Pour la première fois, la France a invoqué l’article 42-7 du Traité de Lisbonne qui en appelle à la solidarité des Etats membres de l’Union européenne en cas de menace ou d’attaque contre l’un d’entre eux. Elle a été soutenue à l’unanimité et quinze jours plus tard, les deux principales puissances militaires européennes, outre la France, ont pris des décisions concrètes pour manifester cette solidarité.
La Grande-Bretagne et l’Allemagne ont décidé d’augmenter leur engagement dans la lutte contre Daech au sein de la coalition menée par les Etats-Unis. Elles le font chacune à sa manière après avoir, chacune, surmonté les obstacles représentés par leur histoire ou leurs institutions.
Le traumatisme de 2003
Au-delà des arguments stratégiques – la lutte contre le terrorisme ou la crainte des attentats —, il s’agissait pour les Britanniques de conjurer deux fantômes du passé récent : la décision de 2003 de faire la guerre en Irak aux côtés des Etats-Unis et le refus en 2013 d’intervenir contre Bachar el-Assad qui venait d’utilise des armes chimiques contre la population civile. Entretemps, la Grande-Bretagne avait participé avec la France à la campagne contre la Libye du colonel Kadhafi mais le chaos qui s’en est suivi et qui menace encore de déstabiliser toute la région n’est pas le meilleur exemple d’intervention extérieure réussie.
Cependant la fraternité d’armes entre Tony Blair et George W. Bush contre Saddam Hussein en mars 2003 reste pour l’opinion publique et ses représentants un traumatisme difficile à évacuer. Les Britanniques ont le sentiment, justifié, d’avoir été trompés par les mensonges de l’administration américaine, relayée par leur gouvernement. La « relation privilégiée » que Londres entretient avec Washington depuis la calamiteuse expédition franco-anglaise de Suez en 1956, ne saurait, un demi-siècle plus tard, expliquer tous les égarements. Les députés y regardent à deux fois avant d’autoriser le gouvernement à se lancer dans des expéditions à l’étranger, d’autant plus que leurs électeurs sont aussi très réticents. Si 49% des Britanniques approuvent l’extension des frappes de l’Irak à la Syrie, 31% sont contre et ce pourcentage est en nette progression.
Ces réticences expliquent qu’à l’été 2013, quand Bachar el-Assad a franchi la ligne rouge » fixée par Barack Obama en utilisant les armes chimiques, la Chambres de communes ait voté contre la participation britannique. Ce refus a entraîné les atermoiements du président américain qui s’en est remis à la décision – qu’il pressentait négative – du Congrès. François Hollande était le plus allant et n’avait pas besoin du feu vert du Parlement français pour agir. Mais il s’est retrouvé isolé et a dû remettre dans les tiroirs ses plans de bombardements de l’armée syrienne. Militairement la France avait les moyens d’intervenir, politiquement elle ne pouvait que s’incliner face au recul de ses alliés.
L’Allemagne ne veut pas être en guerre
Les Allemands partagent les mêmes réticences que les Britanniques mais pour des raisons différentes. L’Angleterre ne rechigne pas, par principe, à user de la force. Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, l’Allemagne si. L’armée allemande a été reconstituée, dans les années 1950, à la demande des alliés occidentaux qui avaient besoin d’une force supplémentaire pour contenir la menace soviétique. Elle a été organisée comme une « armée parlementaire », composée de « citoyens en uniforme » qui ne peuvent être utilisés sans l’accord formel et constant du Bundestag.
De plus, elle était à l’origine une force destinée à la défense territoriale de l’Allemagne et de l’Europe de l’Ouest, au sein de l’Alliance atlantique. Ce n’est qu’après la fin de la guerre froide et la réunification allemande que les missions de la Bundeswehr ont évolué vers la participation aux opérations de maintien de la paix. Parallèlement, la conscription, cohérente avec l’idée du soldat comme « citoyen en uniforme » a laissé la place à la professionnalisation.
Il a fallu attendre le jugement du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, le 12 juillet 1994, pour que la participation de la Bundeswehr à des opérations « hors zone », c’est-à-dire en dehors des limites de l’Alliance atlantique ait une légitimation juridique. Il s’agissait alors de vols de reconnaissance au-dessus de l’ex-Yougoslavie pendant la guerre de Bosnie.
La discussion politique n’était pas close pour autant. Et elle resurgit à chaque occasion. Compte-tenu de son histoire dans la première moitié du XXème siècle où elle est à l’origine de deux guerres mondiales, l’Allemagne ne doit-elle pas être particulièrement prudente dans l’emploi de la force militaire ? « Jamais plus la guerre, jamais plus Auschwitz ! » : tel était le slogan des pacifistes allemands dans les années 1980.
La coalition rouge-verte (entre les social-démocrates et les écologistes) a changé les termes du débat après une évolution commencée sous le chancelier Kohl. Le ministre – vert – des affaires étrangères, Joschka Fischer, a convaincu ses troupes que pour ne plus avoir Auschwitz, symbole de la barbarie, il fallait parfois accepter de faire la guerre. Ainsi l’Allemagne a-t-elle participé à des opérations armées au Kosovo puis à la force internationale en Afghanistan, même si c’était avec des règles d’engagement restrictives par rapport à ses alliés.
En 2003, en revanche, de concert avec la France – et la Russie —, le gouvernement rouge-vert a dit non à la guerre en Irak. Et huit ans plus tard, Angela Merkel, sous l’impulsion de son ministre des affaires étrangères, le libéral Guido Westerwelle, a refusé de soutenir l’expédition en Libye et s’est ainsi désolidarisée de la France.
La situation actuelle n’est plus celle de 2011. Sous l’effet du choc produit par les attaques terroristes du 13 novembre à Paris, les Allemands ont décidé d’augmenter leur engagement au Moyen-Orient. Depuis l’année dernière, ils livraient des armes aux peshmergas kurdes d’Irak dont ils assuraient aussi une partie de la formation. Ils vont maintenant entrer dans la coalition en Syrie. Ils ne prendront pas part aux bombardements contre Daech mais ils fourniront un appui en logistique et en renseignements avec des avions de reconnaissance et un Airbus de ravitaillement en vol, plus la frégate « Hamburg » qui rejoindra l’escorte du « Charles-de-Gaulle ».
Cette décision leur coûte. Elle est prise plus par solidarité avec la France qu’à la suite d’une analyse des menaces géopolitiques représentées par Daech. Selon les sondages, 54 % des Allemands restent hostiles à un engagement militaire au Moyen-Orient. Les dirigeants refusent l’employer le mot « guerre » qu’Angela Merkel a mis dix ans à utiliser pour l’Afghanistan. Tous s’inquiètent de l’absence d’une « stratégie de sortie », même si officiellement, ils comptent sur une solution politique au conflit syrien.