D’abord, apprendre le métier dans les capitales européennes. A Bonn il fallait alors veiller au respect de l’accord quadripartite sur Berlin conclu en septembre 1971 entre les quatre puissances d’occupation de l’Allemagne. Cet accord sur le statut de la ville de Berlin avait été signé pendant les années de détente au milieu de la guerre froide entre l’URSS, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Les Occidentaux devaient parfois rappeler les soviétiques à leurs engagements. Puis de Londres où Jean-Michel Gaussot dut affronter une presse souvent prévenue contre la France, en passant par La Haye où perçait le tropisme d’un atlantisme non-dit, jusqu’à Belgrade, dans une Yougoslavie en déclin où il fut confronté aux problèmes parfois dramatiques d’une ambassade.
Vient ensuite le perfectionnement dans les relations multilatérales. Nommé à l’automne 1986 premier conseiller à la mission française auprès des Nations Unies à New-York, Jean-Michel Gaussot eut notamment à représenter la France dans les discussions sur la guerre Iran-Irak et fut l’un des négociateurs de la résolution 598 qui mit fin à ce conflit. Il assista lors des assemblées générales de 1987 et 1988 aux grands discours de Mikhaïl Gorbatchev annonçant la fin d’un monde divisé en deux blocs. Mais son travail consistait principalement à préparer des projets de résolutions… Puis il partit pour l’Equateur, un pays qu’il apprécia beaucoup, où il vécut un polar rocambolesque et qui lui donna le goût de l’Amérique latine.
Trente-quatre mois dans la tourmente togolaise
C’est le titre de la troisième partie du livre. Et ça ressemble à de l’acrobatie sans filet. La mission de l’ambassadeur de France consiste naturellement à établir – maintenir - rétablir les meilleures relations avec le pays où on l’a envoyé. Lorsque le dirigeant de ce pays est un dictateur, la mission est difficile : les relations seraient bonnes si l’ambassadeur le soutenait face à une opposition démocratique sans droits – et divisée. Et même si le gouvernement et même le président du groupe d’amitié France-Togo à l’assemblée nationale, Gilles de Robien, estiment qu’il faut prendre des contacts avec l’opposition, Charles Pasqua lui… La Françafrique est puissante et Eyadéma est l’ami de Pasqua. Après des élections présidentielles puis législatives qui ont permis le maintien du dictateur, Jean-Michel Gaussot est partagé entre le sentiment d’avoir tenu bon face aux tentatives d’intimidation et la frustration de ne pas avoir pu faire davantage pour la construction d’un Etat de droit au Togo. Mais il estime toujours qu’ « un représentant de la France a le devoir, chaque fois qu’il le peut et dans la mesure de ses moyens, de peser en faveur du respect des valeurs universelles que son pays a la prétention d’incarner ».
Un nouveau passage aux Nations Unies, six ans après le premier, cette fois comme secrétaire général de la délégation française, est encore l’occasion d’apprendre. Il s’agit surtout, à ce poste, de répondre à ceux qui critiquent la politique de la France – même si elle n’est pas toujours exactement ce que l‘on aurait souhaité qu’elle fut. « Right or wrong my country », voilà qui ne correspond probablement pas à ce que pensait ce fils de résistant mort en déportation , [1] ni ne définit le devoir d’un homme droit. Se soumettre ou se démettre, comme disait Jean-Pierre Chevènement, cela correspond mieux à la situation. Mais c’est une chose qu’il faut aussi mesurer à l’aune d’événements comme, par exemple, le 50ème anniversaire des Nations –Unies, en 1995, lorsqu’intervinrent Vaclav Havel et Isaac Rabin – des personnalités qui auraient pu changer le cours des choses.
Un travail d’orfèvre
Jean-Michel Gaussot est ensuite nommé, fin avril 1996, pour représenter la France au « Groupe de Surveillance » que les Etats-Unis, la France, Israël, le Liban et la Syrie étaient convenus de constituer pour protéger les civils de part et d’autre de la frontière israélo-palestinienne à la suite de l’opération « Raisins de la colère », déclenchée par l’armée israélienne.
