Allemagne : Une fin de régime pour relancer l’Union

Le soulagement a été général dans la plus grande partie de l’Allemagne, comme chez ses principaux partenaires européens, à commencer par la France d’Emmanuel Macron : connu le dimanche 4 mars au matin, après des semaines de suspens, le résultat de la consultation organisée par le parti social-démocrate pour demander à ses militants d’accepter ou non la reconduction de son alliance gouvernementale avec le parti chrétien démocrate d’Angela Merkel, a redonné un peu d’air à l’Europe.

La grande coalition : Horst Seehofer (CSU), Angela Merkel (CDU) et Martin Schulz (SPD)
Jens Gyarmaty

Le jour même où les Italiens votaient à leur tour pour plonger leur pays dans l’inconnu institutionnel, le oui à l’arraché du SPD, obtenu finalement avec une large majorité de 66%, donne un répit aux deux grands partis populaires pour mettre en œuvre leur programme de coalition, qui prévoit une relance de l’Union européenne après le Brexit. Mais la nouvelle période qui s’ouvre est aussi pleine d’incertitudes pour eux. Il s’agira pour chacun de panser ses plaies, avec l’extrême droite en embuscade.

Les deux grands partis en crise

Le 14 mars, le Bundestag est officiellement appelé à introniser pour la quatrième fois la chancelière sortante dans ses fonctions. Depuis les élections de septembre 2017, il s’est donc écoulé cinq mois pendant lesquels les affaires courantes étaient expédiées par la chancelière s’appuyant sur la même majorité parlementaire sortante que celle qui va désormais gouverner l’Allemagne pour les quatre années à venir. Cette continuité ne doit pas être trompeuse. Depuis septembre le pays a connu une phase d’instabilité politique inhabituelle, avec l’échec d’une première tentative de coalition entre CDU, Libéraux et Verts, suivi par les hésitations du SPD. L’accord intervenu ne saurait occulter que les deux grands partis, qui structurent traditionnellement la vie politique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ont connu en septembre leurs plus mauvais scores électoraux et sont l’un comme l’autre en crise.
« Un nouveau départ pour l’Europe, une nouvelle dynamique pour l’Allemagne, une nouvelle cohésion pour notre pays » : tel est, résumé dans son titre, le nouveau programme que les coalisés se sont donné pour la législature. Ce programme avait été négocié sous la houlette de la chancelière et du président sortant du SPD, Martin Schulz. L’ancien président du Parlement européen, qui vient de payer les pots cassés de la crise de son parti en démissionnant de toutes ses fonctions, y aura tout de même laissé son empreinte. Pour la première fois, le programme place la relance de l’Europe, et donc la volonté de répondre à la main tendue de la France d’Emmanuel Macron, en tête des objectifs que se fixe le nouveau gouvernement.

Fragile coalition

Que pourra faire celui-ci ? Les ambitions du président français, telles que présentées dans son discours de la Sorbonne en septembre, paraissent à ce jour hors de portée de l’Allemagne. La fragilité de la coalition qui se met en place ne permettra pas à la chancelière, si tant est qu’elle en ait l’ambition, de faire ce qu’elle veut. Oui à une Europe de la défense, par exemple ? Mais ce oui devra tenir compte des réticences traditionnelles de l’Allemagne à voir se constituer une véritable force de frappe européenne. Les sociaux-démocrates ont déjà fait savoir qu’ils n’entendaient pas céder aux sirènes de l’Alliance atlantique, qui demande à tous ses membres de porter leur budget militaire à 2% du PIB, ce qui correspond aux engagements de la France et de la Grande Bretagne mais est encore loin de ce que l’Allemagne envisage de faire malgré de véritables problèmes de fonctionnement des équipements de la Bundeswehr.
De même pour le renforcement prévu par Paris et Bonn de la zone euro. Le président par intérim du parti social-démocrate, Olaf Scholz, maire de Hambourg, pressenti pour remplacer à la tête du ministère des finances le chrétien démocrate Wolfgang Schäuble, devenu président du Bundestag, a prévenu qu’il s’en tiendrait à la ligne de son prédécesseur sur le contrôle des dépenses. La discussion menée sous la houlette de Martin Schulz pour faire accepter aux Allemands une plus grande solidarité financière au sein de la zone euro, en sortant du credo de la discipline budgétaire comme fin en soi, ne veut pas dire que la coalition qui s’installe sera capable de grandes avancées.

