Des pannes en série jettent un doute sur la capacité de l’armée allemande à faire face à ses obligations. Avions en panne, manque de pièces de rechange, moral des troupes… Ursula von der Leyen, première femme à diriger le ministère de la défense en Allemagne, est confrontée à une situation qu’elle n’avait pas prévue. Citée parmi les personnalités susceptibles de succéder un jour à Angela Merkel, elle doit assumer une baisse de sa popularité.
Contrairement à de nombreux pays européens, l’Allemagne a décidé de ne pas participer aux frappes contre Da’ech, « l’Etat islamique en Irak et en Syrie ». Le voudrait-elle qu’il n’est pas sûr qu’elle soit en mesure de le faire. La Bundeswehr est dans une situation matérielle difficile qui a été mise à jour peu à peu avec le changement de gouvernement et de ministre de la défense.
Avec la formation, à la fin de 2013, de la grande coalition entre les chrétiens démocrates et les sociaux-démocrates, Ursula von der Leyen a succédé à Thomas de Maizière. La fin du mandat de ce dernier avait été marqué par la découverte de dépassements des contrats pour les nouveaux matériels, par ailleurs défectueux.
La nouvelle ministre a procédé à un bouleversement de l’administration en essayant d’y imposer des méthodes de gestion inspirées du privé, notamment avec l’aide de sociétés de conseil. Les militaires et les fonctionnaires civils n’ont pas été ravis de cette incursion dans leurs affaires mais Ursula von der Leyen pensait ainsi se décharger d’une tâche rébarbative et peu gratifiante, pour se consacrer à améliorer l’ordinaire des soldats – hommes et femmes (elles représentent environ 10% des 185 000 personnels de la Bundeswehr) – et… son image.
« Maladies infantiles »
Elle a été rattrapée par les dures réalités. Les exemples abondent des déficiences de l’armement et du matériel de l’armée allemande. Les inspecteurs généraux de la Bundeswehr, sorte de chefs d’état-major des trois armes, ont remis à la commission de la défense du Bundestag un rapport dans lequel ils ont essayé d’enjoliver la situation mais qui reste accablant. Les équipements, chars, avions, hélicoptères, sont classés en trois catégories : existant, disponible, opérationnel. Le rapport entre l’opérationnel et l’existant est inférieur à la moitié. Parfois, deux équipements sur trois sont inutilisables. Sur les 109 avions Eurofighter dont dispose la Bundeswehr seuls 42 sont déclarés opérationnels, et encore « opérationnels sous conditions ». Les autres souffrent de « maladies infantiles ». Ceux qui ont été livrés comme ceux qui sont en commande montrent des défauts de fabrication. Même proportion pour les Tornado.
L’Allemagne a promis de mettre à la disposition de l’OTAN soixante Eurofighter en cas de menace contre les Etats baltes. Elle serait dans l’incapacité de tenir ses engagements. La marine n’a que deux ou trois hélicoptères de type Tiger en état de marche. Un de ces appareils a perdu son armement en vol au cours d’un exercice. La semaine dernière, le Transall supposé apporter de l’aide militaire aux peshmergas kurdes qui luttent contre « Da’ech » est tombé en panne sèche au départ de Leipzig. Ursula von der Leyen qui l’attendait à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, n’a pas pu remettre les armes aux autorités kurdes. Quant aux sept formateurs en route pour familiariser les peshmergas avec le maniement du matériel, ils ont dû changer trois fois d’avions avant d’atteindre le Kurdistan. Des soldats ayant terminé leur temps en Afghanistan ont dû attendre plusieurs jours avant d’être rapatriés, leur avion étant aussi tombé en panne.
Manque de pièces de rechange
Les inspecteurs de la Bundeswehr en ont isolé les causes : l’arrêt des commandes de pièces détachées depuis 2010, à la suite de la crise financière. A quoi il faut ajouter la réforme de la Bundeswehr, quasi permanente depuis cette date, avec le passage de la conscription à une armée de métier. Les Allemands ont été longtemps réticents à abandonner le service militaire qui devait permettre de former une armée composée de « citoyens en uniforme », en rupture avec la tradition militariste allemande. Mais le service militaire était inégalement appliqué, les possibilités d’exemption, notamment pour objection de conscience, étant très nombreuses.
De plus la fin de la guerre froide imposait une transformation des missions de la Bundeswehr, comme de toutes les armées occidentales. Totalement intégrée dans l’OTAN, l’armée allemande, reconstruite dans les années 1950 pour faire face à la menace soviétique, était vouée à la défense du territoire national et, au-delà, du territoire de l’Alliance atlantique. Cette mission supposait de grandes unités entraînées au combat dans les plaines d’Europe centrale. Dans les années 1970-1980, la Bundeswehr était la première armée d’Europe continentale du côté de l’OTAN, et la deuxième après l’armée américaine.
La fin de la conscription
Elle n’était pas adaptée aux nouvelles missions de maintien et de rétablissement de la paix, qui demandent de petites unités professionnelles, mobiles, bien formées, disposant d’un armement plus léger. Longuement débattue, longtemps différée, la suppression de la conscription a été menée au pas de charge par le ministre de la défense d’alors, Karl Theodor von und zu Guttenberg et cette précipitation a laissé des traces, y compris après le départ du baron qui a dû démissionner pour avoir obtenu sa thèse de doctorat à la suite d’un plagiat.
Son successeur Thomas de Maizière a concentré ses efforts sur les deux missions les plus importantes auxquelles participe la Bundeswehr à l’étranger : le Kosovo et l’Afghanistan, en négligeant les autres tâches du ministère. Ursula von der Leyen doit remettre de l’ordre. Dix mois après son arrivée, elle fait face à une situation difficile où elle risque de ternir sa réputation de femme politique intelligente et ambitieuse.
Ursula von der Leyen avait de grands projets pour son ministère. Quelques semaines après sa prise de fonction, elle tenait un discours offensif à la conférence sur la sécurité de Munich. Elle appelait l’Allemagne et les Allemands à assumer dans les crises internationales des responsabilités à la hauteur de leur puissance économique. Elle devra rabattre de ses prétentions car il n’est pas sûr que, indépendamment de l’opinion, l’Allemagne soit militairement en mesure de répondre à ces exigences. Ceux qui continuent, à tort, de craindre une armée allemande trop forte, s’en réjouiront. Le regretteront ceux qui considèrent que l’apport allemand à une véritable défense européenne est irremplaçable.