Allemagne : la succession d’Angela Merkel divise la CDU

Le successeur d’Angela Merkel à la présidence de la CDU sera désigné le 7 décembre. Deux des trois principaux candidats, Friedrich Merz et Jens Spahn, critiquent l’action de la chancelière, en particulier sa politique migratoire. Ils défendent une ligne résolument conservatrice. La troisième postulante, Annnegret Kramp-Karrenbauer, qui est considérée comme sa dauphine, soutient son bilan. L’une des questions que pose cette succession est de savoir si la nouvelle direction du parti démocratie chrétienne restera fidèle à l’héritage pro-européen de la démocratie chrétienne et si elle saura pousser la chancelière à aller de l’avant, en particulier sur la défense européenne et le renforcement de la zone euro.

F.Merz, AKK et J.Spahn, les trois candidats à la succession de Merkel
JOHN MACDOUGALL/AFP

Si l’Allemagne, qui a aussi à l’occasion ses casseurs, est épargnée à ce stade par les violences que cristallise le mouvement des gilets jaunes en France, elle n’en traverse pas moins une crise de représentativité politique à laquelle de moins en moins de pays échappent en Europe. Après avoir mis des mois, au lendemain des élections de septembre 2017, à former un gouvernement de coalition, après avoir dû subir deux élections régionales catastrophiques pour ses couleurs, Angela Merkel, au pouvoir depuis 2005 mais de plus en plus contestée par ses propres troupes, a été contrainte d’ouvrir sa propre succession. Si elle entend rester chancelière pour le dernier mandat qui lui a été confié, elle a renoncé en octobre à la présidence de son parti, qu’elle exerce depuis 2000 et qu’elle avait jusqu’ici menée d’une main de fer tout en conduisant le gouvernement.
Merkel connaîtra ce week-end le nom de la personnalité qui lui succédera à la tête du parti chrétien démocrate, avec lequel ou laquelle elle devra composer ces prochaines années pour diriger l’Allemagne. Le congrès de la CDU, avec ses 1001 délégués réunis à Hambourg les 7 et 8 décembre, est appelé à choisir entre plusieurs candidats. Les trois principaux ont, ces dernières semaines, débattu de leur programme dans huit forums régionaux organisés à travers toute l’Allemagne, le dernier à Berlin. Les débats ont été dominés par deux questions : la politique d’immigration de la chancelière mais aussi sa politique sociale, jugée trop complaisante à l’égard de l’allié social-démocrate.

Merz et Spahn, une ligne résolument conservatrice

Accusée par ses critiques d’avoir joué avec les nerfs de ses compatriotes en acceptant d’accueillir des centaines de milliers de réfugiés de Syrie et d’Afrique lors de la vague de 2015, Angela Merkel est rendue responsable du succès du parti d’extrême droite Afd, d’abord à l’est de l’Allemagne, puis dans les régions que l’on pensait moins perméables à l’ouest, comme en Hesse où elle a réalisé un score de 15% en octobre - loin pourtant derrière les Verts qui récupèrent des franges plus modérées d’un électorat de droite aussi déboussolé que celui des sociaux-démocrates. Les autres sujets, notamment la politique européenne, n’ont pas fait l’objet de véritables controverses, tant il est vrai que la prudence d’Angela Merkel en la matière offrait peu de prises à la critique.
Deux des trois principaux candidats à la succession ont défendu une ligne résolument conservatrice : le rhénan Jens Spahn, le plus jeune, 37 ans, qui a bénéficié du « mariage pour tous », défendue par la chancelière, pour épouser son compagnon, a agrégé autour de lui au Bundestag un courant très critique, notamment à l’égard de la politique d’immigration. Son activisme lui a valu d’être nommé ministre de la santé. Plus aguerri, Friedrich Merz , 63 ans, avait renoncé à une carrière politique brillante après avoir été mis sur la touche par la future chancelière au début de son ascension. Il avait été pourtant le chef du groupe parlementaire CDU. Depuis il a fait une carrière d’homme d’affaire dans la finance, où il a amassé une fortune. Candidat des entrepreneurs, il a aussi critiqué la politique d’immigration de la chancelière, promis de ramener la CDU sur le droit chemin des valeurs conservatrices et du libéralisme économique. Il a clôturé sa campagne en proposant des incitations fiscales pour que la population investisse dans la bourse pour aider à améliorer ses retraites.

