La coalition internationale
Formée en août 2014 à l’initiative des Etats-Unis et de la France, quelques semaines après la prise de Mossoul par l’organisation Etat islamique et la proclamation du « califat » en Irak et en Syrie par Abou Bakr al-Baghdadi, la coalition internationale réunit une soixantaine de pays, occidentaux et arabes.
Leur objectif commun est de lutter contre Daech, acronyme arabe de l’Etat islamique, mais leur degré d’implication est divers.
Il va du simple soutien diplomatique et humanitaire aux frappes sur les positions de Daech, en passant par l’appui logistique. Seule une douzaine de pays participe aux bombardements aériens qui sont essentiellement menés par les Américains (pour 80%), par la France (5%) et par la Grande-Bretagne.
Une tentative d’élargir la coalition à la Russie, après l’engagement militaire de Moscou en septembre 2015 et après les attentats de Paris du 13 novembre de la même année, a échoué. La coopération entre la coalition menée par les Occidentaux et la Russie se limite à la « déconfliction », c’est-à-dire à un échange d’informations entre les militaires pour éviter les incidents entre les aviations des deux camps.
Etats-Unis
Au-delà de la lutte contre Daech, les Occidentaux et les Etats arabes à dominante sunnite, notamment ceux du Golfe, cherchaient à en finir avec le régime de Bachar el-Assad à Damas ébranlé par les manifestations de 2011 en faveur de la démocratie.
Toutefois la priorité pour le président américain Barack Obama se situe plus en Irak – dont les soldats américains s’étaient retirés en 2011 – qu’en Syrie.
Après avoir proclamé haut et fort que les jours d’Assad au pouvoir étaient comptés, les Américains ont négocié avec les Russes dans l’espoir de trouver une solution politique à la guerre civile. Sans succès.
A l’été 2013, Barack Obama a renoncé à faire respecter les « lignes rouges » qu’il avait lui-même fixées – à savoir l’emploi d’armes chimiques par le régime de Damas contre sa propre population. François Hollande, qui était prêt à impliquer la France dans des frappes contre des positions du régime, a eu l’impression d’être lâché par Washington. Les Russes se sont engouffrés dans la brèche et se sont chargés de détruire l’arsenal chimique syrien.
Les Occidentaux se sont montrés réticents à fournir aux rebelles syriens des armes sophistiquées dans la crainte que celles-ci ne tombent entre les mains de groupes djihadistes radicaux. Les livraisons d’armes passent pour la plupart par l’intermédiaire de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar.
France
Apparemment plus allante que les Etats-Unis dans l’opposition à Bachar el-Assad, l’action de la France est limitée par le manque de moyens.
Paris se veut pourtant actif contre Daech en Irak et en Syrie, depuis l’automne 2015. Un des objectif affiché par François Hollande est d’attaquer à la source des djihadistes qui organisent et commettent des attentats terroristes en France.
Le président de la République a reconnu avoir ordonné des assassinats ciblés contre des ressortissants français présents dans les centres de commandement de Daech. Pour lui, la lutte contre Daech comme l’hostilité au régime de Assad font partie d’une stratégie plus générale d’endiguement voire d’éradication du djihadisme radical au Moyen-Orient et en Afrique.
En filigrane, la politique de Paris sur la Syrie et le Liban – deux pays où elle était mandataire des Nations unies après la chute de l’empire ottoman en 1918 – est traditionnellement en concurrence avec Washington, même si elle y trouve une complémentarité depuis son retour dans l’OTAN.
Arabie saoudite
La rupture entre Riyad et Damas date de l’assassinat en février 2005 de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri, son grand allié au Liban. Depuis, ce meurtre détermine la politique saoudienne. Attribué aux services spéciaux syriens et à leurs agents libanais au sein de l’Etat et de la milice du Hezbollah, il a brisé le consensus des accords de Taëf qui avaient mis fin à la guerre civile libanaise en 1989. Au terme de ces accords, Riyad devait faciliter la formation du gouvernement Hariri et contribuer financièrement à la reconstruction du Liban. En contrepartie, les troupes de Damas pouvaient continuer à occuper le pays (officiellement à titre transitoire), le président nommé est de fait pro-syrien et Damas a un droit de regard sur la composition du gouvernement.
