Vieilles pierres d’Europe, dont Dostoïevski disait qu’avec l’amour elles ont survécu. L’incendie de la cathédrale Notre-Dame ne le dément pas. La frénésie du feu s’est montrée plus faible que le génie des maîtres médiévaux. De même que les 400 pompiers parisiens contemporains qui ont tout fait pour sauver l’île de la cathédrale, refroidissant les pierres avec des torrents d’eau qui se sont se révélé en réalité salvateurs. Merci à eux !
On reconstruira une église de qualité et assez rapidement. L’argent déjà a commencé à être offert par les entreprises françaises. L’histoire reviendra dans la nouvelle cathédrale. L’histoire de la France, de l’Europe, de la foi. L’histoire, enfin, d’une culture grande et sage. Dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, on a couronné des rois, Napoléon. Les révolutionnaires de la grande Révolution française ont cassé les couronnes et les statues de l’église. Notre-Dame, comme toute l’humanité, contient leur contradiction. Ici, la même année 1944, on a acclamé le maréchal Pétain, collaborateur des nazis, et fêté la libération de Paris de l’occupant.
Victor Hugo a écrit le premier roman historique français « Notre-Dame de Paris » (1831) non seulement parce qu’il voulait montrer la lutte des passions humaines, leur beauté et leur laideur, mais aussi pour ne pas permettre la destruction de la cathédrale prévue par les reconstructeurs de Paris. Le succès du roman a sauvé l’église. La littérature française peut en être fière, comme on voit.
Dans les réseaux sociaux russes, les désastres à l’occasion suscitent une multitude de pleureuses. Beaucoup considèrent que l’incendie, c’est le symbole de l’effondrement de l’Europe, de l’anéantissement de ses valeurs. Naturellement les Français ne sont pas les plus pratiquants des catholiques. Ils vont rarement à l’église. Mais leur réserve de valeurs européennes suffit à leurs âmes pour longtemps encore. Beaucoup se sont souvenus, en liaison avec l’incendie, des émeutes barbares des « gilets jaunes » qui ont duré des mois, ils se sont souvenus, de manière désagréable, avec hostilité même, pour moi, des migrants qui ont « inondé » Paris. Au nom de la liberté il faut donner au pays la liberté de réfléchir à ses propres crises et ne pas chercher à éduquer à travers les murs pour dire à l’autre ce qu’il faut faire ou ne pas faire
Les lamentations historiques, symbole de l’impuissance, qui résonnent dans les ruines ne sont pas d’un grand secours, en empêchant de comprendre que ce malheur n’est pas seulement français mais est celui de chacun.
Cet incendie a réuni la nation. Nous avons vu comment la nation a chanté et prié à genoux. Et si, supposons, Charlie-Hebdo est prêt à réagir au malheur dans son esprit de caricature cela ressort aussi de la liberté de la France et non d’un cynisme irresponsable. Dans la lutte pour la cathédrale, pas un seul pompier n’a péri. L’incendie ne s’est pas transformé en un évènement atroce dans la tragédie humaine. Il est important aussi qu’il n’ait pas été le résultat d’une volonté malveillante.
Nous savons tous que les manuscrits ne brûlent pas. Ou plutôt ils brûlent mais l’œuvre persiste, la culture demeure. Des restaurateurs de toute l’Europe viendront aider la cathédrale Notre-Dame. La flèche de la cathédrale, qu’elle a reçue au 19ème siècle, peut être restaurée ou non, avant tout l’église se retrouvera telle qu’elle était initialement. Pour moi comme pour tous ceux qui aiment la France, il y a dans mon histoire l’amour de la cathédrale, de ses divins vitraux et surtout de sa composition architecturale qui nous dit que ce temple a été construit par des gens croyant dans les causes humaines les plus élevées. L’incendie m’a donné, à moi mais pas seulement à moi, un nouvel élan dans mon amour pour les sanctuaires catholiques, qui sont un cadeau pour tous les chrétiens et plus généralement pour tous ceux qui défendent les valeurs humaines.
La queue se reformera devant le temple. Nous y verrons des écoliers français, des Chinois et des Africains, et des Russes. Le temps viendra où l’on pourra allumer un cierge dans le temple pour son salut et sa résurrection. Dans ce genre de situation, on dit : « amen ! »
(Traduit du russe par Boulevard Extérieur)