Le chancelier Olaf Scholz est optimiste – comme toujours. Il est sûr de pouvoir gagner les élections législatives prévues pour le 28 septembre 2025 et rester locataire de ce que les Berlinois appellent „la machine à laver“, la chancellerie. Il est optimiste malgré les sondages désastreux et les défaites sanglantes de son parti social-démocrate (SPD) aux élections européennes, mais surtout aux régionales du 1er septembre en Thuringe et en Saxe. Dans les deux „Länder“, les résultats du SPD, faisant partie des coalitions gouvernementales à Erfurt et à Dresde, sont restés en-dessous des 10% : 6,1% en Thuringe et 7,3% en Saxe. Au Brandebourg seulement, le 22 septembre, où son „camarade“ Dietmar Woike était le chef du gouvernement sortant à Potsdam, le SPD est arrivé en tête avec 30,9% et une petite avance sur l’extrême droite de l’AfD (29,2%). D’où l’optimisme du chancelier, résident de Potsdam, qui se voit conforté dans l‘expertise qu’il réclame pour sa capacité de rattrapage - la transformation de mauvais chiffres dans les sondages en „victoires“ aux urnes. C’est ce qu’il a réussi aux législatives de 2021, dit-il ; c’est ce qu’a fait son ami Woike le 22 septembre en rattrapant un décalage important dans les sondages par rapport à l’extrême droite de l’AfD. Et c’est ce qu’il va obtenir à nouveau dans un an, dit le chancelier, sans aucun doute.
Pas question alors pour le SPD de s’inquiéter ? Le taux de satisfaction du travail d’Olaf Scholz dans les sondages reste au plus bas : 16% des sondés seulement sont contents du travail de la coalition, 18% le sont du travail du chancelier (les chiffres les plus bas pour ses deux prédécesseurs sont : pour Angela Merkel 40%, pour Gerhard Schröder 24%). Il n’a pas non plus, comme Dietmar Woike, d’avance personnelle sur son opposant dans les sondages – au contraire. Le 23 septembre, Friedrich Merz, le chef du premier parti d’opposition, la CDU, a été officiellement proclamé candidat à la chancellerie. Et le chancelier traîne derrière : 37% des personnes interrogées disent que M. Scholz serait le meilleur des deux, 43% disent que ce serait M. Merz. Mais le chancelier préfère la vue optimiste des choses car il est persuadé qu’il sait faire – comme toujours. La situation politique en Allemagne, un an avant les échéances nationales, est plus compliquée que ce que veut faire croire le chancelier – beaucoup plus compliquée. Ceci à trois niveaux :
Le poids politique de l’Alliance Sarah Wagenknecht
Au niveau régional, la position de l’ensemble des partis démocratiques est devenue plus fragile. Dans aucun des trois „länder“ des majorités ne peuvent être formées sans l’appui d’un des deux partis extrémistes – l’extrême droite de l’AfD, fascisante, xénophobe, radical-nationaliste ou bien la toute nouvelle „Alliance Sarah Wagenknecht“ (Bündnis Sarah Wagenknecht, BSW) qui vient juste d’être créée en début d’année et qui a été formée par des dissidents du parti „Die Linke“ (La Gauche, héritière du parti communiste de l’ancienne RDA) à l’initiative de Sarah Wagenknecht. Celle-ci est députée au Bundestag depuis 2009. De 1991 à 2010 elle a fait partie de la direction de la „plateforme communiste“ au sein du parti Die Linke. Pour elle, épouse d’Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, puis de „Die Linke“, son ancien parti ne s’engageait pas suffisamment pour les problèmes sociaux du pays. En même temps, elle se prononce pour un régime strict d’immigration et, surtout, après l’attaque de l’armée russe sur l’Ukraine, elle n’arrête pas de demander un cessez-le-feu et des négociations avec Poutine pour terminer cette guerre. Ainsi, son „alliance“ mélange les sujets de gauche (pour le monde du travail, en principe) et de droite (baisse de l’immigration) ainsi, comme l’AfD, d’opposition à l’Otan, aux USA et à l’UE. En outre, cette „alliance“ sous le nom de sa fondatrice n’a pas, à ce jour, de structure réellement démocratique. Elle a juste su recruter suffisamment de personnes pour être candidats aux élections et limiter le nombre d’adhérents à 450, dont 40 au Brandebourg, 60 en Saxe, 80 en Thuringe. 17.000 personnes se sont inscrites comme “supporters”. L’adhésion à cette nouvelle formation politique est strictement contrôlée par la petite équipe autour de Mme Wagenknecht – pour empêcher de mauvaises surprises.
