Allemands : faites vos jeux

Le 11 décembre le chancelier Olaf Scholz va demander au Bundestag un vote de confiance. Et il compte le perdre quand le vote aura lieu le 16 décembre. Ce constat de manque de confiance au Parlement va permettre au président fédéral Frank-Walter Steinmeier de dissoudre le Bundestag avant la fin de son mandat qui se serait achevé fin septembre 2025. Les élections anticipées sont alors prévues pour le 23 février 2025 – sept mois avant. Depuis le 7 novembre, le gouvernement de coalition à Berlin est un gouvernement minoritaire. Notre collaborateur Detlef Puhl analyse les raisons de cette étrange situation.

Les trois ego
Montage Wikipedia et Bundesregierung

Que s’est-il passé ? Pourquoi les Allemands, grands maîtres de la stabilité, seront-ils appelés à se rendre aux urnes avant le temps ? La réponse simple a été donné par le chancelier lui-même : „Je ne veux plus que tu sois membre de mon gouvernement“ aurait-il dit à Christian Lindner, son ministre des finances et chef du parti libéral FDP, le plus petit de ses deux partenaires de la coalition tricolore, qui s’était appelée „coalition de progrès“. Par conséquant, les autres ministres du FDP ont demandé leur démission, sauf un : le ministre des transports Volker Wissing, qui au lieu de quitter le gouvernement, décide de quitter son parti. Jörg Kukies, secrétaire d’État à la chancellerie et proche d’Olaf Scholz, est nommé ministre des finances. Avant sa carrière politique il avait travaillé, comme Emmanuel Macron, pour une banque internationale d’investissements ; dans son cas : Goldman Sachs. Les trois autres ministères attribués au FDP sont désormais gérés par le ministre Volker Wissing (ex-FDP) qui garde son ministère des transports et prend celui de la justice, et Cem Özdemir (Verts), qui prend charge, à côté de son ministère de l’agriculture, de celui de l‘éducation et de la recherche. Voilà un remaniement rapide. Après le 16 décembre, ce sera un gouvernement en charge des affaires courantes.

Mais bien-sûr, la réponse n‘est pas simple. Elle est compliquée. Elle se trouve à trois niveaux : au niveau idéologique, à celui des tactiques électorales et à celui des personnalités.

L’idéologie

Dès le début, cette „coalition de progrès“ était la manifestation d‘une ambition politique osée. Le petit parti libéral, jusque là dans l’opposition, s’est lié pour gouverner à deux partis de gauche, dont un, les Verts, a également été dans à l‘opposition. Mais l’autre, le parti social-démocrate, avait soutenu le gouvernement précédant, dont Olaf Scholz, le nouveau chancelier, a été le vice chancelier et ministre des finances. C’est donc une constellation difficile dès le début à deux égards : Ce gouvernement nouveau ne représente nullement un „changement dans la continuité“ ; il tente de réunir des ambitions politiques diverses, sinon contradictoires : d’une part des projets pour le changement par les deux partis sortants de l’opposition et, d’autre part, une volonté politique de continuité d’un parti, le SPD, qui ne va pas démentir ce qu’il a fait auparavant. En même temps, les ambitions de changement des Verts et des libéraux sont, en partie, diamétralement opposées.

Il était donc difficile pour les trois partis de se mettre d’accord sur un contrat de coalition. Ils ont réussi parce qu’ils ont laissé de côté les questions épineuses, surtout en matière de politique économique et de finances, qui les séparent. Ils ont permis à chacun des partenaires les possibilités de poursuivre les ambitions qui lui sont chères : au SPD la politique sociale, aux Verts la politique de transformation écologique et au FDP le maintien stricte de la limite à l’endettement surtout.

Et puis, l’attaque militaire de la Russie sur l‘Ukraine a tout mis en question – sauf ce contrat de coalition. Sans toucher, en principe, à son programme et à ses bonnes intentions, la nouvelle équipe devait faire face d’urgence à des crises multiples : l’approvisionnement assuré en énergie après les sanctions contre la Russie et la décision de celle-ci de couper toute livraison de gaz ; l’inflation créée par l’interruption des flux d’énergie ; des dépenses supplémentaires majeurs pour la défense. Une réalité politique nouvelle a rendu caduc beaucoup des projets „de progrès“ inscrits dans ce programme. Désormais, chacun des partis se voyait empêché de poursuivre sa politique pour satisfaire sa propre clientèle. Dans ces circonstances, la coalition n’arrivait qu‘avec de grandes difficultés en 2023, en 2024 plus du tout, à se mettre d’accord sur un budget pour l’année suivante. Les différences idéologiques ou de philosophie politique entre les trois partenaires l’avaient finalement emporté sur les besoins d’un accord entre eux pour la gestion pure et simple des affaires du pays.

