Pour la Birmanie, c’est un tournant historique : après plus d’un demi-siècle de dictature militaire, la démocratie triomphe enfin dans l’ancienne colonie britannique, devenue indépendante en 1948 et soumise depuis le coup d’Etat de 1962 au pouvoir des généraux. Celle qui incarne, depuis plus de vingt-cinq ans, le combat pour la liberté et qui a connu, pour prix de son engagement, de longues périodes de réclusion, Aung San Suu Kyi, fille d’Aung San, le grand architecte de l’indépendance assassiné en 1947, va prendre dans quelques semaines la direction du gouvernement au lendemain d’une victoire électorale sans appel. Prix Nobel de la paix en 1991 pour sa lutte non-violente en faveur de la démocratie et des droits de l’homme, elle reçoit, à l’âge de 70 ans, la récompense de ses efforts.
Longtemps réprimée, la volonté du peuple l’a emporté, par la voie des urnes, sur la force des armes. Le régime du président Thein Sein, issu de l’ancienne junte militaire, a reconnu sa défaite. Mais « la dame de Rangoun » n’est pas au bout de ses peines. La Constitution accorde en effet à l’armée 25% des sièges au Parlement ; et elle interdit à Aung San Suu Kyi, sous prétexte qu’elle a été mariée à un étranger, d’accéder à la présidence. En dépit de l’extraordinaire prestige dont elle jouit auprès de la population et du large succès de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie, l’ancienne opposante n’aura donc pas les mains libres. Bonne tacticienne, elle a lancé un appel à la réconciliation nationale. Pour réussir, elle devra rétablir un climat de confiance dans un pays marqué à la fois par les violences religieuses et par les conflits ethniques.
Voici l’icône des défenseurs des droits de l’homme bientôt à l’épreuve du pouvoir. Il lui faudra entreprendre de traduire dans la réalité, face aux difficultés de toutes sortes, son slogan de campagne : « L’heure est au changement ». Changement politique, bien sûr, pour faire vivre la démocratie mais aussi changement économique et social pour sortir de la pauvreté un pays de 53,4 millions d’habitants dont le revenu national brut par tête est, selon les chiffres de la Banque mondiale, l’un des plus faibles du monde (1270 $ en 2014 contre 5370 $ pour la Thaïlande voisine). C’est le triste héritage laissé par les militaires aux nouveaux dirigeants de la Birmanie.