Dès le départ des troupes syriennes du Liban, en mai 2005 après la mort d’Hariri et le soulèvement populaire qui a suivi, c’est le Hezbollah pro-iranien qui prend le relais de la mainmise syrienne sur le pays du Cèdre. De ce fait, dès le début de la contestation en Syrie, en mars 2011, Riyad soutient l’opposition. Cette position est encouragée par l’intervention d’Ankara. La Turquie abrite sur son territoire les premiers officiers et soldats syriens qui ont fait défection et créent l’Armée syrienne libre dont le QG est en Turquie.
L’ingérence de Téhéran et du Hezbollah aux côtés d’Assad et de ses troupes à partir de 2012, accroît l’interventionnisme saoudien dans la guerre civile. Le fait que Téhéran exerce un contrôle étroit sur le pouvoir irakien depuis l’échec politique de l’intervention américaine de 2003 et l’apparition d’al Qaïda en Irak pousse Riyad à contrecarrer l’influence iranienne en Syrie comme au Liban.
Depuis 2015, Riyad intervient militairement au Yémen face à la déstabilisation de son voisin du sud par la rébellion houthiste alimentée par Téhéran qui trouve ainsi son intérêt à contrôler l’accès au détroit de Bab el Mandeb donnant accès à la mer Rouge et au Canal de Suez. Ce conflit, où les troupes saoudiennes s’enlisent, a pour Téhéran l’avantage d’éloigner Riyad du conflit syrien et de miner ses finances.
Qatar
Pour le Qatar, qui a grandement investi en Syrie et qui cherche à concurrencer l’influence de Riyad au Liban, la rupture avec Bachar el-Assad se fait plus progressivement. Mais ce sont les Qatari qui, les premiers, contribuent au financement des mouvements islamistes armés en Syrie.
Iran
Dans la perspective d’un accord sur le nucléaire – finalement signé en juillet 2015 – Téhéran cherche à asseoir son influence sur la région, en intervenant directement en Syrie aux côtés d’Assad et en Irak en contrôlant le pouvoir à Bagdad où les chiites sont devenus majoritaires après la chute de Saddam Hussein en 2003 et la création d’un Irak fédéral où les Kurdes – majoritairement sunnites – ont acquis leur autonomie.
La marginalisation de la communauté sunnite irakienne, suite au démantèlement de l’armée et de l’Etat irakien, ont favorisé le développement des mouvements djihadistes (al Qaïda puis l’organisation Etat islamique ou Daech).
De ce fait, l’Iran justifie son interventionnisme par la nécessité de combattre les « takfiri » (renégats). Téhéran apparaît ainsi comme menant la même lutte contre les djihadistes que l’Occident, par ailleurs allié des fondamentalistes wahabites au pouvoir à Riyad, ennemi des Iraniens.
Hezbollah
Créé en 1982 à la suite de l’intervention militaire israélienne qui a entraîné le départ du Liban de Yasser Arafat et de ses troupes, le Hezbollah est une création directe des Gardiens de la révolution iranienne, les pasdarans, et plus particulièrement de son bras destiné aux opérations militaires extérieures La Force al-Quds (la sacrée ou Jérusalem). Téhéran a profité du vide créé par le départ des troupes palestiniennes du Liban pour se mesurer à « l’ennemi sioniste ». L’Etat hébreu maintenait jusqu’en mai 2000 des troupes au sud du Liban majoritairement chiite.
Le départ des troupes israéliennes du sud du Liban permet au Hezbollah de s’attribuer ce qu’il considère comme une victoire contre les troupes d’occupation. Entre-temps, sous le couvert du mouvement clandestin Jihad islamique, des attaques particulièrement meurtrières ont été menées à la fois contre les troupes israéliennes et contre les forces multinationales – Américains et Français qui compteront près de 300 victimes – présentes au Liban pour veiller à l’évacuation des troupes israéliennes de Beyrouth en 1982 sous mandat du Conseil de sécurité de l’ONU.