Les tactiques électorales

Cette montée des différences se manifestait au moment où les partis allaient se préparer aux prochaines échéances électorales, les législatives du 28 septembre 2025. Ici, il faut se rappeler, que cette coalition issue des élections de 2021 ne reposait pas sur une grande victoire électorale de ses composantes, mais sur une combinaison de circonstances qui faisait d’elle la meilleure option après 16 ans de domination du parti de Mme Merkel, la CDU/CSU, dont le pays, apparemment, ne voulait plus. En 2021, le SPD avait devancé de peu seulement le parti d’Angela Merkel qui ne se représentait plus et dont le candidat à la chancellerie, Armin Laschet, manquait du soutien d’une grande partie de sa propre famille politique.

Mais après trois ans à la tête du gouvernement, le SPD est retombé à 15% dans les sondages et le score de popularité du chancelier Olaf Scholz est au plus bas. Aux élections qui ont eu lieu en 2024, les européennes et trois régionales, le SPD a reculé de manière considérable. Aussi, le chancelier a été critiqué constamment pour être trop hésitant, trop peu maître du jeu dans cette coalition, trop souvent silencieux quand il fallait expliquer ce que son gouvernement fait et pourquoi. Au SPD même, la question se posait : comment renverser cette tendance de morosité ? La supporter encore pendant un an ? Alors que le ministre de la défense, Boris Pistorius (SPD) se trouve à la tête de tous les sondages de popularité ?

Chasser les libéraux FDP du gouvernement, mettre fin à cette coalition mal aimée, c’est ce qui permet à Olaf Scholz maintenant de démontrer qu’il sait être chef, prendre l’initiative et que c‘est lui qui doit mener la campagne pour le SPD. Pour avoir une petite chance de retrouver sa place à la chancellerie, il était temps qu’il fasse cette démonstration de force. C’est comme cela qu’il a commencé sa campagne le 25 novembre : „J’ai formé cette coalition ; je l’ai conduite jusqu’à ce que cela n’aille plus ; je l’ai terminée.“ Et : „Les citoyens ont droit à avoir à la chancellerie quelqu’un qui réfléchit, qui ne cède pas aux pressions des uns et des autres et qui sait ce qu’il fait.“ Voilà le message d’Olaf Scholz affirmant le leadership qu’il a toujours réclamé sans, pourtant, vraiment convaincre. Avec les débats internes au SPD autour de la popularité de Boris Pistorius, Olaf Scholz n’aurait pas pu attendre le printemps prochain, comme cela avait été prévu, pour se déclarer candidat à sa propre succession. La manifestation de son leadership – il la fallait maintenant. Et il fallait agir avant que Christian Lindner, le chef du FDP, n’agisse, car le chancelier devait savoir, qu’il était déjà en train de préparer la fin de ce gouvernement.

Christian Lindner, lui, avait envie de sortir de cette coalition depuis un certain temps. Son parti libéral, le FDP, avait perdu toutes les élections régionales depuis 2021. Il avait été écarté de 7 des 16 parlements régionaux, car il n’arrivait plus au seuil minimum des votes nécessaire pour obtenir un mandat. Dans six autres élections il était arrivé tout juste au-dessus des 5% requis. Et les sondages au niveau fédéral le classaient en dessous des 5% depuis des mois. Pour sauver son parti de la disparition pure et simple de la scène politique, le chef du FDP devait trouver un chemin pour quitter cette coalition sans apparaître comme celui qui serait responsable de l’échec.

C’est lui qui avait déclaré que cet automne serait „l’automne des décisions“. Comme l’a écrit l’hebdomadaire „Die Zeit“, un petit cercle autour de Christian Linder, le „cabinet F“, aurait commencé au mois de septembre à développer des stratégies pour faire pression sur les partenaires, sur chancelier surtout, pour mettre fin à la coalition : en s’opposant à des projets de loi proposés par les partenaires, en demandant un „tournant de la politique économiques“, en distribuant à la presse des papiers internes du parti. En fait, ce „cabinet F“ avait adopté un plan pour le „D-Day“, le jour où mettre fin à la coalition. Ce plan, publié entre temps par le FDP, prévoyait d’en finir avec cette coalition début novembre. Il prévoyait un message dans lequel Christian Lindner devrait déclarer que les différences avec les partenaires du SPD et des Verts pour sortir le pays des difficultés économiques étaient insurmontables et qu’il faudrait, par conséquent, terminer cette coalition. Surtout, Christian Lindner, le chef du FDP, aurait déclaré à ses amis qu’il ne pourrait pas faire campagne à la tête de son parti si celui faisait encore partie du gouvernement. Finalement, il a obtenu ce qu’il voulait. Dans trois mois on saura si la stratégie électorale de Christian Lindner a réussi.

