La rentrée s’annonce rude. Après les décisions politiques prises en en ce début de l‘été – les élections européennes des 6-9 juin et les élections législatives anticipées en France le 30 juin et le 7 juillet— les citoyens se retrouvent à la fois soulagés et inquiets. Le pire a été évité, mais l’avenir reste incertain - l’avenir immédiat même. Les parlements nouvellement élus se sont constitués, mais l’organisation des pouvoirs publics est encore loin d’être faite. Et pourtant, l’Europe, la France – les Etats-Unis aussi—doivent être capables d’agir, maintenant. Car la Russie continue sa guerre contre l’Ukraine et celle-ci a besoin de soutien, plus que jamais. La défense d’Israël contre les terroristes palestiniens du Hamas dégénère en une guerre de destruction quasiment complète d’un petit pays surpeuplé avec extension potentielle de ce conflit sur toute la région du Moyen Orient (le Liban et le Yémen sont déjà atteints) où deux puissances nucléaires non-déclarées s’opposent, dont les responsables, chacun en difficultés internes graves, n’écoutent aucune voix de modération.
Les gens ont peur. Peur que leurs gouvernements ne soient pas à la hauteur des responsabilités de gestion et de protection de leurs pays ; peur que les pays glissent dans une guerre (à l’Est du continent) dont ils ne veulent pas ; peur que des conflits extérieurs (au Proche Orient) renforcent encore les conflits internes des sociétés ouvertes déjà trop polarisées. Les résultats des élections n‘ont pas donné de clarification. En France, aucune majorité n’est sortie du scrutin, même si certains réclament leur „victoire“ et prétendent pouvoir agir pour réaliser „notre programme, rien que le programme, mais tout le programme“. Seulement, désormais, les partis politiques à Paris sont obligés d‘assumer la responsabilité de travailler sur des compromis, d‘apprendre à coopérer au-delà des clivages idéologiques. Car il faut un gouvernement majoritaire solide pour faire face aux défis actuels. Les prétentions ne suffisent pas.
A Bruxelles, le poids de la droite nationaliste
En Europe, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a bien été réélue à la tête de l’exécutif de l’UE par le nouveau Parlement européen. Mais la composition de cet exécutif n’est pas encore établie. Chacun des membres de la Commission, nommés par les nations, doit passer encore par l’examen du Parlement. Mais le poids de la droite extrême nationaliste souhaitant abandonner le projet d’intégration européenne a été renforcé, surtout en France et en Allemagne. Ainsi, le risque de blocages politiques à Bruxelles et Strasbourg a augmenté. L’avenir de la construction européenne est loin d’être sûr. L’actuelle présidence hongroise (extrémiste et anti-intégrationniste) des conseils des ministres jusqu’au 31 décembre 2024 n’aidera pas à faire avancer le dossier d’une Union européenne capable d’agir dans le domaine géopolitique.
Et finalement, la campagne électorale aux Etats-Unis a pris un tournant surprenant avec la décision du président Joe Biden,« » une centaine de jours seulement avant les élections, de ne plus chercher à se faire réélire.
Il est difficile aujourd’hui de déterminer qui à Paris, à Bruxelles, à Washington est actuellement en charge ou le sera dans un avenir proche. A Berlin aussi, on doute de la solidité de l’équipe formellement en charge, qui sera mise à l’épreuve lors des élections régionales à l’Est au mois de septembre. Celles et ceux qui s‘en inquiètent ont raison. Car ainsi, le tsar au Kremlin peut continuer à nourrir l’illusion qu’il va pouvoir gagner sa guerre contre l’Ukraine et continuer ses attaques atroces et ses crimes de guerre, parce que le soutien par les partenaires de l’Ukraine à ce pays attaqué s’effondrerait par suite des faiblesses des régimes démocratiques. En outre, le risque d’une escalade de la situation au Proche Orient pèse de plus en plus lourd.
A Paris un gouvernement absent
Or, pendant que les guerres aux frontières de l’Europe continuent, les défis globaux du changement du climat apparaissent de plus en plus clairement (ce changement n’attend pas la fin des guerres ; en fait, le réchauffement du continent européen est bien plus important qu‘ailleurs) et les citoyens se voient confrontés à des incertitudes de plus en plus variées, percues, par beaucoup, comme étant des menaces pour leurs vies quotidiennes. Les responsables n’ont pas de temps à perdre dans les jeux politiciens.
