Le Nicaragua est un de ces pays d’Amérique latine qui ont porté naguère, comme Cuba au début de Castro ou comme le Chili d’Allende, les espoirs d’une gauche révolutionnaire mobilisée contre l’impérialisme des Etats-Unis. Le Front sandiniste de libération nationale, ainsi nommé en hommage au général Augusto Sandino (1895-1934), dirigeant de la guérilla menée alors contre les oligarchies locales soutenues par Washington, avant d’être assassiné par la clique au pouvoir, s’est battu, depuis sa création en 1961, contre la dictature de la famille Somoza, au prix de lourds sacrifices.
C’est en 1979 qu’il a renversé le régime honni. Daniel Ortega, jeune révolutionnaire de 33 ans, est alors devenu le héros du peuple nicaraguayen, sa figure tutélaire, son chef charismatique. Près de quarante ans plus tard, les rôles sont inversés. C’est lui, Daniel Ortega, âgé aujourd’hui de 72 ans, qui se comporte comme un dictateur, c’est lui qui organise une répression féroce contre ceux qui demandent son départ, c’est lui qui met en place, avec sa femme et ses fils, une dynastie prête à tout pour conserver ses privilèges.
Depuis plus de trois mois, des manifestations pacifiques sont violemment réprimées par les forces de police et des groupes paramilitaires à son service, près de trois cent personnes ont été tuées pendant cette période et les tentatives de médiation de l’Eglise catholique se heurtent à la mauvaise volonté du pouvoir. La protestation populaire contre un projet de réforme de la sécurité sociale désormais abandonné s’est transformée en une révolte générale d’une ampleur inédite.
Une dérive autoritaire
L’ancien révolutionnaire a dirigé le pays de 1979 à 1990 puis, après trois défaites à l’élection présidentielle, de 2007 à aujourd’hui. Il a été emporté, au fil des années, par une dérive autoritaire qui a débouché sur une concentration accrue des pouvoirs et un rejet du pluralisme démocratique. Son dernier succès, en 2016, a été acquis dans des conditions controversées, après que l’opposition eut été exclue du scrutin. Ses adversaires ont dénoncé alors une « farce électorale ».
Son parti, le Front sandiniste, qui était, à sa naissance, inspiré par une vision idéaliste, voire romantique, du combat politique, est devenue une machinerie bureaucratique sur laquelle il exerce un strict contrôle. Celui qui incarnait autrefois les aspirations populaires est désormais celui qui tente par tous les moyens, à commencer par l’usage de la force, de les mettre en échec.
La communauté internationale s’est émue de cette situation. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutterres, a demandé « que cesse immédiatement la violence et que soit relancé le dialogue national ». Treize pays d’Amérique latine ont appelé à la fin des actes de violence et au démantèlement des groupes paramilitaires tout en apportant leur soutien à la médiation des évêques. L’Union européenne s’est associée à cette démarche.
La reprise sanglante de la ville de Masaya, un des bastions de la contestation, a suscité les plus vives protestations. La présidente du Centre nicaraguayen des droits de l’homme, Vilna Nunez, a dénoncé « une chasse sans discrimination lancée contre le peuple ». L’évêque auxiliaire de Managua, Silvio Baez, a invité les autorités à « arrêter le massacre ». La mobilisation continue. « Ortega assassin, tu vas finir par partir », scandent les manifestants.
« Un capitaliste amoureux du pouvoir »
Le président nicaraguayen n’est pas prêt à se retirer. Il refuse d’avancer la date de la prochaine élection présidentielle, prévue en 2021, comme le demandent les contestataires. « Avancer les élections, affirme-t-il, créerait de l’instabilité, de l’insécurité, et ne ferait qu’envenimer les choses ». Il préfère stigmatiser une « conspiration des forces impérialistes », selon la rhétorique classique des dictateurs en difficulté, et condamner « une campagne de mensonges » qui tente de « nuire à l’image du Nicaragua et de son gouvernement ».
Son ancienne alliée, Monica Baltodano, qui fut l’une des figures du Front sandiniste avant de rompre avec Daniel Ortega, dit de lui qu’il faisait partie, dans les années 80, d’un projet de changement révolutionnaire mais qu’il est à présent « un capitaliste amoureux du pouvoir qui se consacre au renforcement de ses privilèges et de sa fortune ». Ce revirement est devenu insupportable à une partie de la société nicaraguayenne.