Les Juifs d’Iran – la plus importante communauté juive du Moyen-Orient, même si elle a beaucoup fondu ces dernières décennies – se situent volontiers parmi les plus anciens occupants du pays. Ils y sont en effet arrivés en plusieurs vagues de déportation, amorcées dès le VIIIème siècle avant l’ère chrétienne quand le royaume d’Israël est détruit par les Assyriens, puis au début du VIème siècle lorsque les Babyloniens conquièrent le royaume de Juda et détruisent Jérusalem.
Un demi-siècle plus tard, l’empereur perse Cyrus s’empare de Babylone et autorise les Juifs à retourner sur leur terre, devenue la province perse de Judée. Le prophète Isaïe le qualifie d’Oint et de Berger du Seigneur, dont Dieu soutient la main droite. Mais beaucoup de Juifs font alors le choix de rester sur place. Peut-être un siècle plus tard se déroule l’épisode relaté dans la Bible par le Livre d’Esther (mais dans aucune autre source indépendante), où Esther donc, épouse juive de l’empereur perse Assuérus, peut-être Xerxès, détourne une conspiration ourdie pour détruire son peuple. Esther a d’ailleurs son tombeau en Iran, ainsi que le prophète Daniel.
En plus de deux mille ans, les Juifs de Perse, puis d’Iran, passent par de longues phases de prospérité, alternant avec des périodes de discrimination et de persécutions. Ils jouent probablement un rôle important dans la diffusion du judaïsme en Europe au Haut Moyen-âge au travers des rives de la Mer caspienne. Certains empires, les Achéménides, les Parthes, puis après l’arrivée de l’Islam, les Omeyyades, les Abbassides, et même par moments les Mongols, se montrent débonnaires à leur égard. D’autres au contraire, les Sassanides, juste avant l’invasion arabe, qui imposent le zoroastrisme comme religion d’État, ou les Safavides à compter du XVIème siècle, qui convertissent de force tout le pays au chiisme, font preuve, au moins par bouffées, de grave intolérance. Comme ailleurs, les Juifs résistent à leur manière, et traversent sans trop d’encombres le XIXème siècle. Mais ils sont alors maintenus dans des ghettos, en un état lamentable d’arriération.
Tout à la fin du siècle, arrive la première lueur d’émancipation, avec l’ouverture des écoles de l’Alliance israélite universelle, où, grâce à des instituteurs venus de France, les Juifs peuvent enfin recevoir (en français) une éducation moderne et retrouver la fierté de leur identité. Enfin, au début du XXème siècle, la Révolution constitutionnaliste, à laquelle d’ailleurs certains participent, efface toute discrimination légale à leur égard et les établit comme citoyens à part entière.
Un député
La République islamique qui s’installe en 1979 n’introduit en principe à l’égard des Juifs aucune disposition discriminatoire. Ils conservent en particulier leurs synagogues et leur liberté de culte. Ils font leur service militaire. Leurs écoles, en revanche, tout en gardant leurs dénominations, sont rattachées au système d’éducation nationale. Ils vivent en symbiose étroite avec l’ensemble de la population, dont ils ne se distinguent pas, sinon par le respect de leurs rites. Mais, de fait, l’administration, l’armée, les entreprises publiques, la vie politique… leur sont fermées.
A noter qu’il leur est accordé un député, élu par la communauté juive, aux côtés d’un député zoroastrien, et de trois députés chrétiens. Ce député, on l’imagine, veille, comme l’ensemble des représentants de la communauté, à proclamer une adhésion sans faille à la République islamique. Celle-ci prend soin en retour de distinguer l’antisionisme, dont elle a fait un dogme fondateur, de l’antisémitisme qu’elle rejette. Dans la réalité, les lignes sont plus brouillées.
Longtemps, les autorités ont interdit aux Juifs de quitter le pays sans autorisation spéciale, et ceux qui s’y sont risqués l’ont fait au péril de leur vie. Un procès inique a été intenté en 2000 à une douzaine de pauvres juifs de Chiraz sous l’accusation d’espionnage en faveur d’Israël, et les a conduits en prison pour plusieurs années. La presse, la télévision chevauchent assez librement la frontière entre antisionisme et antisémitisme, et la présidence d’Ahmadinejad, marquée par des débordements de négationnisme et de haine à l’égard d’Israël, a certainement été douloureuse pour la communauté juive d’Iran. Cette période a heureusement été close avec l’élection en 2013 du président modéré Hassan Rohani, qui a marqué sa différence en adressant des signaux positifs à la communauté juive d’Iran, ainsi qu’aux Juifs du monde entier.
Cette communauté, qui comptait plusieurs dizaines de milliers de membres il y a un demi-siècle, ne doit guère en compter aujourd’hui qu’une dizaine de milles, désormais presque entièrement regroupés sur Téhéran. La plupart sont partis tout simplement faute d’opportunités de carrière, comprenant qu’ils n’étaient tolérés que dans la mesure où ils ne cherchaient pas à s’élever au-dessus de leur condition traditionnelle. Ce mouvement d’émigration s’était d’ailleurs amorcé bien avant la Révolution islamique. Ces Juifs iraniens, ou Iraniens juifs, forment des communautés prospères aux États-Unis, notamment à Los Angeles et à New-York, en Europe et, bien entendu, en Israël. Si loin qu’ils soient de l’Iran, ils restent fortement attachés à la langue, aux coutumes et à la terre de leurs ancêtres.
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