Barack Obama a été élu en 2008 pour sortir son pays et surtout ses soldats de deux bourbiers : l’Irak et l’Afghanistan. Son prédécesseur George W. Bush s’était jeté volontairement en 2003 dans le premier dans le but de se débarrasser de Saddam Hussein, soupçonné de détenir des armes de destruction massive, et surtout de lancer son utopique programme de démocratisation du « Grand Moyen-Orient ». « Notre route commence à Bagdad », affirmaient alors les néoconservateurs qui l’inspiraient. L’aventure en Irak, dira-t-on plus tard, était une « guerre de choix ».
Au contraire, l’intervention en Afghanistan, commencée deux ans plus tôt à la suite des attentats du 11 septembre 2001, était une « guerre de nécessité », destinée à éliminer le régime des talibans qui servait de refuge à Al Qaida, et de construire un Etat viable et débarrassé du terrorisme.
Barack Obama espérait en avoir fini avec ces deux guerres quand il quitterait la Maison blanche en janvier 2017, conformément à ses promesses électorales. Il a retiré le dernier soldat américain d’Irak en 2011 et en 2016 la force internationale aura quitté l’Afghanistan. Il n’avait certainement pas prévu de devoir revenir en Irak et la crainte de se retrouver piégé dans une aventure qu’il n’avait pas souhaité explique qu’il ait renoncé à frapper le régime de Bachar el-Assad après que celui-ci eut utilisé des armes chimiques contre sa propre population à l’été 2013.
Reprise des frappes aériennes
L’avancée de l’Etat islamique en Syrie et en Irak et la proclamation du « califat » en ont décidé autrement. Le président américain s’est vu contraint de reprendre les frappes aériennes dans le nord de l’Irak, voire d’envisager l’envoi d’un petit contingent pour sécuriser l’aide humanitaire destinée aux réfugiés fuyant les crimes des djihadistes.
Y a-t-il une différence radicale entre les deux situations de l’été 2013 et d’aujourd’hui ? En Syrie, Barack Obama s’est longtemps méfié des groupes hétéroclites composant l’opposition au régime de Damas. Il n’était pas le seul parmi les dirigeants occidentaux. La plupart craignaient, comme lui, qu’un appui trop marqué aux insurgés, des livraisons d’armes par exemple, ne renforcent les groupes les plus extrémistes. Ces derniers étaient d’ailleurs bien pourvus en armes modernes, comme on vient de le voir en Irak, par les émirats du Golfe et l’Arabie saoudite.
« Don’t do stupid shit »
Cette politique était à double tranchant. En diplomatie, a dit Barack Obama, il s’adit de ne pas commettre de « bêtises » (Don’t do stupid shit, en version originale). C’eut été peut-être une bêtise d’armer les djihadistes en Syrie mais c’en était une aussi de ne pas soutenir suffisamment l’opposition laïque et démocratique, laissant ainsi le champ libre aux plus radicaux. Dans un long entretien au magazine The Atlantic, Hillary Clinton a critiqué à demi-mot ce refus du président d’aider l’opposition. L’ancienne secrétaire d’Etat (2009-2013) était en faveur d’un engagement plus marqué. Elle n’était pas la seule dans l’entourage du président mais celui-ci en a décidé autrement. « L’incapacité à contribuer à la construction d’une force militaire crédible chez les gens qui étaient les organisateurs des protestations contre Assad – il y avait des islamistes, des laïques, des gens entre les deux —, cette incapacité a créé un grand vide que les djihadistes ont maintenant rempli », a déclaré Hillary Clinton. Ce sont ces mêmes djihadistes qu’on retrouve maintenant dans l’Etat islamique.
Au début de l’avancée de cet Etat islamique, Barack Obama ne s’est pas départi de la prudence manifestée en Syrie. La donne a changé avec la menace pesant sur le Kurdistan et sur Erbil. D’abord, la capitale kurde abrite une forte représentation américaine récemment renforcée par le transfert d’une partie du personnel diplomatique en poste à Bagdad. Barack Obama, qui a pris grand soin de ne jamais déclarer une opposition de principe à toute intervention militaire des Etats-Unis, a érigé la menace directe pesant sur des citoyens ou des intérêts américains, en un des critères justifiant l’usage de la force.
