Les prochaines élections européennes de juin 2024 pourraient voir l’avènement d’une alliance entre droite et extrême-droite au Parlement européen, et un poids toujours plus grand du souverainisme et du nationalisme au sein du Conseil européen. L’année 2022 a mal commencé pour les populistes de droite. L’invasion de l’Ukraine par Poutine en février a contraint de nombreux partis européens de la droite radicale à de multiples acrobaties rhétoriques pour se démarquer de l’autocrate russe, qu’ils avaient traditionnellement soutenu. En avril, Emmanuel Macron a battu Marine Le Pen aux élections présidentielles françaises, avec moins de points de pourcentage d’écart que cinq ans plus tôt, mais tout de même assez nettement.
À l’automne de la même année, la défaite de Bolsonaro au Brésil, le départ de Boris Johnson et l’expérience désastreuse de Première ministre de Liz Truss au Royaume-Uni, ainsi que les résultats décevants des Républicains aux élections américaines de mi-mandat ont renforcé l’impression que le populisme de droite avait atteint son apogée. Cet optimisme initial s’est rapidement révélé prématuré. En Italie, une coalition menée par les Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, un parti aux racines néofascistes, a remporté les élections législatives de septembre dernier, ainsi que les élections administratives huit mois plus tard. Bien que le récent décès de Silvio Berlusconi ouvre une phase d’incertitude pour la coalition gouvernementale, le parti de Meloni s’est constamment maintenu autour de 30 % depuis les élections de septembre (où il a obtenu 26 %) et fait face à une opposition divisée.
La stratégie de Marine Le Pen
En France, le Rassemblement national de Marine Le Pen est sorti renforcé des affrontements qui ont eu lieu au cours des premiers mois de l’année à propos de la réforme des retraites du gouvernement. Grâce à sa stratégie d’opposition intransigeante à la réforme, accompagnée d’un effort constant pour se présenter publiquement comme respectueux des institutions et des procédures (contrairement à la gauche radicale indisciplinée), le RN est remonté dans les sondages à environ 25 % (contre 18,7 % lors des élections législatives de l’année dernière) et tout ce qui restait de l’ancien cordon sanitaire à son encontre s’est maintenant dissipé. Plusieurs sondages ont montré que Marine Le Pen pouvait remporter la prochaine élection présidentielle.
En Allemagne, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland a doublé son score dans les sondages, passant de 10 % à 20 % au cours des 12 derniers mois. Plusieurs sondages placent l’AfD au deuxième rang des partis allemands, devant les sociaux-démocrates de Scholz. Comme d’habitude, l’AfD bénéficie d’un soutien très important dans les Länder relativement plus pauvres de l’ancienne Allemagne de l’Est. Mais de manière plus frappante, le parti constitue désormais la deuxième force dans de nombreux districts des régions aisées du sud de la Bavière et du Bade-Wurtemberg.
Les 7,2 % de Vox aux récentes élections locales espagnoles et ses plus de 15 % dans les sondages pour les élections législatives anticipées prévues en juillet prochain – des chiffres qui font de Vox un partenaire de coalition nécessaire pour le Partido Popular dans cinq régions, et potentiellement au niveau national également – doivent donc être considérés dans un contexte où la droite radicale populiste continue d’accroître son emprise sur l’ensemble du continent.
Le modèle de Viktor Orban
La tendance à la droitisation des électeurs européens n’est pas près de s’éteindre et n’est pas de bon augure pour la démocratie libérale. Une récente étude comparative de la Fondation Friedrich-Ebert dans huit pays européens montre que les électeurs de la droite radicale et les abstentionnistes – deux groupes en augmentation constante au cours des deux dernières décennies – n’hésiteraient pas à voter pour des partis et des dirigeants susceptibles d’attaquer les institutions démocratiques libérales, à condition qu’ils mettent en œuvre des politiques centrées sur l’identité nationale et la redistribution. C’est le modèle que Viktor Orban a suivi en Hongrie depuis 2010, ainsi que le gouvernement dirigé par Droit et Justice en Pologne depuis 2015. Ils ont mis leurs pays sur la voie de l’autocratisation et ont déstabilisé l’Union européenne – et ils ont été félicités pour leurs victoires électorales par les dirigeants des partis de la droite radicale de l’Europe occidentale.
La montée de la droite radicale en Europe menace de modifier l’équilibre politique non seulement dans les différents pays, mais aussi au sein des institutions européennes, où la domination actuelle des forces pro-intégration est de plus en plus menacée par les forces nationalistes. Depuis des mois, le projet de coalition au Parlement européen entre le Parti populaire européen (PPE), de droite modérée, et les Conservateurs et réformistes européens (CRE), qui comprend Vox ainsi que le parti polonais Droit et justice (PiS), et qui est dirigé par Mme Meloni elle-même, gagne du terrain dans les cercles européens et nationaux.
Les ennemis de l’intégration européenne
La coalition gouvernementale italienne étant considérée comme un « modèle » pour cette alliance, une coalition entre le Partido Popular et Vox au niveau régional et surtout national renforcerait encore les perspectives d’une collaboration formelle entre la droite radicale et la droite modérée au niveau européen. Certes, il est peu probable qu’une coalition PPE/CRE obtienne la majorité au Parlement européen sans faire de compromis avec le parti libéral pro-intégration Renew (Renouveau). Cependant, une UE où les partis de la droite radicale influencent la nomination des hauts fonctionnaires et où des États membres importants sont dirigés par des coalitions incluant la droite radicale serait remarquablement différente de l’UE telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Les procédures d’infraction contre la Hongrie et la Pologne pour violation de l’État de droit cesseraient probablement ; les discussions sur l’intégration fiscale, la défense commune et l’extension du vote à la majorité qualifiée, par exemple, auraient peu de chances de progresser ; le pouvoir de la Commission européenne serait considérablement réduit au profit du Conseil européen, où les gouvernements nationaux feraient la pluie et le beau temps ; les ennemis de l’intégration européenne, de Poutine à Erdogan, en passant par les Républicains américains et les Conservateurs britanniques (pour n’en citer que quelques-uns), se réjouiraient. La question de savoir si cela se produira est en fin de compte entre les mains des électeurs européens en juin de l’année prochaine, lors d’une élection qui promet d’être beaucoup plus politisée que les précédentes. Mais dans la politique européenne interconnectée d’aujourd’hui, les développements nationaux (et même régionaux) peuvent entraîner des répercussions à l’échelle du continent.