La surprise a été parfaite. 27 des 28 chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne sont sortis de l’impasse en proposant, après des discussions longues et difficiles, que l’actuelle ministre allemande de la défense, Ursula von der Leyen, devienne la nouvelle présidente de la Commission européenne. Est-ce une bonne surprise ? Ou une mauvaise ? On verra, dans les deux semaines à venir, quand le nouveau Parlement européen fera connaître son vote de confirmation, ou non, de la candidate nommée par le Conseil européen. Seule abstention au sein du groupe des chefs : Angela Merkel, la chancelière allemande. Le SPD, son partenaire de gouvernement, s’y est opposé. Dans ce cas, le règlement de la coalition prévoit que le représentant allemand s’abstient.
Colère chez les députés
Rien n’est encore sûr. Il y a de la colère parmi les députés qui ont vu le chefs de l’exécutif prendre en main le processus et renverser leur approche du „Spitzenkandidat“, qui devait confier la présidence de la Commission à la tête de liste du parti gagnant aux européennes. Mais il y a aussi du mécontentement au sein du Parlement, car les groupes politiques n’ont pas réussi à se mettre d’accord rapidement sur une manière de procéder pour imposer leur point de vue. Un conflit sérieux entre le Parlement et le Conseil ne semble pas à l’ordre du jour mais la rénovation de l’Europe, tant espérée après les élections du 23-26 mai, n’a pas bien commencé.
Alors que l’unanimité en faveur d’Ursula von der Leyen au sein du Conseil européen est évidente, ce choix est vivement critiqué en Allemagne. Qui est donc la future présidente de la Commission et pourquoi ce choix est-il tellement mis en doute ? Ursula von der Leyen, 61 ans, est une vraie européenne, née le 8 octobre 1958 à Bruxelles, fille d’un haut fonctionnaire de la Commission de l’époque, Ernst Albrecht, devenu directeur général du commissaire responsable des questions de concurrence et, plus tard, chef du gouvernement (CDU) de Basse-Saxe. Elle est issue d’une famille politique ouverte sur le monde. Et pourtant, elle a commencé sa carrière professionnelle hors de la politique.
Après des études d’économie à Göttingen et Münster, elle a poursuivi des études de médecine à Hanovre. Et elle a commencé à travailler comme médecin à la clinique de l’Ecole de médecine de Hanovre. Puis elle a suivi son mari, Heiko, professeur et chercheur en médecine, aux Etats-Uni où celui-ci enseignait à l’université de Stanford. Pendant 4 ans elle a vécu en Californie et se sent, désormais, très proche de l’„American way of life“, la manière de vivre des Américains. L’idée qu’on peut tout réussir si seulement on le veut, „c’est comme ca que je suis moi-même“, a-t-elle dit.
Aux côtés d’Angela Merkel
Mais la famille rentre à Hanovre, et elle recommence à travailler comme assistante académique à la clinique. Ce n’est qu’en 2003 qu’elle débute sa carrière politique. A peine élue députée à la Diète régionale de Basse-Saxe à Hanovre, elle devient ministre des affaires sociales dans le gouvernement régional de Christian Wulff, qui sera plus tard président de la République avant d’être obligé de démissionner. Et quand Angela Merkel assume la charge de chancelière en 2005, Ursula von der Leyen entre au gouvernement fédéral en tant que ministre de la famille. Depuis, elle a toujours été aux côtés d’Angela Merkel.
Dans le gouvernement Merkel II, de 2009 à 2013, elle est ministre du travail et des affaires sociales. Et en 2013, dans le gouvernement Merkel III, elle devient ministre de la défense. Elle est, donc, une „fidèle“ de la chancelière. Et il y avait une époque où on la comptait parmi celles ou ceux qui pourraient prendre la place d’Angela Merkel si quelque chose devait lui arriver.
Pourtant, pendant tout ce temps, elle n’a pas su – ou voulu ?- se créer un réseau de proches qui la soutiendraient en cas de difficultés politiques. Trop souvent elle a défendu des positions à contre-courant des plus conservateurs au sein du groupe parlementaire CDU/CSU. Elle pouvait compter sur le soutien de la chancelière. Mais depuis qu’elle est aux commandes de la Bundeswehr, elle n’est plus la ministre qui réussit.
Un bilan mitigé au ministère de la défense
Ses prédécesseurs, il est vrai, ont été sous pression budgétaire et sont sans doute responsables de beaucoup des problèmes auxquels les forces armées sont confrontées aujourd’hui encore. Et c’est elle qui a réussi à faire remonter le budget de la défense, même si ce n’est pas encore au niveau des 2% du PIB envisagé dans le cadre de l’OTAN. Mais des manquements graves dans l’équipement des forces armées persistent. Des avions de combat qui ne volent pas, des sous-marins qui ne fonctionnent pas, les coûts de rénovation du voilier-école Gorch Fock qui explosent de près de 10 millions à presque 150 millions €. Après presque six ans à la tête de ce ministère, elle n’a pas réussi à mettre en ordre le système de fourniture et de maintien des équipements militaires.
Elle n’est pas vraiment appréciée par la troupe. D’une part, elle sait bien se mettre en scène où qu’elle soit. Et ca ne plait pas forcément à tout le monde. D’autre part, beaucoup d’officiers et officiers généraux n’ont pas apprécié la manière dont elle s’est occupée des incidents liés au comportement d’extrême droite d’un certain nombre de soldats. Elle a parlé, en termes généraux, d’un „problème attitude“ dans la Bundeswehr, ce qui a rendu furieux un certain nombre de haut-gradés. Bref, les relations entre la troupe et son commandant en chef ne sont pas au beau fixe. En plus, une commission d’enquête parlementaire est en train d’entamer des recherches sur l’emploi d’experts consultants privés par le ministère.
En perte de vitesse
Ursula von der Leyen n’est plus, comme elle l’était, une des vedettes du gouvernement Merkel. On se demandait plutôt à Berlin combien de temps elle allait encore rester. S’il y a des critiques, en Allemagne, sur la nomination d’Ursula von der Leyen au poste de présidente de la Commission, c’est justement à cause de cela – depuis deux ou trois ans, elle est en perte de vitesse, politiquement parlant. Il y a aussi une critique partisane. Le SPD se sent pris de court. Etant donné l’état dans lequel se trouve actuellement ce parti, il cherche à profiter de tout désaccord pour démontrer qu’il existe.
Il y a enfin une critique de la manière de faire du Conseil européen. Qu’Ursula von der Leyen n’ait ni participé à la campagne électorale pour les européennes, ni été candidate, qu’elle n’ait pas exposé ses idées politiques sur l’avenir de l’UE – tout cela, disent ses détracteurs, risque de nuire à la crédibilité non seulement des élections européennes, mais du Parlement et de l’Union européenne tout entière. Ainsi, la candidate se trouve devant la lourde tâche de devoir surmonter tous ces obstacles, causés par un dysfonctionnement dans le processus de désignation par les gouvernements et de confirmation par le Parlement.
L’Union a besoin d’une équipe dirigeante qui fonctionne bien et vite. Si Ursula von der Leyen réussit, d’ici le 16 juillet, à convaincre une majorité des députés de ses intentions et de sa capacité de réunir tous les acteurs autour d’une mission à définir et à décider ensemble, elle rendra un grand service au projet européen. La critique peut être une incitation à entreprendre une vraie rénovation de l’Union.