„L’Alternative pour l’Allemagne“ (Alternative für Deutschland, AfD), le parti d’extrême droite, veut gouverner. C’est le message principal qui émane de son congrès national des 30 novembre et 1er décembre à Braunschweig. Le co-président du parti, Jörg Meuthen, réélu à son poste avec 69% des voix, l’a constaté : "Il est de notre devoir pendant les deux ans à venir (la période de son mandat), a-t-il dit, de développer notre volonté et notre capacité de gouverner". Avant lui, le co-président sortant, Alexander Gauland, avait tenu des propos dans le même sens : même si „quelques-uns de nous rêvent d’un petit parti social-révolutionnaire“, la révolution „n’a pas de tradition en Allemagne.“ L’AfD devrait entamer un chemin „réaliste“, affirme-t-il, ce qui ne veut pas dire s’aligner sur „une CDU pourrie“, mais „le jour va venir où une CDU affaiblie n’aura plus d’autre choix que nous.“ Et selon un document stratégique du parti, l’AfD doit devenir, d’ici 2025, un vrai „parti populaire“, remplacer la CDU comme première formation politique de la bourgeoisie conservatrice.
L’influence du radical Björn Höcke
A-t-on affaire désormais à un parti d’extrême droite qui aspire sérieusement à prendre des responsabilités ? Qui se civilise ? Qui cherche la coopération ? C’est peut-être l’image qu’il veut envoyer de ce „Centre de Conférence Volkswagen“, dont le mot „Volkswagen“ a été masqué à la demande du constructeur automobile. Mais l’auteur de ce papier stratégique, Georg Pazderski, a raté sa réélection au poste de vice-président. L’ancien colonel de la Bundeswehr avait, avec une centaine de militants du parti, signé un appel cet été pour s’opposer à la mise en scène de l’animateur du courant appelé „l’aile“ (l’extrême droite de l’extrême droite), Björn Höcke, à qui ils reprochent de créer une sorte de culte autour de sa personne. Son influence politique, pourtant, a été démontrée lors de ce congrès, car sans le soutien des adhérents de son „aile“, il n’y aurait pas eu de majorité parmi les délégués du congrès. Et ce soutien, „l’aile“, qui n’a pas de structure formelle, a bien su l’organiser. Voici l’état des lieux de ce parti qui bouleverse la scène politique allemande.
Certes, pour l’instant, ce jeune parti de six ans est encore loin de gouverner. La CDU „pourrie“ vient de répéter, pour sa part, son refus catégorique de toute sorte de coopération avec l’AfD. Et le président Markus Söder, de la CSU bavaroise, parti frère de la CDU et d’habitude plus conservateur qu’elle, confirme qu’il ne peut y avoir pour lui d’autre position que de combattre l’AfD. Mais l’AfD veut être prête. Avec ce congrès, une nouvelle étape commence, celle de la professionalisation, annoncée par Jörg Meuthen, et de la modération, annoncée par son nouveau co-président, Tino Chrupalla. L’extrême droite devient-elle un peu moins extrême ? Pas du tout.
„L’Aile“ a changé de tactique
„L’Aile“ a simplement changé de tactique. En fait, pour les plus radicaux de l’extrême droite autour de Björn Höcke et de Andreas Kalbitz, 2019 a été une année de triomphes. Les élections régionales à l’est du pays, en Saxe et au Brandebourg le 1er septembre, en Thuringe le 27 octobre, ont confirmé l’installation pour la durée, à la deuxième place, de ce parti nationaliste et xénophobe ; une place qu’il avait déjà acquise en Saxe-Anhalt et au Mecklembourg-Poméranie Occidentale en 2016. En revanche, au niveau national, ses résultats aux élections européennes le 26 mai ont été plutôt médiocres. Et les chiffres des sondages stagnent.
Les victoires électorales de l’AfD à l’est avaient montré à nouveau un clivage est-ouest en Allemagne, bien que le parti soit présent dans tous les parlements régionaux du pays ainsi qu’au Bundestag, où il est la première formation d’oppsition. Mais l’opposition à „l’aile“ s’est formée surtout à l’ouest du pays, en Rhénanie du Nord-Westphalie, par exemple, ou en Rhénanie-Palatinat, où les directions régionales du parti ont pris leur distance avec Höcke et ses amis. Au Bade-Wurtemberg pourtant, land d’origine de Jörg Meuthen, le député européen qui sert de facade bourgeoise et académique au parti, celui-ci n’a pas réussi à se faire élire délégué à ce congrès ; il n’a pu y participer qu’en sa capacité de co-président en exercice. L’influence de „l’aile“ s’est fait sentir ici aussi.
