La coalition d’une quarantaine de pays regroupés autour des Etats-Unis pour combattre « l’Etat islamique » s’appuie sur l’accord du gouvernement de Bagdad pour une intervention militaire sur son sol. Cet accord n’a été possible qu’avec l’aval de Téhéran et l’appui de Riyad.
Le consensus trouvé entre ces deux puissances proche-orientales qui se partagent leurs zones d’influence n’a pas été possible avec le gouvernement de Damas. De son côté, la Turquie, qui partage des frontières avec la Syrie et l’Irak, se fait prier pour participer à la coalition alors qu’elle est membre de l’OTAN. Ankara veut avoir son mot à dire sur deux dossiers : les Kurdes et les islamistes syriens qui lui seraient favorables.
Dans cette lutte contre l’émergence d’une organisation para-étatique qui menace de désintégrer l’ensemble de la zone qui va du Golfe arabo-persique à la Méditerranée, chaque Etat poursuit ses propres calculs et ses propres intérêts.
Les enjeux sont considérables. Ce qui est en jeu c’est l’avenir d’une zone qui se situe à la périphérie de l’Europe, de l’Asie centrale et de l’Afrique.
Téhéran a marqué des points
Téhéran, qui négocie avec les pays occidentaux un accord sur son programme nucléaire, a pour atout un certain nombre d’appuis pour disputer à Riyad son influence sur les pays arabes majoritairement sunnites. Au Yémen et à Bahreïn, sur les « marches » de l’Arabie, elle active ses réseaux – Houtites au Yémen et majorité chiite à Bahreïn – pour déstabiliser la Péninsule. En Irak, frontière nord de l’Arabie, Téhéran contrôle depuis 2003 le gouvernement avec l’accord de Washington.
Mais c’est en Syrie et au Liban que Téhéran a marqué le plus de points puisqu’il s’est rendu indispensable pour toute puissance qui cherche à avoir une certaine influence sur les deux pays frontaliers d’Israël qui n’ont pas signé d’accord de paix avec l’Etat hébreu.
Cet atout, Téhéran en use et en abuse depuis la création du Hezbollah libanais en 1982 après l’invasion israélienne du pays du cèdre et l’éviction des troupes palestiniennes de Yasser Arafat, avant de décimer tour à tour l’ensemble des directeurs de la CIA au Proche-Orient réunis dans l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth le 18 avril 1983, les Marines américains et les paras français de la force multinationale le 23 octobre 1983, enfin l’antenne du Mossad israélien au Sud du Liban. Ces attentats dévastateurs lui ont permis d’affirmer son rôle de puissance régionale opposée à l’influence des Etats-Unis et de l’Europe, soutenant un mouvement paramilitaire qui se targue d’avoir été le seul à chasser les troupes israéliennes d’un territoire arabe.
Le soutien de l’Iran à Bachar el Assad
Si Barack Obama a renoncé à collaborer avec Damas et Téhéran dans la lutte contre Da’ech (Daoula al islamiya fil Irak oua al châm ou Etat islamique en Irak et en Syrie) c’est bien sous la pression saoudienne.
Si un consensus a pu se dégager entre Téhéran et Riyad pour écarter Nouri al Maliki de la tête du gouvernement de Bagdad et permettre à la coalition de s’appuyer sur les Peshmergas kurdes pour repousser les combattants de l’EI, aucun compromis n’a encore été trouvé sur l’avenir du pouvoir à Damas. Téhéran ne lâchera en aucun cas son allié Bachar el Assad, seul garant de la survie du Hezbollah libanais.
Washington l’a bien compris et a entrepris depuis la mi-août d’équiper l’armée libanaise en armement léger, écartant par la même occasion la possibilité pour la France de livrer du matériel sophistiqué suite à la promesse faite par le roi Abdallah d’Arabie saoudite, lors de la visite de François Hollande à Riyad en décembre 2013, de financer l’achat d’armes françaises à hauteur de 3 milliards de dollars. Mais si le soutien de Washington à l’armée libanaise est aussi modeste c’est bien parce que le Hezbollah empêche l’armée nationale de se déployer sur tout le territoire et de contrôler efficacement ses frontières avec la Syrie.
Qu’il le veuille ou non, Barack Obama a été obligé d’en tenir compte. Cette décision américaine, outre qu’elle perturbe une fois de plus la politique française à propos de la Syrie et du Liban, limite le rôle de Riyad sur ces mêmes dossiers. Elle conforte à la fois Téhéran et son bras armé le Hezbollah, mais aussi Damas et Israël pour des considérations apparemment contradictoires, mais qui se rejoignent sur le fond.
Pas de troupes de la région
C’est en tout cas le talon d’Achille de l’opération conduite par les Etats-Unis contre « l’Etat islamique ». Si un consensus s’est dégagé sur l’Irak, il est loin d’être trouvé sur la Syrie.
Bachar el Assad ne gouvernera plus une Syrie réunifiée et si une transition doit se faire à terme elle devra passer par un grand marchandage régional qui devra nécessairement inclure les principaux acteurs régionaux : Turquie, Iran, Arabie saoudite et Israël. Sur ce dernier point, ce n’est pas un hasard si la décision de Barack Obama de lancer son opération a été précipitée par les combats sur le plateau du Golan où les islamistes de l’EI ont acquis des positions mettant en danger les troupes israéliennes et les forces d’interposition de l’ONU.
Ce qui est étrange et particulièrement significatif dans cette coalition conduite par Washington pour combattre les extrémistes islamistes, c’est qu’aucun Etat de la région – Turcs, Iraniens, Israéliens ou arabes – ne fournit de troupes pour combattre ceux qui menacent l’intégrité de leur territoire. Seuls les Kurdes s’impliquent dans le combat qui pourrait – espèrent-ils – conduire à la création d’un Kurdistan indépendant. Dans un premier temps, l’armée irakienne face aux djihadistes s’est désintégrée et n’a engrangé récemment quelques succès que grâce à l’apport des Gardiens de la révolution iraniens.
Inconscience, irresponsabilité, calculs égoïstes ?
C’est tout cela à la fois, à l’image de la déliquescence de sociétés et d’Etats ayant raté complètement leur entrée dans la modernité.
Car les nombreux dossiers qui s’imbriquent et se superposent depuis la fin de l’empire ottoman et le découpage du Proche-Orient après la fin de la Grande guerre n’ont toujours pas trouvé de solution et se compliquent avec le temps.
L’hydre du fanatisme est en quelque sorte le miroir de ces manquements au respect du droit international et de chaque peuple à disposer de sa souveraineté et de son indépendance.
Dans la lutte contre la barbarie, chacun devra d’abord balayer devant sa porte.
Car la guerre ne fait que s’ajouter à la guerre. Il faudra un jour s’atteler à faire la paix et favoriser le développement d’une région du monde dont plusieurs générations – depuis le milieu du XIXème siècle – ont été forcées à l’exil, déstabilisant durablement et profondément des sociétés qui furent le berceau de l’humanité.