Le Kurdistan, allié des Etats-Unis
D’autre part, la région autonome du Kurdistan est une alliée des Etats-Unis et un des seuls endroits où se trouve un gouvernement « convenable » (decent) de toute la région. Outre les Kurdes, les chrétiens et d’autres minorités sont pourchassés par les djihadistes. En Syrie, la Russie s’est présentée comme le rempart des chrétiens face aux islamistes. Il ne fallait pas la laisser s’attribuer encore ce rôle en Irak, alors que Vladimir Poutine n’avait pas manqué de voler au secours du premier ministre Nouri Kamal al-Maliki quand celui-ci était snobé par les Américains.
Enfin, Barack Obama ne peut pas ne pas ressentir une responsabilité spéciale envers l’Irak. Le chaos qui règne dans le pays est avant tout la conséquence de l’intervention de 2003 et de l’incurie des responsables américains au lendemain de la chute de Saddam Hussein. Les structures étatiques ont été détruites, l’armée décimée, les représailles et affrontements religieux entre chiites et sunnites tolérés. Sans doute Barack Obama a-t-il répété qu’il revenait d’abord aux Irakiens de trouver une issue à la crise politique et à se mobiliser contre l’Etat islamique. Toutefois le retrait total des forces américaines en 2011 a laissé un vide que les extrémistes de tous bords ont rempli. Pour Barack Obama il n’y a pas de retour en arrière possible mais il peut d’autant moins se désintéresser de ce qui se passe en Irak qu’un autre acteur est impliqué : l’Iran qui s’inquiète du sort des chiites irakiens et a donc le même intérêt que Washington à arrêter la progression du « califat ».
Tâtonnements
Le nouvel engagement en Irak constitue-t-il un infléchissement de la « doctrine Obama » ? Pas vraiment. D’abord cette doctrine se cherche. Ensuite le président qui a eu le prix Nobel de la paix en 2009 n’est pas par principe opposé à l’emploi de la force. Dans son discours de remerciement devant le Parlement norvégien, il l’a même théorisé, en appelant au théologien et politologue américain Reinhold Niebuhr. Il est le président américain qui a le plus utilisé les drones pour neutraliser des ennemis. Il y est aidé par les progrès techniques et par le fait que ces engins sans pilote ne mettent pas en danger des vies américaines. Mais Barack Obama a aussi soutenu, après quelques hésitations, l’intervention en Libye. Celle-ci présentait, à ses yeux, l’avantage d’être menée par une coalition d’alliés – essentiellement la France et la Grande-Bretagne. Elle allait dans le sens de sa stratégie qui vise à s’appuyer sur les alliances et sur les institutions internationales pour promouvoir les intérêts américains.
Barack Obama a dessiné les contours de cette doctrine à l’occasion de plusieurs discours, à la réception du prix Nobel de la paix en 2009, devant l’Assemblée générale des Nations unies, plus récemment devant une promotion des cadets de l’académie militaire de West Point. Il ne renonce pas à un « leadership global », contrairement aux reproches adressés par ses adversaires politiques. Mais ce leadership doit s’exercer sans un recours quasi-systématique aux moyens militaires. « Ce n’est pas parce que nous disposons du meilleur marteau que tout problème est un clou », a-t-il coutume de dire. Il veut faire plus appel au « soft power », en montrant l’exemple, en s’appuyant sur ses alliés, en utilisant les organisations internationales, en ayant recours à la diplomatie économique… ce que le politologue Joseph Nye appelait le « smart power », une combinaison intelligente de soft et de hard power.
Une synthèse entre le repli et l’engagement
Barack Obama a compris que le centre de gravité du monde se déplaçait vers l’Asie, d’où le « pivotement » qu’il a défendu avec plus de constance que d’autres présidents américains. Il a toutefois sous-estimé la résistance des anciennes structures, le rôle encore central de l’Europe dans les rapports avec la Russie ou la fonction déterminante du conflit israélo-palestinien dans le monde arabe.
