L’Europe mise en danger par le coronavirus

A ceux qui s’inquiètent de la faiblesse de l’Union européenne face à l’expansion du coronavirus et qui s’interrogent sur son avenir au lendemain de la pandémie, les plus optimistes rappellent volontiers la déclaration, maintes fois citée, de Jean Monnet sur les vicissitudes de la construction européenne : « J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises ».

Alors que tous les pays européens sont touchés, à un degré ou à un autre, par la catastrophe sanitaire qui envahit le monde, leurs dirigeants sont appelés à choisir s’ils donnent tort ou raison au plus prestigieux des pères fondateurs de la communauté européenne. Soit ils cèdent, selon la formule de la politologue Auriane Guilbaud dans une tribune de Libération, au « sauve-qui-peut national » et la désunion s’accroîtra en Europe. Soit ils trouvent ensemble les moyens de lutter contre la maladie et l’Europe sortira renforcée de la crise.

La crise du coronavirus est certainement l’une des plus graves, sinon la plus grave, qu’ait subies le continent européen depuis la naissance de l’Union européenne. Elle met à l’épreuve, d’une façon peut-être décisive, les principes d’unité et de coopération sur lesquels celle-ci est fondée. « Nous ne surmonterons pas cette crise sans une solidarité européenne forte », a déclaré Emmanuel Macron.

La mise en garde de Jacques Delors

L’ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors, est sorti lui-même de son silence pour lancer une mise en garde solennelle. « Le climat qui semble régner entre les chefs d’Etat et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne », a-t-il affirmé. La solidarité, voilà le maître mot au nom duquel l’Europe se construit depuis soixante-dix ans. Si cette exigence de solidarité n’est pas aujourd’hui au rendez-vous, la construction européenne sera bel et bien menacée de mort.

Il est vrai que la politique de santé n’est pas du ressort de l’Union européenne et que, aux termes des traités, elle relève de la seule compétence des Etats membres. Ceux-ci ont eu tendance à agir isolément plutôt qu’à se concerter avec leurs partenaires. Comme le note la Fondation Robert-Schuman, « malgré les appels à la coordination, les Etats membres ne se sont mis d’accord ni sur les mesures sanitaires à prendre, ni sur le rythme de leur mise en place en fonction de la progression de l’épidémie ».

Toutefois les institutions européennes ont tenté d’organiser la coopération là où elle était possible. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont ainsi défini cinq axes qui orientent leur action commune : limiter la propagation du virus, mettre à disposition du matériel médical, promouvoir la recherche, faire face aux conséquences socio-économiques, rapatrier des citoyens bloqués dans des pays tiers.

Préparer l’après-pandémie

Sur ces différents aspects de la lutte contre la pandémie, l’UE s’efforce d’apporter son concours, en veillant notamment à un meilleur contrôle des frontières, en assurant une coordination plus efficace entre les autorités nationales, en augmentant ses financements pour seconder les efforts des Etats en matière d’équipement et de recherche. Mais elle prépare surtout l’après-pandémie. « Nous sommes pleinement conscients de la gravité des conséquences socioéconomiques qu’entraîne la crise du COVID-19 et nous ferons tout ce qui est nécessaire pour relever ce défi dans un esprit de solidarité », a déclaré le Conseil européen.

La suspension du pacte de stabilité, l’assouplissement des règles sur les aides d’Etat, les engagements budgétaires de la Commission et de la Banque centrale traduisent ce nécessaire esprit de solidarité. Si la réponse sanitaire s’est faite dans le désordre, le soutien économique met en évidence l’importance du rôle de l’UE, même si subsistent des divergences importantes sur la question de la mutualisation des dettes, que la France propose et que l’Allemagne refuse.

Jean Monnet n’avait peut-être pas tort d’affirmer que l’Europe se construit à travers les crises. Mais l’espoir d’un nouveau rebond de l’UE au lendemain de la pandémie reste fragile. De précédentes crises l’ont montré, l’Europe s’est rarement révélée capable, autrement qu’en paroles, de se relancer lorsque les circonstances semblaient propices. Le « danger mortel » diagnostiqué par Jacques Delors demeure une menace crédible. Cette menace ne sera écartée que si les Européens comprennent enfin qu’ils ont besoin les uns des autres. Il se peut que la crise du coronavirus accélère cette prise de conscience.