En décidant de se désengager militairement du conflit syrien, le 14 mars, à la veille de l’ouverture des négociations de Genève sur la Syrie, Vladimir Poutine a abattu une carte majeure dans ses relations avec Washington.
Sans donner de détails sur l’ampleur du retrait de ses troupes – dont l’estimation varie de 4 000 à 6 000 éléments – Vladimir Poutine signifie par cette décision son désaveu de la poursuite de la guerre entretenue par Bachar el Assad et ses alliés iraniens.
En précisant, que la Russie conservera ses bases militaires navale et aérienne, respectivement à Tartous et Hmeimim (au sud de la ville côtière de Lattaquié), le maître du Kremlin signifie qu’il garde la main sur le régime et sur la négociation avec Washington, six mois après avoir déclenché son offensive pour sauver le régime de Damas de l’effondrement.
Bachar el Assad désavoué
En se déchargeant d’une responsabilité militaire de soutien au régime de Bachar el Assad, Vladimir Poutine avalise le rôle de l’ONU dans les négociations qui reprennent le 15 mars à Genève et qui doivent instaurer une période de transition à l’issue de laquelle des élections législatives et présidentielle seront organisées.
L’arrogance de la délégation officielle du régime syrien, qui a voulu réduire le rôle de l’opposition dans ces pourparlers, allant jusqu’à rejeter le rôle de l’ONU, a été clairement désavouée par Washington, l’UE et Moscou.
L’offensive russe, qui avait commencé le 30 septembre, a eu pour effet de repousser la pression militaire de l’opposition sur le nord et le centre de la Syrie, où se trouvent les points d’ancrage stratégiques du régime de Bachar el Assad. Celui-ci s’en est trouvé relativement conforté. Mais les nombreux incidents entre les militaires russes et turcs ont compliqué la donne.
En mettant fin à son offensive sur le nord frontalier de la Turquie, Vladimir Poutine limite son rôle de soutien au régime syrien dans le cadre de « la lutte contre le terrorisme ».
La réduction du rôle de Téhéran
Parrain et allié de Bachar el Assad, Téhéran, qui a jeté dans la bataille plusieurs dizaines de milliers de ses pasdarans et de combattants du Hezbollah libanais et autre Irakiens et Afghans, avait fait appel à Moscou dès le mois de juin 2015 pour sauver le régime syrien de l’effondrement.
L’annonce brutale du retrait militaire russe a été précédée d’une visite à Téhéran du ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou le 21 février, qui faisait suite à la visite à Moscou de son homologue iranien cinq jours plus tôt. L’objectif affiché est de développer la coopération militaire entre les deux pays. En contrepartie, Moscou a laissé entendre ses intentions de retirer sa confiance à Bachar el Assad et de limiter son rôle à un rééquilibrage de la politique de Washington pour se placer sous l’ombrelle de l’ONU.
La très coûteuse campagne militaire russe, alors que l’économie est au plus mal, n’est pas la seule raison de ce retrait. La colère des monarchies arabes du Golfe contre la politique de soutien au dictateur de Damas et contre la complaisance vis-à-vis de Téhéran autant de la part du camp occidental que de la partie russe a joué dans la balance.
L’alliance stratégique entre Damas et Téhéran a atteint ses limites. L’ingérence de l’Iran dans les affaires arabes est incompatible avec le rôle que Téhéran cherche à jouer sur la scène internationale après l’accord sur le nucléaire conclu en juillet 2015.
Les scénarios de sortie de crise
La décision de Vladimir Poutine est, à priori, de bon augure pour l’ouverture des négociations de Genève. Elle conforte Washington et l’UE, mais aussi la Turquie et les monarchies arabes du Golfe.
Pour le camp occidental, elle constitue un soutien non négligeable dans son combat contre l’organisation Etat islamique qui, malgré les reculs observés ses derniers mois sur les terrains syrien et irakien, étend ses tentacules en Libye et en Afrique subsaharienne.
Pour la Turquie, qui se sentait menacée de déstabilisation par les mouvements séparatistes kurdes confortées par l’appui occidental au nom de la lutte contre Daech, et qui a mené une offensive militaire brutale et inconsidérée contre le PKK au lieu de combattre l’islamisme armé.
Pour les monarchies arabes du Golfe, dépitées de se trouver marginalisées par Washington avec l’accord sur le nucléaire iranien et le manque de soutien dans leur volonté de renverser le pouvoir de Bachar el Assad, l’objectif est de réduire le rôle de Téhéran en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen et au Bahrein.
L’apaisement qu’on pourrait attendre des négociations de Genève aura nécessairement des conséquences sur l’ensemble de ses dossiers.
Mais le processus sera long. Une page se tourne.
En intervenant brutalement en Syrie et en s’en retirant de même, Vladimir Poutine a eu la capacité de bousculer la donne et de se placer en interlocuteur privilégié de Washington.