Cette année, la rentrée politique en Allemagne s’annonce compliquée, plus compliquée que d‘habitude. C’est la dernière rentrée avant les élections législatives de septembre 2021. Désormais, le pays est plus ou moins en campagne électorale. Quatre élections régionales au printemps 2021 (en mars, avril et juin) vont ajouter aux incertitudes. C’est aussi la dernière rentrée politique pour Angela Merkel, qui ne se représentera pas en 2021. Il y aura donc un changement de gouvernement l’an prochain, quoi qu’il arrive. Il est quasiment certain que ce sera aussi la dernière rentrée pour cette coalition de gouvernement, qui très probablement ne sera pas reconduite.
A côté de cela, rien n’est sûr. La CDU, parti de la chancelière, n’a toujours pas de président appelé à remplacer sa présidente démissionaire, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), et à devenir probablement son candidat à la chancellerie. Le SPD a déjà désigné son candidat, l’actuel vice-chancelier Olaf Scholz, mais on ne sait pas avec qui il voudra former une coalition s’il en a vraiment la chance, ce qui est loin d’être sûr. Les Verts qui, dans les sondages, se trouvent constamment, et depuis longtemps, devant le SPD refusent toujours de se prononcer sur une alliance avec celui-ci. De toute facon, il leur faudrait un troisième partenaire pour arriver à la majorité. A deux, ils n’y arriveraient pas.
Tout est possible, tout semble permis
On s’amuse donc à deviner si le SPD et les Verts oseront l’aventure d’un gouvernement de la gauche, avec le parti „La Gauche“, dont la direction va changer fin octobre. Ou bien s’ils chercheront une alliance avec les libéraux du FDP dont le président vient de chasser sa secrétaire générale pour la remplacer par un ministre du gouvernement régional de Rhénanie-Palatinat où une telle alliance fonctionne bien. Ou bien encore si les Verts préfèreront, après tout, gouverner seuls avec la CDU/CSU – une autre forme de „grande coalition“ si les Verts arrivent en deuxième position. Tout est possible, tout semble permis. Sauf, bien sûr, une combinaison quelconque avec l’extrême droite de l’AfD.
En ce mois de septembre 2020, les partis politiques, tous les partis politiques, se trouvent dans une situation d’incertitude profonde. La gestion de la crise du coronavirus domine la scène politique depuis six mois. La CDU et la chancelière personnellement en ont profité dans les sondages ; les scores de la CDU/CSU sont montés de 27/28% au printemps à 37/38% aujourd’hui et le taux de satisfaction dont bénéficie la chancelière se situe actuellement à 72%. Les Allemands ne souhaitent-ils rien de mieux que de continuer avec Angela Merkel et l’équipe en place ? Peut-être. Mais c’est justement ce qu’il ne va pas se passer. Les dirigeants de la démocratie chrétienne en sont bien conscients. Ils savent que ces chiffres flatteurs ne vont pas rester.
À cette rentrée, ils se trouvent devant le défi de créer une dynamique nouvelle afin de garder, autant que possible, leur avance dans les sondages, sans savoir avec qui. Le parti de la chancelière sortante doit absolument se donner une nouvelle direction après l’échec d’AKK, qui a démissionné en février. Mais, à cause du corona, le congrès de la CDU ne se réunira qu’en décembre, à Stuttgart, dans un format réduit à un jour au lieu de trois et limité à l’élection de la direction sans discussion d’un programme ; et tout cela selon la situation sanitaire au moment du congrès.
Trois candidats à la présidence de la CDU
Deux ans seulement après l’élection d’AKK à la tête du parti, ils seront appelés cette fois à faire leur choix parmi trois hommes : Armin Laschet, le ministre-président de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie ; Friedrich Merz, l‘ancien président du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag de 2000-2002 ; et Norbert Röttgen, l’actuel président de la commission des affaires étrangères du Bundestag. Ce sera un choix difficile pour ce parti au pouvoir depuis 15 ans, dominé par Angela Merkel depuis 20 ans.
M. Merz, qui avait quitté la politique après avoir été chassé de la présidence du groupe parlementaire par Angela Merkel en 2002, est soutenu aujourd’hui par le courant conservateur, proche des milieux d’affaires. Il a été battu par AKK il y a deux ans et n’a pas cessé de critiquer la politique du gouvernement. Mais pendant la crise du corona, il s’est trouvé marginalisé. Tout comme M. Röttgen, ancien ministre de l’environnement, démis de ses fonctions par Angela Merkel en 2012, qui s’est fait une carrière parlementaire dans les affaires étangères. M. Laschet, lui, fait partie des chefs de gouvernements régionaux qui ont géré et qui gèrent toujours la crise actuelle, gestion très appreciée selon les sondages. Et il vient de gagner les élections municipales dans son „Land“ le 13 septembre. Mais il n’apparaît pas comme un favori incontesté. Il est percu comme trop proche de la chancelière à qui, avant la crise du corona —il faut se le rappeler— beaucoup de ses partisans avaient reproché d’avoir vidé la CDU de son âme. A la fin, ce seront les délégués qui compteront, non pas les sondages.
Une fois cette décision prise, il restera toujours à désigner le candidat à la chancellerie. Le président de la CDU nouvellement élu aura l’ambition de conduire son parti dans cette campagne électorale et de récupérer le fauteuil d’Angela Merkel à la chancellerie. Mais le parti frère bavarois, la CSU, aura son mot à dire. Et dans les sondages, c’est son président, qui est aussi le ministre-président de la Bavière, Markus Söder, qui émerge comme le favori pour devenir chancelier, loin devant M. Laschet. Voilà un autre défi pour le parti de la chancelière.
