Depuis le début de la guerre civile en Syrie, l’Iran et l’Arabie saoudite se livrent une guerre par procuration, chaque puissance soutenant des groupes rivaux qui se combattent dans le pays voisin. La rivalité est à la fois stratégique, politique et religieuse. Téhéran se veut le protecteur des chiites – minoritaires – alors que Riyad prétend représenter les sunnites. L’Iran soutient dans la région des organisations qui contestent le pouvoir saoudien, comme le Hezbollah au Liban. Celui-ci prend une part importante dans le soutien au régime de Bachar el-Assad contre l’opposition syrienne et contre l’Etat islamique. La lutte contre Daech aurait pu rapprocher les rivaux de Téhéran et de Riyad mais chacun a une attitude ambiguë face au califat et poursuit des buts contradictoires avec des moyens différents et des alliés douteux.
Intervention au Yémen
Dans le but affiché de contrecarrer les intentions iraniennes, l’armée saoudienne intervient ouvertement depuis quelques mois dans la guerre civile au Yémen qui oppose les autorités aux rebelles houtistes, proches du chiisme, soutenus par Téhéran. Le nouveau roi Ben Salman a rompu avec la politique prudente de son prédécesseur, le roi Abdallah. Il n’hésite pas à se lancer dans des aventures extérieures pour affirmer la prééminence du royaume et, disent certains experts, pour détourner l’attention des difficultés intérieures liées à la baisse des revenus tirés du pétrole et aux dissensions au sein de la famille régnante.
La crainte de la dynastie saoudienne a été accrue par l’accord sur le programme nucléaire iranien signé le 14 juillet par Téhéran et le groupe P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne). Cet accord permet la réintégration progressive de l’Iran dans la communauté internationale. Il risque, aux yeux des Saoudiens, d’augmenter les moyens et partant d’élargir l’influence de leur rival pour l’hégémonie régionale.
Réintégrer l’Iran
En signant cet accord, l’objectif des Occidentaux, et en particulier des Américains, est en effet double : écarter le danger d’un Iran doté de l’arme nucléaire et satisfaire le besoin de reconnaissance du pays comme étant une puissance régionale. Cette reconnaissance devrait pousser le régime des mollahs à trouver un rôle stabilisateur au lieu de chercher à s’imposer en soutenant des rebellions ou des tentatives de sécession. Jusqu’à maintenant ce pari n’est pas gagné, même si les Iraniens ont accepté de s’asseoir à la même table que les Occidentaux, les Russes et les Saoudiens pour discuter de l’avenir de la Syrie. Sans eux, l’esquisse de plan de paix adopté à l’ONU en décembre n’aurait pas pu voir le jour ou resterait une coquille vide.
La rupture diplomatique entre Téhéran et Riyad consécutive à l’exécution d’al-Nimr, remettra-t-elle en cause le fragile accord trouvé à l’ONU ? Elle aggrave en tous cas une situation déjà très compliquée. Il est indéniable que l’Arabie saoudite a encore jeté de l’huile sur un feu loin de s’éteindre. Elle a d’ailleurs immédiatement rompu le cessez-le-feu au Yémen après les manifestations contre son ambassade à Téhéran alors même que les autorités iraniennes ont fait preuve d’une certaine fermeté. Si l’ayatollah Khamenei a invoqué la « vengeance de Dieu », la police a arrêté quarante manifestants et le président Rohani a qualifié l’attaque de l’ambassade d’« inacceptable et injustifiable ».
Le ton n’en a pas moins monté des deux côtés et la guerre par procuration entre Téhéran et Riyad se double d’une guerre des mots. La crise dégénérera-t-elle en conflit ouvert ? Le pire n’est jamais sûr mais dans un Moyen-Orient à feu et à sang tout est possible. Les puissances extérieures, Etats-Unis, Russie, Europe, y ont chacune leurs clients mais leur influence reste limitée. En accordant trop souvent la priorité à leurs intérêts stratégiques ou commerciaux, elles ont donné l’impression de cautionner des pratiques internes inadmissibles et des menées extérieures dangereuses.