Le mercredi 5 novembre, John Kerry est venu voir à Paris Laurent Fabius, manifestement pour répondre à ses questions sur le « document-cadre » récemment présenté par les Américains aux Iraniens « en vue de répondre à leurs besoins énergétiques pacifiques ». Deux jours auparavant, Barack Obama, au cours d’une conférence de presse, avait fait allusion à ce document qui doit beaucoup ressembler à un avant-projet d’accord.
Fort probablement, le secrétaire d’Etat américain a aussi demandé au ministre français des affaires étrangères son aide pour obtenir, au rythme opportun, la suspension ou la levée des sanctions de l’Union européenne à l’égard de l’Iran.
Mais le motif principal de son déplacement a été de s’assurer que le chef de la diplomatie française ne renouvellerait pas son esclandre du 9 novembre 2013 à Genève, lorsqu’il avait publiquement qualifié de « marché de dupes » le projet d’accord négocié entre Américains et Iraniens. Ce texte venait d’être découvert par les autres membres du groupe P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne).
Cette fois-ci, John Kerry ne prend aucun risque et tient soigneusement au courant son collègue français des derniers développements de la négociation entre l’Iran et les Etats-Unis.
Deux jours plus tard, Catherine Ashton a de son côté réuni à Vienne les directeurs politiques du groupe P5+1 pour un tour d’horizon des récents contacts des uns et des autres avec les Iraniens. A nouveau, il s’est agi de vérifier que chacun disposait du même niveau d’informations et était bien d’accord sur la dernière tournure des événements.
L’indispensable accord des Russes
Le lendemain, samedi 8 novembre, John Kerry et Sergei Lavrov ont eu un entretien bilatéral à l’occasion de la réunion à Pékin du forum de l’APEC (coopération économique Asie-Pacifique). John Kerry a sans aucun doute voulu vérifier une dernière fois que la Russie était prête à accepter pour un temps sur son sol et à incorporer dans des éléments combustibles destinés au réacteur de Bouchehr l’essentiel de l’uranium légèrement enrichi produit par les Iraniens. Cette opération doit permettre de rallonger le fameux « breakout time », ou temps de course à la bombe, nécessaire pour accumuler assez d’uranium enrichi pour la confection d’un premier engin nucléaire. Elle doit en conséquence mieux faire accepter au Congrès américain et au gouvernement israélien la présence sur le sol iranien de quelques milliers de centrifugeuses. John Kerry est conscient du fait que la pleine coopération des Russes sur ce point est cruciale pour parvenir à un accord, et, là encore, ne veut prendre aucun risque.
Ainsi couvert sur ses arrières après ses entretiens avec Laurent Fabius et Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie américaine a pu rencontrer, dimanche à Oman, son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, pour deux jours d’entretiens en compagnie de Catherine Ashton. Ceci devrait permettre d’arrêter tous les paramètres du prochain « Plan global d’action ».
La levée des sanctions
L’accord russe étant acquis sur le transfert et le traitement de l’uranium légèrement enrichi iranien, le nombre de centrifuges dont l’activité serait autorisée dans les années à venir ne devrait plus poser grand problème. Le dernier obstacle concernerait alors le calendrier de suspension et de levée des sanctions.
Après sa conversation avec Laurent Fabius, et avec l’appui de Catherine Ashton, John Kerry devrait être en mesure de mettre en valeur la disposition de l’Union européenne à lever ou à suspendre dans un délai assez rapproché un ensemble significatif de ses propres sanctions. Quant aux sanctions américaines, il ne lui sera pas difficile de convaincre son interlocuteur que la seule solution réaliste, s’il veut conclure sans plus tarder, est d’accepter le principe d’un accord qui n’aurait pas besoin de la ratification du Congrès.
Le président américain agirait alors par décrets et, autant que nécessaire, par exemptions (« waivers ») aux sanctions votées par le Congrès. Les choses iraient ainsi jusqu’à la fin de son mandat, Barack Obama laissant à son successeur la responsabilité de proposer au Congrès de lever des sanctions américaines contre l’Iran. John Kerry pourra plaider que si l’accord a été entre temps fidèlement appliqué à la satisfaction des deux parties, il sera pratiquement impossible à quelque président et quelque Congrès que ce soit de détruire un tel acquis et de prendre le risque d’un saut dans l’inconnu.
Dans la foulée de cette rencontre trilatérale une rencontre est prévue à Oman au niveau des directeurs politiques entre l’Iran et le groupe P5+1. Elle doit permettre de tirer les conclusions de la rencontre ministérielle venant de s’achever et de collationner tous les éléments de l’accord final. Après un délai d’une semaine laissant aux négociateurs le temps de consulter leurs capitales respectives et d’informer autant que de besoin les observateurs intéressés au premier chef : directeur général de l’AIEA, secrétaire général de l’ONU, Arabie Saoudite, Israël…, les membres du P5+1 et l’Iran prévoient de se retrouver à Vienne le 18 novembre, juste une semaine avant la date-butoir du 24 novembre fixée à la négociation. Ce temps devrait suffire à procéder aux derniers réglages du « Plan global d’action ». Les négociateurs pourront alors inviter leurs sept ministres des affaires étrangères, plus Catherine Ashton, à rallier Vienne pour procéder – enfin ! – à la signature de l’accord.