Un Arrangement signé le 26 avril, sans mettre fin aux combats entre les groupes armés libanais du Hezbollah ou des milices Amal et les soldats de Tsahal ou leurs supplétifs de l’Armée du Liban Sud dans la zone d’occupation, définissait ce que les belligérants s’interdiraient désormais : les premiers d’effectuer des tirs en direction du territoire israélien ou de viser l’ennemi depuis des zones d’habitation, et les seconds d’attaquer des villages ou des installations civiles. Ce n’était pas un cessez le feu.
Le groupe se réunissait chaque fois qu’une plainte pour violation de l’Arrangement était déposée par l’une ou l’autre partie et de longues discussions avaient lieu jusqu’à la rédaction d’un texte commun, condamnant parfois l’action de l’un ou de l’autre mais devant souvent se limiter à déplorer les faits. L’important était que le texte fut commun, que le Groupe continuât à exister, et pour cela les concessions nécessaires étaient faites, parce que toutes les parties avaient un objectif en commun – protéger les populations civiles. De fines broderies étaient ajoutées lorsque c’était nécessaire (pas de « tirs disproportionnés effectués sans discernement »…) et une sorte de jurisprudence se faisait jour.
Cette longue patience permit de réduire de manière significative le nombre des victimes civiles de la guerre.
L’amour du Chili, sans neutralité
Jean-Michel Gaussot arrive au Chili en 1997, sept ans après que Pinochet eut officiellement quitté le pouvoir. L’ombre lourde du dictateur continue à peser sur la société, son système d’ « enclaves autoritaires » insérées dans la nouvelle constitution, en plus de ses « sénateurs désignés », tous ces verrous bloquent l’évolution institutionnelle et politique vers la démocratie. Mais le miracle se produit, le juge espagnol Garzon lance un mandat d’arrêt et les Britanniques, toujours attachés au droit international, l’exécutent. Pinochet est arrêté à Londres. C’est une sorte de révélateur pour les Chiliens encore hésitant, qui comprennent soudain que le dictateur n’avait pas commis des erreurs mais des horreurs.
En ces années désormais de « depinochetisation » le rôle de l’ambassadeur d’un pays au grand rayonnement politique et culturel est forcément politique. L’auteur noue des liens étroits avec les responsables de l’ancienne opposition, comme le sénateur socialiste Carlos Ominami, mais aussi avec les familles des victimes de la dictature et l’Association des proches des disparus.
Quelques escales encore. A Paris, où le directeur des Amériques au Quai d’Orsay s’alarme de l’influence, dans ce premier mandat de George Bush Junior, des néoconservateurs les plus durs, dont Donald Rumsfeld et Dick Cheney, et applaudit au discours de Dominique de Villepin devant le conseil de sécurité de l’ONU le 14 février 2003 s’opposant à la participation de la France à la guerre en Irak.
A la Haye ensuite. C’est pour Jean-Michel Gaussot un retour dans un pays de ses débuts, mais les paysages y sont moins calmes, bousculés comme ailleurs par le populisme montant. L’ambassadeur s’attache à favoriser le dialogue entre les responsables français et néerlandais sur les problèmes d’intégration, mais il observe avec regret que « cette réaction d’hostilité envers les populations immigrées, qui prétendait s’inspirer de la volonté de préserver les valeurs néerlandaises, aboutit en réalité à un résultat inverse : la tolérance, la tradition d’accueil des étrangers, l’ouverture aux autres qui faisaient la fierté des Pays-Bas, se sont trouvées en quelque sorte répudiées par ceux-là même qui se réclamaient de la défense du modèle national. »
Face aux vents mauvais et aux idéologies haineuses qui semblent souffler sur le monde, puissent les diplomates s’efforcer d’être, à l’instar de l’auteur, des artisans de la paix.