Quels partenaires pour le SPD ?
Le SPD, qui a déjà désigné son candidat, va-t-il mieux ? Loin de là. D’abord, le SPD, partenaire de ce gouvernement bien apprécié, n‘en profite que très peu dans les sondages. Il progresse seulement de 14/15% au printemps à 16/17% aujourd’hui. Ensuite, le SPD a désigné comme candidat à la chancellerie celui qu’il avait refusé à la tête du parti en décembre dernier. Il ne sera pas facile de faire campagne dans ces conditions. Olaf Scholz, le candidat, va devoir s’accorder avec les deux co-présidents du SPD qui avaient fait campagne contre lui et l’avaient battu. Aussi il n’aura aucune chance de réussir s’il ne peut pas offrir une perspective réelle d’obtenir une majorité. Or, avec 17%, peut-être 20%, ce sera difficile. Ou bien les Verts finiront plus forts que le SPD, et la question d’Olaf Scholz à la chancellerie ne se posera plus. Ou bien il devra négocier une coalition avec les Verts et „La Gauche“ ; ce sera extrêmement difficile. Ou bien encore il négocie une coalition avec les Verts et les libéraux ; ce sera très difficile de convaincre les Verts d’en faire partie. En tout cas, selon les sondages actuels, aucun de ces scénarios n’a de majorité. Tout ce qui reste pour le SPD, c’est l’espoir.
Les nouvelles ambitions des Verts
Les Verts, eux, semblent se trouver dans une position confortable. Une coalition avec la CDU/CSU ne fait plus peur à personne – et serait majoritaire. Mais Robert Habeck, un des co-présidents du parti, refuse de se prononcer sur un choix de coalition. Il refuse aussi de se prononcer pour une alliance avec le SPD, la fameuse „alliance rouge-verte“ de l’époque Schröder/Fischer (quand, selon le chancelier Schröder, le SPD était le „chef de cuisine“ et les Verts „le garcon“). Mais il n’hésite pas à dire qu’on n’entre pas en compétition pour arriver à la deuxième place. Clairement, les Verts expriment des ambitions que personne n’aurait imaginées il y a deux ans encore. Et à Berlin on se demande si les Verts y sont prêts – à gouverner, certainement, mais pour la chancellerie ? Si vraiment les Verts visent la première place, on a le droit d’attendre des clarifications, qui font encore défaut.
Même „La Gauche“ discute maintenant de savoir si, oui ou non, elle veut gouverner. Au niveau des „Länder“, ce parti successeur de l’ancien parti communiste de la RDA est toujours bien établi, surtout à l‘Est ; en Thuringe, il dirige le gouvernement. Mais au niveau national ? Une bonne partie de ses militants se trouve à l’aise dans l’opposition au système capitaliste. D’autres aspirent à prendre des responsabilités, dont les co-chefs du groupe parlementaire, Dietmar Bartsch et Amira Mohamed Ali. Il se trouve que les deux co-présidents du parti ne se représentent plus au prochain congrès fin octobre. Deux femmes, Janine Wissler (Hesse) et Susanne Hennig-Wellsow (Thuringe), se sont portées candidates, dont une, Janine Wissler, vient juste de quitter un courant trotskiste proche du parti. Pour rassurer le SPD ? Aujourd’hui, en tout cas, des leaders de „La Gauche“ réclament „une majorité de gauche“. Ils veulent arriver au pouvoir. Bien qu’il soit très peu probable qu’une telle majorité se forme, le débat est ouvert, sérieusement.
Les libéraux en danger, l’extrême-droite en baisse
Le FDP, dans l’opposition aussi, peine toujours à trouver son rôle. Certes, son président, Christian Lindner, l’a reconduit au Bundestag en 2017 après l’absence de la Chambre de ce parti libéral traditionnel entre 2013 et 2017. Angela Merkel lui avait même offert de faire partie de son gouvernement, avec les Verts. Mais après de longues négociations il avait refusé et depuis le FDP risque à nouveau de tomber en-dessous de la barre des 5%. Il n’est pas sûr qu’il réussira à sortir de l’impasse. En tout cas, il n’apportera pas beaucoup de voix.
Finalement, pour compléter ce tableau du monde politique à Berlin en ce moment, même l’extrême droite de l’AfD, premier groupe d’opposition au Bundestag depuis 2017, se trouve en crise d’orientation. Comme toute l’opposition, marginalisée depuis le début de la crise du corona, ses scores dans les sondages sont en baisse, même dans les „Länder“ de l’Est. La lutte interne pour le contrôle du parti commence à laisser des traces. Le comité directeur vient d’expulser du parti un des leaders du courant extrême, appelé „l’aile“, décision mal appréciée par les co-chefs du groupe parlementaire au Bundestag. C’est le conflit au sein de ce parti entre la droite conservatrice et bourgeoise d’une part et l’extrême droite xénophobe et fascisante de l’autre, qui resurgit. Pour l’instant, c’est match nul.
Cette rentrée politique vient d’ouvrir la voie vers „l’après Merkel“, définitivement. Jusqu’à la fin de l’année, la chancelière est encore cheffe d‘un gouvernement qui assume la présidence de l’Union européenne, une charge lourde car de gros dossiers se trouvent sur la table. „L’après“ va commencer immédiatement après. Et le scénario de cette étape nouvelle est encore vide.