Il a autour de lui des collaborateurs porteurs de conceptions différentes, des internationalistes interventionnistes qui déplorent l’impuissance face aux violations des droits de l’homme, comme des réalistes qui mettent en garde contre l’aventurisme. Il incarne une synthèse, une voie moyenne, la recherche d’une position pour les Etats-Unis correspondant à leurs moyens, à leurs intérêts, aux demandes qui leur sont adressées et à leurs idéaux.
Mais on ne fait pas de la politique étrangère avec des discours seulement, aussi intelligents soient-ils. La mise en œuvre de cette doctrine balbutiante est tâtonnante. Elle compte plus de revers que de succès. Le « redémarrage » (reset) des relations avec la Russie était au point mort avant même l’annexion de la Crimée par Moscou. L’intervention armée directe de la Russie qui menace dans l’est de l’Ukraine créerait une situation à laquelle ni les Etats-Unis, ni l’OTAN, ne semblent préparés. L’aide aux rebelles « modérés » syriens a été trop faible et trop tardive pour empêcher Bachar el-Assad de consolider son pouvoir et les djihadistes d’instaurer le « califat » sur une portion de la Syrie et de l’Irak.
Dans le conflit israélo-palestinien, Barack Obama s’est engagé dès son arrivée au pouvoir, pour ne pas commettre l’erreur de Bill Clinton qui avait attendu les derniers mois de sa présidence. Mais en demandant d’emblée l’arrêt des colonies, il a perdu la confiance des dirigeants israéliens et la tentative de médiation de son secrétaire d’Etat John Kerry a sombré dans l’intervention de Tsahal à Gaza. Jusqu’à maintenant, la main tendue en direction des « rogue states » (les Etats voyous) qui feraient amende honorable n’a pas eu de résultat tangible. C’est pourtant dans les relations avec l’Iran que Barack Obama pourrait engranger le succès le plus spectaculaire, si un accord était trouvé entre les grandes puissances et Téhéran sur le programme nucléaire iranien. Un tel accord sauverait la présidence Obama, au moins en politique extérieure.
Des alliances fluides
Responsable du Council on Foreign Relations de New York, le politologue Richard Haass décrit l’état d’un monde dépourvu de structure dominante. La politique étrangère ne saurait y être guidée par un seul principe, comme au temps de la guerre froide. Les relations entre les divers protagonistes sont complexes : « vous pouvez coopérer avec certains pays sur certains sujets certains jours de la semaine, dit-il, et être en rivalité avec ces mêmes pays sur d’autres sujets à d’autres moments. » Jusqu’à maintenant, les sujets et les conflits n’ont pas interféré les uns avec les autres. Washington et Moscou sont adversaires en Ukraine mais continuent de travailler ensemble sur le nucléaire iranien. Les Etats-Unis sanctionnent l’Iran pour l’amener à un compromis sur son programme nucléaire mais ont un intérêt objectif commun à lutter contre le « califat ». Les djihadistes sont des ennemis en Irak mais dans une certaine mesure et jusqu’à une date récente, ils étaient utiles dans l’opposition à Bachar el-Assad.
Cette complexité ne déplait pas à Barak Obama qui se trouve intellectuellement à l’aise au milieu de ces défis. Il en analyse avec acuité les interconnexions et les subtilités. Mais est-ce un avantage pour un « commandant en chef » ? Cette compréhension fine de la complexité du monde a tendance à le paralyser plus qu’à l’inciter à agir.
Le sénateur John McCain, rival malheureux de Barack Obama aux élections présidentielles de 2008, aime à citer le président Théodore Roosevelt : « Parler doucement et avoir un gros bâton dans la main ». Partisan avéré de la manière forte, il ajoute à l’adresse du président actuel : « Vous parlez fort mais vous n’avez qu’une petite branche à la main ».