Un sursaut de réalisme au SPD

Les priorités des deux grands partis pour les prochains mois vont être dominées par la nécessité de se reconstruire. La prudence avec laquelle les dirigeants du SPD ont annoncé les résultats de la consultation de leurs militants en dit long sur la fragilité du consensus qui s’est finalement dégagé. Avec 66%, le score est certes réconfortant. Il est supérieur aux 56% des voix par lequel le Congrès du SPD avait approuvé l’ouverture des négociations de coalition quelques semaines avant. Il montre que le réalisme a prévalu alors que le désarroi du parti, déchiré sur la participation au gouvernement, avait précipité sa chute dans les sondages, lui laissant prévoir une nouvelle défaite cinglante s’il y avait des élections anticipées, et la possibilité d’être doublé par l’extrême droite : bref un scénario à la française, et maintenant à l’italienne, pour la gauche de gouvernement allemande. Mais ce sursaut de réalisme, combattu par l’aile gauche du parti emmenée par le mouvement des jeunes socialistes , les Jusos, ne préjuge pas d’un appui sans faille à ses dirigeants pendant la législature.
Un congrès est prévu dans les semaines qui viennent pour élire le ou la successeur de Martin Schulz à la tête du parti. Andrea Nahles, actuelle présidente du groupe parlementaire au Bundestag, est la favorite. Venue elle aussi de la gauche du parti, ancienne fondatrice d’Attac Allemagne, originaire du massif de l’Eiffel, entre le Rhin et la Belgique, ministre des affaires sociales du gouvernement sortant, elle a été aux côtés de Martin Schulz la grande négociatrice du programme de coalition. A peu près assurée de son élection, elle n’est pas à l’abri de contre-candidatures qui affaibliraient sa présidence.

Etats d’âme à la CDU-CSU

La CDU, comme son alliée, la CSU bavaroise, connaissent elles-aussi des états d’âme. Si Angela Merkel, devenue chancelière en 2005, peut espérer battre le record de longévité de son ancien mentor, Helmut Kohl, à la tête du gouvernement, sa succession est désormais ouverte. Sa politique centriste, qui lui a valu de dominer jusqu’ici ses adversaires plus à gauche en leur coupant l’herbe sous les pieds (abandon du nucléaire, salaire minimum, mariage pour tous etc…), lui a fait perdre du terrain sur son aile droite. Sa politique généreuse à l’égard des réfugiés de Syrie et d’Afrique est l’une des causes du malaise sur lequel capitalisent les partis d’extrême droite, emmenés par l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), qui dispose désormais du principal groupe parlementaire d’opposition. Elle a fait ressurgir d’autres problèmes non résolus, comme la persistance d’un décalage non réglé depuis la réunification entre l’Ouest et les régions rurales de l’ancienne Allemagne communiste de l’Est, grandes perdantes de l’essor économique dont l’Allemagne peut se prévaloir.
D’une manière générale, l’Est de l’Allemagne, sous-représenté dans les centres de décision fédéraux, a vu ressurgir, avec l’afflux des réfugiés, des problèmes d’identité non résolus que l’on observe dans les autres pays d’Europe centrale membre de l’Union européenne. La droite du parti chrétien-démocrate entend bien là aussi se faire entendre face au gouvernement qui se met en place. Elle ne facilitera pas la tâche d’Angela Merkel dans ses négociations sur le renforcement de la zone euro, qui suscite toujours parmi les économistes allemands, à commencer par les dirigeants de la Bundesbank, sa banque centrale, des réticences très fortes.