Quoi qu’il arrive, après les élections législatives du 26 septembre, une ère nouvelle va commencer, pour l’Allemagne mais aussi pour l’Europe – sans que l’on sache encore qui conduira la première puissance économique de l’UE et comment. Un premier sondage donne un avantage aux Verts par rapport à la CDU/CSU, mais toute conclusion à ce jour serait prématurée.
Pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale, un chancelier, c’est-à-dire la chancelière Angela Merkel, ne se représente pas pour un nouveau mandat. Après seize ans au pouvoir, Mme Merkel s’apprête-t-elle à céder la place – à celui qui s’est finalement imposé au sein de son propre parti, le merkélien Armin Laschet ? A son adjoint du SPD, Olaf Scholz, qui est toujours son partenaire dans une „grande coalition“ qui ne l’est plus quand on regarde les sondages ? Ou à une autre femme, Annalena Baerbock, jeune, ambitieuse qui a réussi, avec son co-président Robert Habeck, à transformer son parti et à l’installer à une solide deuxième place dans le monde politique allemand ? On a encore du mal à imaginer ce que cela voudrait dire : une chancelière issue des Verts sans aucune expérience gouvernementale ou administrative ; ou un chancelier démocrate-chrétien qui a tant de mal à se faire accepter par ses propres amis politiques.
Armin Laschet préféré à Markus Söder
Avec la CDU/CSU, formation politique de la chancelière, de Konrad Adenauer et de Helmut Kohl, les Allemands ont eu droit, ces derniers jours, à un spectacle inouï, voire lamentable. Elu à la tête de la CDU il y a trois mois seulement, Armin Laschet, chef du gouvernement de la Rhénanie du Nord-Westphalie, n’a pas tout de suite demandé à être désigné comme le successeur naturel d’Angela Merkel à la chancellerie. Pire, Markus Söder, chef du parti frère, la CSU, et du gouvernement bavarois, après avoir répété pendant des semaines : „ma place est en Bavière“, avait finalement déclaré, le 11 avril, qu’il était prêt, lui, à être candidat de „l’union“. Soutenu par les sondages dans lesquels il se trouve, depuis des mois, constamment loin devant Armin Laschet, Söder avait changé de position. Selon les derniers sondages, 44% des sondés dans tout le pays estiment qu’il serait le mieux placé pour conduire „l’union“ dans cette campagne électorale, alors que seulement 15% sont de l’avis que cela devrait être Armin Laschet. Parmi les supporters de „l’union“ cette différence est encore plus importante : 72% se prononcent pour M. Söder, 17% pour A. Laschet.
Pourtant, le 12 avril, le comité directeur de la CDU déclare, à une nette majorité, son président Armin Laschet candidat à la chancellerie. Après ses défaites aux élections régionales du 14 mars et après la déclaration de candidature de Markus Söder le 11 avril, beaucoup d’adhérents et de députés de la CDU commencent à douter de la capacité d’Armin Laschet à les conduire à la victoire en septembre. Reiner Haseloff, le ministre-président CDU de Saxe-Anhalt (Magdebourg), déclare : „Maintenant, ce n’est pas la sympathie personnelle qui compte, la confiance ou le caractère. On est devant la question du pouvoir : avec qui avons-nous les meilleures chances de réussir ?“ Sans doute pense-t-il aussi à son propre scrutin régional du 6 juin, où il affrontera l’extrême droite de l’AfD pour la première place et pour le pouvoir dans son „Land“. Beaucoup de députés de la CDU s’inquiètent pour leurs sièges au Bundestag. En même temps, Markus Söder n’arrête pas d’insister sur les sondages qui lui sont favorables. En effet, s’il y avait un vote direct pour le poste de chancelier, Söder sortirait gagnant loin devant tout autre candidat Vert ou SPD, alors que Laschet serait perdant contre chacun des autres.
Après sa désignation, la situation ne s’est pas améliorée pour Armin Laschet : Dans un sondage des 20 et 21 avril, publié par “Der Spiegel“, 66% des sondés considèrent que la décision de la CDU est mauvaise, y compris 77% des sympathisants du parti. Et en cas de vote direct pour le poste de chancelier, Armin Laschet arriverait troisième avec 11% des voix, derrière Olaf Scholz, qui en obtiendrait 17%, et derrière Annalena Baerbock, qui l‘emporterait avec 30%. Certes une élection directe à la chancellerie n’est pas prévue par la Constitution. Ces chiffres n’en sont pas moins significatifs.
Pendant une bonne semaine la scène politique a été dominée par cette „question K“ (K = Kandidat), malgré les urgences politiques en matière de crise sanitaire. Elle met surtout en évidence la difficulté de la CDU avec elle-même après vingt ans d’Angela Merkel. Après sa démission de la présidence de la CDU en 2018, ce grand parti manque toujours de boussole. Deux campagnes de primaires internes en deux ans parmi les adhérents pour trouver, à deux reprises, un successeur à la tête du parti —Annegret Kramp-Karrenbauer d’abord, Armin Laschet ensuite — n’ont pas rassemblé, mais ont plutôt divisé une formation politique qui s’est toujours définie comme étant garante de la stabilité et d’une bonne gouvernance. Il n’en est plus question. Même la gestion de la crise sanitaire n’est plus acceptée par une majorité dans les sondages. Les uns veulent en finir avec les restrictions, les autres en veulent de plus strictes.
Comment réconcilier les deux courants ?