A côté de cela, les Verts ont été plutôt discrets. La détérioration de la coalition ne les arrange pas. Ils auraient voulu finir le mandat légal, ne serait-ce que pour avoir le temps de réparer les dégâts causés par leurs tentatives trop forcées au début du mandat de pousser la transformation écologique, mal préparée, mal expliquée et mal acceptée par les gens. Aussi, le ministre de l’économie, Robert Habeck, aurait eu besoin de plus de temps avant de pouvoir présenter, enfin, les chiffres d’une croissance économique qui fait toujours défaut. Dans cette perspective d’une amélioration de la situation attendue pour le printemps, le vice chancelier allait se préparer à prendre la tête de la campagne des Verts avec l’ambition, comme il y a quatre ans, de viser la chancellerie, de dépasser le SPD pour devenir le premier parti du centre-gauche.

L’opposition démocrate-chrétienne, créditée de plus de 30% dans les sondages, se réjouit et se dit prête à regagner la chancellerie. Friedrich Merz, son candidat sans aucune expérience gouvernementale, qui avait quitté le Bundestag en 2009 pour le rejoindre en 2021, se voit tout prêt de la réalisation de son rêve : prendre la place d’Angela Merkel à laquelle il a dû céder la place au sein du parti en 2002. Pour lui, la question principale sera : avec qui former une coalition ? Avec les Verts ? Markus Söder, son compagnon et chef du parti frère, la CSU bavaroise, l‘a déjà catégoriquement exclu. Ou avec le SPD ? Cela ne ferait que revivre le format de Merkel ; avec un vice chancelier Olaf Scholz ?

Les personnalités

Finalement, ce sont aussi les personnalités principales de cette coalition qui avaient de plus en plus du mal à s’entendre. Olaf Scholz n’a laissé aucun doute, jamais, sur le fait qu’il savait ce qu’il faisait, même si des questions s’imposaient, auxquelles il a souvent préféré de ne pas répondre. Son entourage faisait croire qu’Olaf a toujours un plan, qu’il agit toujours après réflexion, qu’il n’a pas besoin de répondre à toutes les questions. En même temps, le taux de confiance en lui dans les sondages n’arrêtait pas à se dégrader.

Christian Lindner, président du FDP, n’a jamais manqué de manifester sa position de chef de son parti et de chef du puissant ministère des finances qui dispose d’un droit de véto sur les dépenses de l‘État. Pesant plus lourd que son poids (le FDP ayant été le plus petit des partenaires de la coalition) il a su énerver les autres avec des jeux politiciens qui contribuaient en grande partie à la dégradation de l’image de la coalition. A côté des ces deux égos, Robert Habeck, le vice chancelier, se présente actuellement comme le leader modeste qui reconnaît des erreurs en espérant que cela soit percu comme une force de sa personnalité et des Verts, et non pas comme une faiblesse. Son ambition, malgré tout, de viser la chancellerie fait preuve du fait, qu’il dispose quand-même, lui aussi, d’un égo remarquable, peut-être moins gênant.

L’avenir de l’Allemagne se joue maintenant en peu de temps. Il ne faut pas oublier que les jeux ne se font pas entre les quatre formations démocratiques seulement. L’extrême droite de l’AfD occupe toujours la deuxième place dans les sondages et réclame „sa“ place à la table" des débats télévisés des candidats à la chancellerie. Et l’extrême gauche a connu un nouvel élan avec l’“alliance Sarah Wagenknecht“. La formation nouvelle de l’ancienne communiste, qui a quitté le parti „Die Linke“ (La Gauche) il y a à peu près un an, s’engage avant tout du côté des partisans „de la paix“ – au plaisir du tsar à Moscou avec qui il faut parler, dit-elle.

L’avenir de l’Allemagne se présente plus incertain que jamais, alors que, à partir du 20 janvier 2025, Donald Trump va occuper à nouveau la Maison Blanche et ajouter aux incertitudes. Et l’Europe peine à résister aux forces nationalistes.