On a du mal à déterminer la position de Jörg Meuthen au sein du parti. Il sait s’exprimer et apparaît comme un politicien raisonnable ; il proclame des „lignes rouges“ par rapport aux extrémistes, mais en même temps, il voit „l’Aile“ comme une minorité qu’il veut intégrer. Il prend ses distances avec Bjorn Höcke, mais il ne veut pas l’abandonner. Après la victoire de ce dernier aux élections en Thuringe, où il était tête de liste, Alexander Gauland le classait au centre du parti - Alexander Gauland, maintenant président d’honneur, est celui pour qui la période nazie n’a été qu’une „crotte d’oiseau“ de l’histoire allemande.
Tino Chrupalla le nouveau venu
Le plus grand souci des dirigeants de l’AfD à l’occasion de leur congrès était de cacher leurs clivages, de se montrer unis. Plus question pour Björn Höcke de „balayer“ le leadership national, ni de chercher lui-même un poste à la direction du parti. Au contraire, devant les caméras il appelle à l’union de toute l’AfD et il offre de coopérer avec les „partis bourgeois“. Les présidents Meuthen et Gauland - qui, à l’âge de 78 ans, va se retirer au poste de président d’honneur - s’entendent avec „l’aile“ pour présenter comme remplacant à Gauland Tino Chrupalla, 44 ans, peintre profesionnel à Görlitz en Saxe, à la frontière avec la Pologne, qui représenterait les länder de l’est et le monde des artisans et des PME, compatible avec les idées et les démarches de „l’aile“ sans en faire partie. Façade bourgeoise et modérée derrière laquelle „l’aile“ va pouvoir continuer ses activités sans faire peur aux conservateurs à l’Ouest qui ne rêvent que de la CDU d’autrefois, conservatrice et protectrice.
C’est Tino Chrupalla, le nouveau venu, qui appelle à la modération, à la raison. L’AfD , dit-il, doit chercher à convaincre le „centre bourgeois“, éviter le langage radical des Höcke, Kalbitz, etc. quand ils sont avec leurs amis de „l’Aile“. Il semble ne présenter que des atouts : jeune, artisan proche du peuple, engagé dans la société civile de sa ville de Görlitz, tout au bout de l’Allemagne de l’est (dans le petit coin de la Silésie qui est restée à l’Allemagne, comme il dit), où , aux élections législative de 2017 au Bundestag, jeune inconnu, il a enlevé son mandat à Michael Kretschmer de la CDU, aujourd’hui ministre-président de Saxe, avec 32,5% des voix ; où le candidat AfD à la mairie de la ville a failli remporter la victoire en juin de cette année avec 45%. Tino Chrupalla, ce serait, à coté de Jörg Meuthen, l’autre co-président présentable au profit du projet d’un „parti populaire“. Meuthen – Chrupalla, Ce serait le couple parfait : ouest/est ; universitaire/artisan ; Parlement européen/Bundestag ; expérimenté/jeune.
Seulement, Tino Chrupalla est décrit par une collobratrice de sa campagne de 2017 comme étant un „loup déguisé en agneau“. Un „raisonnable“ qui est quand-même xénophobe et se dit d’accord avec la théorie du grand remplacement des populations, de la disparition du peuple allemand au profit des immigrés musulmans ; qui appelle les journalistes des „agents de décomposition“ ; qui évite les journalistes, les ignore, a du mal à répondre à leurs questions ou s’y refuse tout simplement. Une facade plutôt ternie.
Une façade d’unité et de modération
Les deux ans à venir, période du mandat de la nouvelle direction de l’AfD, vont être différents des précédents. Plus de grandes victoires électorales à attendre en 2020, quand il n’y a que des élections régionales dans la Ville-Etat de Hambourg. En 2021, avec cinq élections régionales, dont deux à l’est, et les élections législatives (s’il n’y a pas d’élections anticipées), ce sera autre chose. Jusque là, les courants de ce parti, „l’Aile“ extrémiste et fascisante, et les „bourgeois“, pourtant alliés, seront obligés d’installer un rapport de force. Mais jusque là aussi, les bagarres entre les uns et les autres risquent d’éclater à nouveau comme cela été souvent le cas avec les partis d’extrême droite où on admire l’autorité mais où chacun la réclame pour lui-même.
Le Congrès de Braunschweig a cherché à construire une façade d’unité et de modération. Il a refusé de discuter la demande d’une partie de „L’aile“, dont Andreas Kalbitz par exemple, qui avaient appartenu à des organisations proches du NPD ou d’autre organisations para-fascistes ou carrément fascistes, et qui avaient donc l’intention de faire rayer des statut une clause d’incompatibilité entre l’AfD et ces organisations extrêmement extrémistes comme le „Mouvement identitaire“ ou d’autres organisations ouvertement fascistes ou racistes. dont une liste avait été établie par l’AfD. Mais au Congrès, beaucoup d’adhérents n’ont pas voulu apparaître comme un parti néo-fasciste, et les autres ont craint d’être désavoués.
La question de savoir si cette facade peut persister va dépendre de l’influence de „L’Aile“, qui a démontré son savoir-faire à ce congrès.