Bref, les partis démocratiques, pour obtenir des majorités aux parlements régionaux, ont le choix entre une coopération avec les extrémistes de droite de l’AfD et les amis de Sarah W. Il n’y a pas d’autre majorité possible. Comme tous les partis ont exclu toute coopération avec l’AfD —qui est quand-même arrivée à devenir la première ou la deuxième force politique dans les « länder » où les électeurs se sont prononcés— on constate que les premiers ministres sortants (Michael Kretschmer à Dresde, CDU, et Dietmar Woike à Potsdam, SPD, ainsi que Mario Voigt à Erfurt, CDU, qui est arrivé deuxième) ont déjà, chacun d’eux, fait le voyage à Berlin pour être reçu par Mme Wagenknecht pour un premier entretien. Ici, il faut rappeler, que celle-ci a déjà déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’entrerait dans aucune coalition qui ne demanderait pas, dans le contrat de coalition par écrit, la fin des livraisons d’armes par l’Allemagne à l’Ukraine et l’interdiction pour les USA de stationner, comme convenu avec le gouvernement fédéral, des missiles de croisière sur le sol allemand – des sujets politiques qui ne peuvent être, en aucun cas, matière d’un contrat de coalition pour un gouvernement régional.
Ce poids politique d’un mouvement né il y a quelques mois seulement, sans structure établie et encore sans programme, pose un problème réel et grave pour les responsables au niveau régional qui sont dans l’obligation quand-même de former un gouvernement. Mais cela pose un problème réel et grave aussi pour les partis démocratiques au niveau national, car cette demande est un affront pour le gouvernement fédéral et le Bundestag. Elle touche aussi au cœur, à l’âme même des philosophies politiques des partis en question. Désormais, ici l’art des coalitions touche à sa fin. D’autres formules doivent être recherchées et trouvées pour gouverner le pays. Les succès électoraux des extrêmes dans ces trois „länder“, ca. 30% pour l’AfD, entre 11,8 et 15,8% pour le BSW au premier coup, a des répercussions immédiates et directes sur la politique à Berlin.
La « coalition de progrès » affaiblie
Au niveau national, la „coalition de progrès“ au pouvoir est encore plus affaiblie. Toute la direction fédérale du parti Les Verts, parti du vice-chancelier Robert Habeck, vient d’annoncer sa démission. Explicitement, elle assume la responsabilité pour les défaites électorales des Verts dans ces élections récentes. Ils ne sont plus présents dans les diètes de Thuringe et du Brandebourg, pourtant résidence de la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock (Les Verts) ; ils ont gardé de justesse leur présence en Saxe ; et leurs voix ont été divisés par deux aux européennes. Ils ont, avant tout, perdu des voix auprès des jeunes au profit surtout de l’AfD. Aussi, la direction fédérale de la „Jeunesse Verte“ vient de démissionner et d’annoncer que les personnes, qui la constituent, vont quitter le parti après le congrès fédéral fin octobre et former un „mouvement des jeunes vraiment de gauche“. Plusieurs directions régionales ont suivi l’exemple. Le parti des Verts se retrouve donc dans une situation de réorientation complète.