En 1983, c’est l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth qui subit une attaque, faisant plus de 200 morts dont tous les directeurs d’antenne de la CIA pour le Moyen-Orient qui y étaient réunis. L’enlèvement de plusieurs dizaines d’Occidentaux – Américains et Français principalement – est organisé et leur libération au compte-goutte se fait à l’issue de longs marchandages entre Washington, Paris et Londres d’une part et Damas et Téhéran de l’autre.
Cette cruelle guerre de l’ombre, qui a fait de nombreuses victimes et nécessité le versement de très importantes rançons, a préfiguré l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015. Téhéran, par l’intermédiaire de Damas et du Hezbollah, s’est imposé comme un interlocuteur incontournable au Proche-Orient en concurrence avec Riyad, grand allié de l’Occident.
Russie
Depuis les « printemps arabes » qu’il assimile aux « révolutions de couleur » dans la périphérie de la Russie, Vladimir Poutine se présente en partisan de la « stabilité » et en défenseur des régimes établis. Le soutien affiché pour Bachar el-Assad tient aussi à la présence russe en Syrie où Moscou entretient dans le port de Tartous une base militaire datant du temps de l’URSS, son seul point d’appui naval en Méditerranée orientale. En 2015, une base aérienne est créée à Hmeimim, à quelques kilomètres de sa base navale.
Le président russe a décidé un engagement militaire massif en Syrie en septembre 2015. Sous couvert de lutte contre le « terrorisme », les bombardements russes sur les positions des rebelles syriens, beaucoup plus nombreux que les frappes contre Daech (à Palmyre principalement), ont permis au régime de Bachar el-Assad et de ce qui reste de son armée de regagner une partie du terrain perdu depuis cinq ans, avec l’appui au sol des Gardiens de la révolution iranienne et des combattants du Hezbollah.
L’engagement militaire en Syrie a également permis à la Russie de se rendre indispensable dans la recherche d’une solution négociée et à Vladimir Poutine de devenir un interlocuteur obligé des Occidentaux, en particulier des Américains, effaçant ainsi ce qu’il considère comme les humiliations de l’après-guerre froide.
Syrie
Dans la foulée des "printemps arabes", les manifestants syriens ont revendiqué une libéralisation du régime de Bachar el-Assad. Le président a répondu par une répression sanglante qui a mené à une militarisation du conflit. L’opposition laïque a pris les armes au sein de l’Armée syrienne libre, tandis que des groupes islamistes, dont les rangs ont été grossis par des prisonniers sciemment libérés par Assad et l’armement fourni par les monarchies sunnites du Golfe ont peu à peu acquis une position dominante dans la rebellion.
Toutes les tentatives de trouver une issue négociée au conflit incluant l’opposition ont échoué sur la demande des Occidentaux d’un départ de Bachar el-Assad et la volonté russe de le maintenir au pouvoir. A l’été 2015, le régime d’Assad se trouvait cependant très affaibli, le territoire sous son contrôle se réduisant comme peau de chagrin. L’intervention militaire massive de la Russie l’a sauvé. Officiellement le dictateur de Damas prétend chasser tous les "terroristes" de Syrie et rétablir son autorité sur l’ensemble du pays. Il n’est pas sûr que ses alliés russes et iraniens le suivent sur cette position jusqu’au-boutiste. Assad devrait alors se contenter de régner sur la Syrie "utile", une bande côtière qui garantirait le maintien des bases militaires russes dans le pays, et les grandes villes du centre du pays (Damas, Alep, Homs, etc.). En principe toutefois, toutes les parties prenantes se battent pour restaurer l’intégrité territoriale de la Syrie.
