Lettre à Anna
Le cinéaste suisse Erich Bergkraut a réalisé un film documentaire entre portrait, récit, enquête et réquisitoire historique étonnant de légèreté et de sensibilité, qui va sortir en salles le 18 novembre 2009.
Il raconte les dernières années d’Anna Politkovkaïa, son travail, ses amis, étroitement liés à son travail, et sa famille. On la voit, on l’écoute, parce que Erich Bergkraut l’avait filmée pour un film sur la liberté qui n’a pu voir le jour, mais a laissé beaucoup de séquences enregistrées.
Il y a la Tchétchénie, où Anna est allée souvent, et où elle a été emprisonnée par les soldats russes – « je sais ce que sont ces trous où ils enfermaient leurs prisonniers »,— il y a le théâtre de la rue Melnikov à Moscou dont les spectateurs avaient été pris en otage en 2002 et où elle a servi de médiateur – les forces spéciales n’ont pas attendu le résultat des négociations pour gazer tout le monde –, il y a cette autre prise d’otages, terrible, les enfants de l’école de Beslan, dont un très grand nombre ont été tués lors de l’intervention des Spetznats… mais où Anna Politkovskaïa n’a pu arriver parce qu’elle a été empoisonnée dans l’avion qui l’y conduisait…
Après l’assassinat d’Anna, ses amis parlent. Le rédacteur en chef de son journal, Novaïa Gazeta (dont quatre collaborateurs ont été assassinés). Une amie tchétchène, Zainap Gachayeva, présidente de l’association « Echo of War », avec qui elle avait partagé des moments difficiles à Grozny, était là, à la présentation du film par Amnesty International mardi 10 novembre à l’Hôtel de Ville de Paris, pour parler de sa passion, de ce combat mortel — « si elle n’avait pas été seule à le mener, elle n’aurait pas été tuée » — et dans un contrepoint grotesque on entend un ex-ministre de la justice, actuel procureur, affirmer pompeusement : « Nous avons la conviction que seules des personnes vivant en dehors de la fédération de Russie avaient intérêt à éliminer Politikovkaïa ». Or ceux qui savent désignent Ramzan Kadyrov, président et dictateur de la République de Tchétchénie, fils à son papa et très fidèle allié de Poutine.
« Notre silence est partie prenante à sa mort » dit aussi André Glucksman. Et il ajoute : « La chute du mur de Berlin, c’est d’abord la chute du rideau de fer, et cela, on le doit à des gens comme Anna Politkovskaïa . »
Anna Politkovskaïa a laissé deux enfants ; son fils Ilya veut savoir, non seulement qui a tué sa mère, mais qui a commandité le crime. Sa fille Vera venait d’annoncer à Anna, deux jours avant sa mort, qu’elle attendait un enfant. « Jamais je n’ai dit à Maman comme beaucoup de ses proches : non, n’y vas pas ! » « Aujourd’hui, je suis fière de penser que c’est ma maman qui a fait cela » Vera a un sourire tendre et radieux. La petite-fille qu’Anna n’a pas connue s’appelle Anna Victoria.
Et puis il y a une artiste dont le grand talent est si discret qu’on entend de sa partition la musique seulement et qu’on pourrait presque l’oublier : Catherine Deneuve prête sa voix à Anna Politovskaïa pour la version française.
« Il serait bon que ce film soit vu par le plus grand nombre, » a déclaré Vaclav Havel en remettant à « Lettre à Anna » le prix qui porte son nom. « Notamment les hommes politiques qui embrassent et congratulent les hommes politiques russes, presque enivrés par l’odeur du gaz et du pétrole ! »
Voir une interview du réalisateur Erich Bergkraut dans Elle (Société/Interviews) : http://www.elle.fr/
Pour voir le film : http://www.allocine.com/ ou http://www.allocine.fr/recherche/?q=Lettre+%C3%A0+Anna