Est-ce que la trêve olympique à Paris va tenir et aboutir à un apaisement de la situation en France qui permette l’installation d’un gouvernement en bonne et due forme ? D’un gouvernement capable de gouverner ? L’exécution permanente des affaires courantes n’est certainement pas une option, ni l’installation d’un gouvernement „technique“, voire apolitique. Au lieu de viser déjà l’échéance de 2027, les partis en position de prétendre à la gestion du pays n’auraient-ils pas le devoir de gérer les affaires importantes du pays et de les gérer bien maintenant, en 2024, en 2025, en 2026 ? De toute évidence, pour ce faire, le pouvoir présidentiel seul ne suffit plus, mais il ne va âs disparaître non plus. En tout cas, les partenaires de la France, ses alliés, ses amis, ont besoin de pouvoir s’adresser à quelqu’un, quelqu’un qui dispose du pouvoir, d‘un pouvoir légitime.
Ceci est d’autant plus important que les défis à tous les niveaux n’arrêtent pas. L‘avenir de l’Europe, de l’UE, est en jeu. Est-ce que les élargissements entamés vers les Balkans et vers l’Est vont contribuer à renforcer le „soft power“, mais aussi le poids géopolitique des Européens ou est-ce qu’ils vont faciliter la dilution de l’Union ? Est-ce que la France et l’Allemagne peuvent toujours prétendre à servir de „moteur pour l’Europe“ ou est-ce que la faiblesse politique de leurs dirigeants, le manque de soutien qu’ils trouvent dans leurs électorats respectifs, les en empêchent ? Et si ce „moteur“ est en panne, qui peut faire la remorque ?
A Berlin le moteur est en panne
Car, du côté allemand, le moteur est en panne aussi. La cote de la „coalition du progrès“ à Berlin dans les sondages reste au plus bas. Aux élections européennes, le SPD du chancelier Olaf Scholz et les Verts du vice chancelier Robert Habeck ont obtenu leur plus mauvais résultats. Seuls les libéraux ont pu se maintenir tout juste à un niveau bien modeste (5%). Dans les sondages au niveau fédéral, l’opposition chrétienne-démocrate continue à occuper de loin la première place. À elle seule, elle obtiendrait autant de voix que les trois partis de la coalitions actuelle ensemble. Et l‘extrême droite de l’AfD stabilise sa position de deuxième force politique du pays.
Ceci va s’accentuer encore les 1er et 22 septembre prochain, quand trois parlements régionaux à l’Est –à Erfurt en Thuringe, à Dresde en Saxe le 1er, et à Potsdam au Brandebourg le 22—vont être renouvelés. Dans les trois „länder“, l’AfD est largement en tête des sondages. La composition de coalitions de gouvernement régionaux s’annonce extrêmement difficile. Le pouvoir à Berlin en sera encore affaibli, car les libéraux du FDP risquent d’être éliminés complétements des trois assemblées et les Verts de deux d’entre elles.
À Paris comme à Berlin, les pouvoirs en place ont donc subi dernièrement des échecs électoraux substantiels et à Berlin ils en attendent d’autres. Cela les pousse à s’occuper avant tout, plus que jamais, de leurs prochaines échéances nationales pour renverser cette tendance fatale - en Allemagne en septembre 2025, en France en 2027 au plus tard. Olaf Scholz vient de s’auto-proclamer déjà candidat à sa propre succession. Les chrétiens-démocrates (opposition) et les Verts (coalition) vont décider de leurs candidats respectifs à la chancellerie après les élections régionales de septembre. Après, la course est ouverte. Les têtes des partis politiques en France, pour débloquer la situation actuelle, vont sans doute se positionner par rapports à leurs stratégies pour „l’après-Macron“, pour la course vers l’Elysée.
Et jusqu’au printemps prochain les responsables aux Etats-Unis, premier allié de la France comme de l’Allemagne, seront, eux aussi, concentrés sur eux-mêmes. Après une campagne électorale déjà sale, mensongère et insultante, qui durera encore jusqu’au 5 novembre et pendant laquelle on ne peut pas exclure des surprises dérangeantes, on risque de voir une période de contestation, selon le résultat. Si Donald Trump gagne, après tout, il va tenter, comme il l’a déjà annoncé, d’agir bien avant le 20 janvier 2025, date à laquelle il serait inauguré. Ce serait illégal. Et il y aura du monde qui s’y opposera. Si Kamala Harris gagne, on peut se demander, si son adversaire acceptera sa défaite ou si des émeutes comme celles du 6 janvier 2021 vont se reproduire. En tout cas, la composition d‘un nouveau gouvernement à Washington ne va pas être terminé avant le printemps.
Bref, au plein milieu de crises multiples que traversent nos pays et de deux guerres à nos frontières, les leaders des principales puissances de „l’Occident“ démocratique sont affaiblis comme rarement auparavant – aujourd’hui et pour l’avenir proche. Qui peut limiter les dégâts ?