Et ceci au moment des préparations pour les législatives de l’an prochain quand le vice-chancelier Robert Habeck s’apprête à se battre pour devenir chancelier. Crédités dans les sondages de seulement 11% actuellement, les Verts se lancent alors dans une action audacieuse - leur seule chance, peut-être, pour terminer cette coalition en vainqueurs.
L’autre partenaire de la coalition à Berlin, les libéraux du FDP, a été pratiquement anéanti avec 0,9% (Thuringe), 1,1% (Saxe) et 0,8% (Brandebourg) des voix et leur disparition pure et simple des parlements régionaux. Son président, Christian Lindner, le ministre des finances, n’a pas démissionné. Il a choisi d‘annoncer que cet automne sera un „automne de décisions“. Il faut que la coalition soit courageuse, dit-il ; courageuse pour prendre des décisions dans le sens évoqué par lui-même ; ou bien les libéraux doivent être courageux pour déclencher une „nouvelle dynamique“. Désormais, la fin de ce gouvernement de coalition à Berlin avant la fin de l’année n’est plus du tout exclue.
L’optimisme d’Olaf Scholz
Et le SPD, parti du chancelier, grand perdant dans deux de ces élections régionales, perdant auparavant dans les élections européennes, petit gagnant de justesse au Brandebourg ? Voir plus haut : Olaf Scholz est optimiste. Les membres de la direction de son parti qui s’expriment, confirment qu’ils veulent gagner les élections avec Olaf Scholz. Mais ce ne sera qu’au congrès du parti au mois de juin prochain qu’il va officiellement désigner son candidat à la chancellerie, disent les présidents du parti. Depuis, des voix se lèvent au sein du parti qui expriment leur doute sur la question de savoir si Olaf Scholz est vraiment le bon candidat pour gagner. Olaf Scholz, lui, n’en doute pas – jamais.
Ainsi, au niveau européen, la position de l’Allemagne pose encore plus de questions. La prise de décisions en conseil avait déjà été rendue difficile dans le passé par les problèmes internes de la coalition à Berlin qui, plusieurs fois, avait peiné à se mettre d’accord entre partenaires. Etant donné qu’on doit constater maintenant un „chacun pour soi“ des partis formant la coalition, il sera de plus en plus difficile à Bruxelles de compter sur Berlin. En fait, dans les sondages actuels, 49% des sondés sont persuadés que les bagarres en public entre les partenaires vont encore augmenter, 43% croient qu’elles vont continuer. Le SPD se prépare au rattrapage des voix en insistant sur les projets purement sociaux-démocrates, qui lui sont chers ; les Verts se relancent dans un effort pour retrouver leur état d’âme autour de leurs thèmes qui sont avant tout la protection de l’environnement et du climat, et de remplacer le SPD à la chancellerie ; les libéraux se battent tout simplement pour survivre.
Et tous se trouvent en face du défi que représente la montée de l’extrême droite dont les discours politiques (priorité nationale, sécurité, stop à l’immigration „irrégulière“, sous-entendant qu’elle est source de criminalité – ce sont les paroles de l’AfD) ont trouvé leur place au sein de la droite classique. Ainsi, la décision du gouvernement fédéral –d’une ministre de l’intérieur social-démocrate - de réinstaller, à partir du 16 septembre, des contrôles à toutes les frontières terrestres, y compris celle avec la France, s’explique par l’appel de l’opposition conservatrice au gouvernement fédéral de „faire quelque chose“ après les attentats à Solingen et à Mannheim, où des réfugiés avaient commis des meurtres dans l’espace public. Deux réfugiés, qui auraient dû quitter le pays, une décision que les administrations locales n’avaient pas réussi à exécuter.
Les jeux politiques avec les peurs et les angoisses des gens face à toutes les incertitudes d’aujourd’hui, et la perte de confiance en la politique et en les politiques ensuite, renforcée par des activités de désinformation ciblées, vont continuer à compliquer les choses à tous les niveaux. Et les Autrichiens viennent d’élever l’extrême droite au premier rang de leurs partis politiques !