera” - l’accord d’Al-Ula (Arabie Saoudite, le 5 Janvier 2021), annonce la restauration de toutes les relations diplomatiques et la levée du blocus sur le Qatar.

Cette décision, qui paraît à première vue sortie de nulle part, est en fait le fruit de longues manœuvres diplomatiques et de tensions extérieures. Notamment la pression mise par l’administration de Donald Trump, lequel avait souhaité l’unification de la région, pour ajouter une victoire à son bilan et créer un front uni afin de marginaliser l’influence iranienne dans la région. Des spéculations sont aussi présentes concernant des motivations liées à des intérêts de l’entreprise Trump dans la région. En plus des États-Unis, le Koweït a lui aussi été cité pendant le sommet d’Al-Ula par le ministre saoudien des affaires étrangères comme étant un agent majeur pour la réussite de cette réunification des pays du Golfe.

Le Qatar, médiateur clef

Le Qatar, qui avait déjà avant le blocus de bonnes relations avec des grandes puissances non arabes souhaitant accroître leur influence dans la région, a renforcé ses liens avec les rivaux de l’Arabie saoudite. En effet, le petit Etat majoritairement désertique est très dépendant des importations pour soutenir sa population, c’est là où l’aide venant de la Turquie ou de l’Iran devient indispensable. De même pour la compagnie aérienne nationale très renommée Qatar Airways qui se voit contrainte d’utiliser l’Iran comme point de passage obligatoire à cause des interdictions sur l’espace aérien lors du blocus. Cette période voit alors un renforcement des liens entre ces pays, des liens qui seront maintenus même après les accords d’Al-Ula.

Grâce à cette place privilégiée entre ces différents fronts d’influence, le Qatar se place en médiateur pour les discussions internationales avec la Turquie ou l’Iran. On observe aujourd’hui une volonté de rapprochement de la part de la Turquie avec les pays du Golfe, après une histoire tumultueuse et de nombreuses oppositions idéologiques et politiques. La Turquie souhaite améliorer ces relations pour favoriser ses intérêts économiques, ainsi le Qatar se trouve dans une position idéale pour coordonner cette réconciliation et œuvrer à une situation plus paisible au Moyen-Orient. Cependant cette position intermédiaire pose également des problèmes d’équilibre. En effet, l’accord d’Al-Ula souligne bien la nécessité que l’Iran ne se mêle pas des décisions internes des pays du Golfe et le Qatar - qui a déjà été accusé de promouvoir les intérêts iraniens - se trouve dans une situation difficile où il doit équilibrer sa relation favorable avec l’Iran et sa loyauté au CCG (Conseil de coopération du Golfe).

Malgré tout, la réunification du Golfe reste un point culminant de coopération positive au Moyen-Orient, mettant fin à une des crises les plus importantes dans la région durant la dernière décennie. Ce rapprochement ouvre de nouvelles possibilités pour des dialogues entres les grandes puissances de la région. En effet des sommets intégrant Riyad et Téhéran sont déjà envisagés après la réintégration du Qatar. L’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche, la crise sanitaire et économique qui en découle ou encore le regain d’influence russe et chinoise dans la région ne sont sans doute pas étrangers à cette nouvelle donne. En tous cas, il est raisonnable de percevoir le rapprochement du Qatar comme un pas en avant pour une certaine paix au Moyen-Orient.