AKK, la dauphine

M. Merz était, à l’approche du congrès, au coude à coude dans les préférences des délégués avec celle qui passe pour la dauphine de la chancelière, Annegret Kramp-Karrenbauer, dite AKK, la plus populaire au sein de l’électorat. Ancienne ministre-présidente de la région de Sarre, devenue depuis peu, en février, secrétaire générale du parti chrétien démocrate, elle a parcouru les fédérations de la CDU pour préparer le futur programme de son parti. Cheveux courts et physique énergique de directrice d’école, AKK , 57 ans, mère de famille et chrétienne pratiquante, a défendu le bilan de la chancelière, tout en proposant elle aussi des changements ou des aménagements, notamment sur la conduite des débats internes au sein du parti. S’il est un reproche fait à l’ère Merkel, c’est celui d’avoir étouffé toute opposition interne, empêchant l’émergence d’une relève et favorisant l’expression des frustrations en dehors de la CDU. AKK s’est engagée à remettre la base du parti dans la boucle.
L’Allemagne n’échappe pas à la tendance générale des pays européens à l’affaiblissement des grandes formations politiques qui ont structuré depuis la seconde guerre mondiale les paysages politiques et ne parviennent pas à gérer les nouvelles demandes politiques. « La crise allemande : les faiblesses des partis populaires, la faible République », alertait le magazine der Spiegel en février en pleine crise gouvernementale. A gauche, le parti social-démocrate n’en est pas encore au stade du parti socialiste français, désagrégé par la chute de François Hollande, ou de la gauche italienne, mais il atteint des records de baisse dans les sondages. Si la CDU n’est aujourd’hui qu’à 28% d’intentions de vote, le SPD est tombé à 15%, faisant jeu égal avec l’AfD, largement devancé par les Verts, les grands gagnants de cette nouvelle situation, qui font du parti, contrairement aux écologistes français, un parti de gouvernement ouvert aux coalitions.

Fronde interne au SPD

La décision des dirigeants du SPD de reconduire en mars -faute de choix- leur grande coalition avec la CDU, pour ne pas laisser le pays sans gouvernement continue d’alimenter une fronde interne contre ses dirigeants, notamment sa présidente, Andrea Nahles, pourtant issue de l’aile gauche du parti. Là aussi on lui reproche autant de faire le jeu de la droite que l’absence de démocratie interne au sein du parti, sans qu’aucune ligne d’opposition structurée n’apparaisse, sinon la fronde de la jeunesse social-démocrate, les jusos, sur une ligne de remise en cause jusqu’au-boutiste, notamment celle des lois Harz.
Imposées en leur temps par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder pour juguler le chômage, ces lois, qui ont conduit à la précarisation d’une partie de la population sous-employée, qui n’ont pas de syndicats pour les défendre, ont été applaudies par le business en même temps que l’écart s’accroissait avec les nouveaux riches, comme Friedrich Merz. Elles restent un ferment permanent de cette frustration multiforme véhiculée par les réseaux sociaux, les médias, les discours populistes de tous bords, prenant de vitesse les grands partis traditionnels qui ne parviennent à adapter leurs comportements, se perdant dans des querelles internes sur la façon d’y répondre.

Les limites du gouvernement au centre

Peut-être parce qu’elle venait de l’ex-RDA communiste, Angela Merkel a construit son système de gouvernement sur la recherche du compromis entre les valeurs traditionnelles de son parti - sécurité, gestion de père de famille sans endettement - et les thèmes chers à ses partenaires de gouvernement potentiels – abandon du nucléaire, famille nouvelle, salaire minimum. Ce gouvernement au centre, sans véritables débats, a atteint ses limites. Ce sera au parti désormais d’animer ces débats, plus libre de ses mouvements, en tentant de rester en symbiose avec une chancelière qui doit gouverner en respectant l’accord de gouvernement qu’elle a signé avec ses adversaires sociaux-démocrates.
L’un des grands axes de ce contrat de coalition, adopté alors que l’ancien président du parlement européen, Martin Schulz, n’avait pas encore été évincé de la présidence du SPD, était le renforcement de l’intégration européenne. La CDU restera-t-elle dans la tradition des pères fondateurs, aura-t-elle le courage, dans le climat actuel, de pousser la chancelière, toujours prudente, à aller de l’avant, notamment sur la défense européenne et le renforcement de la zone euro ? Le climat ambiant en Europe ne s’y prête pas et la crise que connaît la France, à quelques mois des élections européennes, ne lui facilitera pas la tâche si tant est qu’elle en ait la volonté.