Irak
En Irak, le pouvoir et l’autorité du gouvernement central ont commencé à se déliter à partir de la guerre de 1991 — « Tempête du désert » —, qui a mis fin à l’occupation du Koweït par Saddam Hussein. Cette défaite du dictateur irakien a laissé le champ libre au soulèvement d’une partie de la population chiite dans le sud du pays, que Saddam a réprimé dans le sang sans que les troupes de la coalition – principalement américaines – interviennent.
Des sanctions internationales ont été imposées à l’Irak par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le gouvernement central a été affaibli et les pouvoirs locaux – tribus ou confédérations tribales – se sont développés en fonction, pour simplifier, des solidarités familiales, régionales, religieuses ou linguistiques : nord kurde, centre sunnite et sud chiite.
Mais c’est avec l’intervention militaire américaine de mars 2003, la dissolution du parti Baas et la démobilisation des forces armées et paramilitaires irakiennes que l’Etat central s’est véritablement désintégré.
Les laissés-pour-compte – essentiellement sunnites – ont nourri le radicalisme djihadiste d’al- Qaïda puis de ce qui est devenu l’Etat islamique (Daech).
La forte influence de l’Iran sur un pouvoir dominé par le parti al Daawa, d’obédience chiite, a radicalisé des pans entiers de la population sunnite irakienne. Le départ des troupes américaines en 2011 a aiguisé encore plus les ressentiments de la communauté sunnite qui s’est trouvée de plus en plus marginalisée alors qu’elle était le centre du pouvoir, de l’époque ottomane à la période baassiste.
Toute tentative de l’armée irakienne, formée et équipée par les Américains, de combattre le radicalisme sunnite, a été suivie d’une déroute sans combat, laissant le champ libre aux exactions des milices paramilitaires chiites formées par l’Iran (dans les villes, majoritairement sunnites, de Ramadi et Fallouja entre autres).
Il faut ajouter la corruption généralisée de la nouvelle classe politique au pouvoir.
Enfin, la prospérité du Kurdistan (majoritairement sunnite), riche en pétrole et bénéficiant, depuis 1991, d’un régime d’autonomie soutenu par les Etats-Unis, l’Europe et la Turquie, a achevé le démantèlement d’un Etat qui n’a plus rien de central.
La bataille de Mossoul qui est en cours est une occasion historique de rétablir l’autorité de l’Etat central et d’agréger les différentes communautés qui forment l’Irak fédéral. Mais il faudra pour cela que chaque partie ait son rôle dans la reconstruction de l’Etat. Un objectif qui pourra se faire sur le long terme, même s’il paraît aujourd’hui parfaitement utopique.
Turquie
Jadis alliée du régime Assad, la Turquie a changé de position quand le président Recep Tayyip Erdogan a voulu se présenter comme le leader des musulmans au moment des « printemps arabes ». S’il caresse parfois le rêve utopique de reconstituer l’empire ottoman, Erdogan est d’abord obsédé par la volonté de réduire la rébellion du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan.
Il entretient de bonnes relations avec le président de la région autonome kurde d’Irak, Massoud Barzani, qui a autorisé la Turquie à stationner des troupes à proximité de son territoire – il lui fournit son pétrole et ferme les yeux sur les opérations anti PKK sur leur base de repli du mont Qandil dans le nord irakien – sans l’accord du gouvernement central de Bagdad. En revanche, il combat les Kurdes de Syrie, qu’il juge proches du PKK et qui aspirent à créer au minimum une région autonome dans le nord de la Syrie.
En Irak, la Turquie a toujours voulu avoir un droit de regard sur Kirkouk et Mossoul (déjà à l’époque de Saddam Hussein) où, sous prétexte de la présence de populations turkmènes, la Turquie cherche à profiter des ressources pétrolières importantes dans ces deux zones en quantité et en qualité.
Dans la bataille actuelle contre Daech à Mossoul, les troupes turques sont positionnées à quelques kilomètres des combats, suscitant une ferme mise en garde du gouvernement de Bagdad et l’irritation de la coalition internationale. Le président Recep Tayyip Erdogan, qui a resserré ses liens avec Vladimir Poutine et pris ses distances tant avec les Européens qu’avec les Américains, semble se préparer à toute éventualité.