Cinq mois seulement avant les élections pour le Bundestag, le candidat du parti qui, depuis seize ans maintenant, occupe la chancellerie, se trouve devant trois grands problèmes – au moins. Primo : après la lutte acharnée entre les deux prétendants de „l’union“, le vainqueur doit, avant tout, apaiser ses propres amis, guérir les plaies qu’a provoquées cette semaine de „discussions sincères, à l’amiable“, entre deux personnages si différents. Armin Laschet, le Rhénan catholique, homme d’organisation, souvent sous-estimé, a subi des défaites, mais a réussi aussi à arracher la majorité à une social-démocratie bien établie dans le „Land“ le plus peuplé de l’Allemagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie avec ses 16 millions d’habitants, qu’il gouverne sans faille depuis 2017. Il est considéré comme un rassembleur et s’est montré fidèle à Mme Merkel quand la CSU l’a attaquée pendant la crise migratoire. Il doit rassembler maintenant tous ceux qui, au sein de la CDU, lui avaient préféré Markus Söder. Et il y en avait beaucoup.
Markus Söder, lui, n’a pas concédé de défaite, mais il a constaté simplement que la décision avait été prise par la CDU en faveur d’Armin Laschet et l’a acceptée. Il a remercié „tous les courageux de la CDU“ qui l’avaient soutenu, „les jeunes, ceux qui regardent devant“ – bref les gens de l‘avenir. C’était sa manière d’exprimer, après sa défaite, qu’il aurait été le meilleur choix –-le „candidat du cœur“, comme l’a dit son secrétaire général. Ce protestant franconien s’est toujours considéré comme étant le meilleur choix et, pendant toute sa carrière politique en Bavière, il a choisi une stratégie de communication qui ne manque pas de porter ce message, toujours au vu des sondages. Il obéit à la logique populiste du leader en contact direct avec le peuple pour qui le parti ne sert qu’à organiser le soutien nécessaire à son action. Ainsi, la lutte entre les deux hommes n’était pas seulement une lutte entre deux personnes, mais entre deux façons de faire de la politique. La charge pour Armin Laschet de réconcilier ces deux courants et de motiver les adhérents pour une campagne électorale commune sera lourde.
Secundo : du fait de la longueur du processus de désignation du candidat, la CDU/CSU n’a pas encore, à la différence des Verts et du SPD, développé de programme électoral. Il faut donc que les deux partis se mettent rapidement d’accord sur un programme commun, avec lequel ils comptent conduire le pays pendant la prochaine décennie. C’est l‘ambition que les deux candidats à la candidature ont toujours déclarée : après la crise sanitaire et la phase de faiblesse de „l’union“, ils ont promis de présenter aux électeurs un programme d‘avenir qui prenne en compte la crise climatique et les besoins d’une restructuration de l’industrie et de toute l’économie ainsi que les développements du numérique. Armin Laschet doit diriger maintenant ce travail nécessaire, mais peu apprécié par les professionnels de campagne qui misent sur des slogans simples. Et il n’a pas de temps à perdre. Pour l’orientation du parti, pour son avenir comme grand parti de centre-droit, ce sera un travail essentiel.
Armin Laschet doit vite surmonter son image d‘homme qui hésite souvent, qui change d’avis et de position, qui profite des occasions plutôt que d’en créer. Il doit démontrer son „leadership“ dans une campagne dans laquelle M. Söder va jouer un rôle important et représenter un défi constant à son autorité.
Le choix des Verts en faveur d’Annalena Baerbock
Ce ne sera pas le problème d’Annalena Baerbock qui, elle aussi, était en compétition pour la candidature à la chancellerie. Elle a dû disputer ce rôle à son co-président Robert Habeck. Tous les deux avaient déclaré qu’ils étaient prêts et qu’ils avaient envie d’assumer ce rôle. Mais les Verts ne sont plus ce mouvement un peu chaotique, voire anarchique, qui débattait de presque tout sur la place publique et en appelait au vote de „la base“. Les deux prétendants avaient déclaré avant Pâques qu’ils allaient se décider entre eux et rendre publique leur décision le 19 avril. C’est ce qu’ils ont fait. Sans drame, sans discussions nocturnes.
Le 19 avril, Robert Habeck annonce que la candidate sera Annalena Baerbock, sans cacher ses regrets que ce ne soit pas lui, mais en confirmant qu’il jouera un rôle important dans la campagne et qu’il fera partie du prochain gouvernement. Tous les deux affichent leur priorité politique absolue d‘aborder la crise climatique dans toutes ses dimensions, y compris pour l’économie et pour la cohésion sociale. Mais surtout, ils insistent sur une nouvelle manière de faire de la politique, un changement de comportement de la part de ceux qui occupent des postes de responsabilité. Un message sympathique, mais un peu flou.
La dimension européenne
Il leur a manqué, pourtant, dans leurs premières déclarations un élément important des défis de l’avenir : la dimension européenne. Les Verts qui, en général, se présentent comme LE parti européen, ont encore à travailler sur ce dossier, qui, plus que tout autre, déterminera le cadre et les possibilités de succès de leur politique. Annalena Baerbock, qui a travaillé au Parlement européen et qui possède un diplôme en droit international, saura le faire, avec le soutien de Robert Habeck, originaire de la région frontalière avec le Danemark.
Armin Laschet, lui, a invoqué la dimension européenne de toute politique pour sortir de la crise sanitaire d’abord, pour s’occuper de la crise climatique ensuite. L’actuel délégué du gouvernement fédéral pour la coopération culturelle franco-allemande et l’ancien député européen originaire d’Aix-la-Chapelle qui a de la famille en Belgique, est habitué à la dimension européenne.
Sans oublier le troisième candidat Olaf Scholz – c‘est lui qui a été responsable, en tant que ministre des finances, de la mise sur pied, avec la France, du grand projet du 18 mai 2020 d’un fonds de relance européen.
Au-delà des incertitudes concernant l‘Allemagne après les élections du 26 septembre, il y a du rassurant : chacun des candidats sera un partenaire fiable et compétent au niveau européen.