Comme attendu, Donald Trump vient donc de refuser de "certifier" que l’accord de Vienne (dit aussi JCPOA), passé en juillet 2015 entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité associés à l’Allemagne, répond bien aux intérêts de sécurité des États-Unis.
Par cette décision, il transfère au Congrès la responsabilité de décider dans les soixante jours à venir s’il convient ou non de rétablir tout ou partie des sanctions américaines que l’Accord avait levées ou suspendues. Pour faire levier sur l’Iran, il a ajouté qu’il demandait à son administration de se mettre au travail avec le Congrès et les alliés des États-Unis en vue d’obtenir de Téhéran un certain nombre de concessions majeures des Iraniens : pérennisation de l’accord de Vienne, qui dans sa rédaction actuelle prévoit une levée échelonnée dans le temps des obligations acceptées par l’Iran, bridage du programme balistique de Téhéran, pour éviter qu’il ne devienne une menace majeure pour ses voisins et au-delà.
Des sanctions additionnelles
Et sans attendre, Washington va prendre des sanctions additionnelles contre le corps des Gardiens de la révolution, accusé de semer la terreur et le désordre au Moyen-Orient. Il va aussi entrer en consultation avec ses alliés pour étudier les moyens de contrer les activités "déstabilisatrices" de l’Iran dans sa région. Enfin, si l’ensemble de ces pressions sur l’Iran n’atteint pas son but, Donald Trump a annoncé qu’il se réservait le choix de sortir de sa propre initiative les États-Unis de l’accord, décision qu’il lui est en effet loisible de prendre à tout moment.
Une période de crise et de lourdes incertitudes vient ainsi de s’ouvrir. Il va de soi qu’elle amenera les opérateurs européens et asiatiques qui étaient retournés sur le marché iranien dans le sillage de la levée des sanctions à suspendre ou à ralentir leurs projets. Boeing lui-même, qui espérait vendre plus d’une centaine d’avions à l’Iran va devoir reconsidérer son affaire.
Et à vrai dire, l’issue de la crise, si Donald Trump s’en tient à ses propos de vendredi, laisse peu de place au doute. L’Iran a clairement manifesté son refus de rouvrir la négociation sur l’accord de Vienne, considérant qu’il l’a jusqu’à présent respecté — ce qui est confirmé par l’Agence internationale de l’énergie atomique — et qu’il n’a aucune nouvelle concession à faire. Il aussi catégoriquement rejeté la possibilité de se plier aux exigences américaines en matière balistique, considérant qu’il s’agit d’une affaire de défense, touchant au cœur de sa souveraineté nationale. Dans ces conditions, si chacun campe sur ses positions, les Américains sortiront de l’accord.
Ceci signifie-t-il la fin de l’accord de Vienne ? Non. Les Européens ont déjà manifesté leur intention d’en poursuivre l’application, les Russes et les Chinois de même. Reste à obtenir l’assentiment de l’Iran. Il a de très bonnes chances d’être obtenu, car le gouvernement modéré d’Hassan Rohani a toutes les raisons de préférer le maintien en vigueur de l’accord, même amputé de l’apport américain, à sa pure et simple disparition. Celle-ci risquerait en effet d’entraîner le retour de sanctions européennes, le repli de l’Iran sur lui-même. Et le triomphe des radicaux du régime, hostiles à l’ouverture que l’accord représentait et depuis toujours sceptiques sur la bonne foi des États-Unis.
Une situation plus compliquée pour les entreprises
Même dans l’hypothèse d’une survie de l’accord sans les Américains, la situation deviendra clairement compliquée pour les entreprises étrangères s’intéressant à l’Iran. Au moins pour celles qui sont suffisamment importantes pour être ciblées par les autorités américaines, il sera très difficile d’échapper à des sanctions dès lors qu’elles possèdent des intérêts ou des établissements aux États-Unis.
Devant de telles perspectives, les Européens vont-ils se rebiffer ? Ils ont été de très loyaux soutiens des Etats-Unis lorsqu’il s’est agi, autour de 2010, de faire plier l’Iran pour l’amener à la table de négociation. La France, par exemple, a accepté à l’époque de perdre des milliers d’emplois dans son industrie automobile, alors très liée à l’Iran, pour ne pas contrevenir à l’embargo mis en place par les Américains.
Les choses pourraient être à présent différentes. En punissant seuls l’Iran, en étant responsables de la crise, les États-Unis mettent d’abord en péril la crédibilité de leur parole. Ceci ne facilitera pas la sortie négociée de leur bras de fer avec la Corée du nord.
Sur le plan économique, ils risquent aussi à la longue de porter atteinte à l’usage international du dollar américain, et de favoriser la montée en puissance de l’euro comme monnaie de transaction dans les échanges mondiaux. Total, Airbus, Siemens et d’autres vont sans doute faire pression sur leurs gouvernements et sur Bruxelles pour protéger les contrats historiques qu’ils ont déjà conclus en Iran. Une intense période de négociations tous azimuts va donc s’ouvrir.
Dans ce registre, un coup de théâtre vient d’être frappé par Emmanuel Macron, en faisant annoncer par l’Elysée qu’il envisageait de se rendre en Iran l’année prochaine à l’invitation du Président Rohani. Depuis les débuts de la République islamique, donc depuis 1979, aucun président de la République française ne s’est rendu en Iran. François Mitterrand y avait songé au début des années 1990, quand l’assassinat à Suresnes de l’ancien Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar l’a fait renoncer à son projet.
Lors de sa visite à Paris en 1999, le Président Khatami avait invité Jacques Chirac à Téhéran, mais celui-ci n’a pas osé s’y rendre, jugeant que les conditions politiques d’un rapprochement n’étaient pas réunies.
François Hollande avait aussi été invité en 2016 par Hassan Rohani lors du passage de celui-ci à Paris, mais, prudent, le Président français n’avait pas répondu. Il est certain que le déplacement d’Emmanuel Macron, s’il prend forme, sera la source d’une intense satisfaction à Téhéran. Les Iraniens, il faut le savoir, sont plus sensibles aux gestes de considération qu’aux menaces. Sous la chaleur des compliments, ils se détendent, sous la menace, ils se crispent. La perspective de ce voyage, s’il est bien porteur de solutions, offre au moins une lueur d’espoir dans la crise actuelle.