Le plan de paix sur la Syrie, adopté le 18 décembre à New York, par quinze ministres des Affaires étrangères, dont les cinq représentants des pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, a été qualifié d’ « étape importante » par le secrétaire d’Etat américain John Kerry. L’accord donne un cadre légal à la feuille de route signée à Vienne en octobre et novembre par les principaux protagonistes internationaux de la guerre en Syrie et en Irak avec un « degré d’unité sans précédent », alors que Moscou avait mis, à quatre reprises, son veto aux différents textes présentés précédemment par la coalition occidentale.
Le texte avait été finalisé à Moscou trois jours plus tôt par John Kerry et son collègue russe Sergueï Lavrov avant d’être validé par Vladimir Poutine. Les cinq pays membres du Conseil de sécurité se sont ensuite réunis pour gommer leurs divergences alors que le Groupe de soutien international à la Syrie (ISSG), qui inclut dix-sept pays ainsi que les Nations unies, l’Union européenne et la Ligue arabe, se réunissait de son côté pour affiner la feuille de route sur deux points : la liste des groupes reconnus comme terroristes et la composition du secrétariat qui doit représenter l’opposition syrienne.
Le texte prévoit une période de transition qui devrait débuter après un cessez-le-feu dans les premiers jours de janvier. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, devra ensuite réunir les représentants du gouvernement syrien et de l’opposition « pour des négociations formelles sur un processus de transition politique ». Après six mois, le processus doit déboucher sur « une gouvernance crédible, inclusive et non confessionnelle », veillant à la préservation des institutions étatiques, qui aura aussi la tâche d’écrire une nouvelle Constitution. Des élections « libres et justes » doivent être organisées sous la supervision de l’ONU dans les dix-huit mois.
Les limites de l’accord et sa traduction sur le terrain
L’accord du 18 décembre ne remet pas en jeu le pouvoir syrien puisque Moscou et Téhéran soutiennent le principe de la « souveraineté du peuple syrien » dans le choix de ses dirigeants. C’est d’ailleurs la principale victoire remportée par les deux alliés de Bachar el-Assad dont les troupes se battent sur le terrain.
L’Arabie saoudite avait, de son côté, réuni les principaux mouvements rebelles – à l’exclusion de l’organisation Etat islamique et le Front al-Nosra (émanation d’Al Qaïda) – pour signer un accord et charger l’ancien premier ministre syrien Riad Hijab, qui a fait défection en août 2012, d’assurer la coordination de l’opposition pour la période de transition. Mais il paraît incertain que tous ces mouvements d’obédience islamiste puissent recevoir l’aval de la commission, dirigée par la Jordanie et chargée de sélectionner les futurs participants à la négociation. Les mouvements laïcs et l’Armée syrienne libre se sont d’ailleurs abstenus de participer à la réunion de Riyad.
Ces deux points de divergence montrent la limite de l’accord obtenu à l’ONU. Vladimir Poutine n’a d’ailleurs pas tardé à annoncer que la « Russie se réserve le droit d’augmenter sa puissance militaire sur le terrain ».
Car l’avantage des Russes, par rapport aux Américains et aux Européens, est d’être présents sur le terrain autrement qu’avec quelques centaines de conseillers. La reconquête de la « Syrie utile », où se trouve 80% de la population encore présente sur le territoire, est en cours depuis le début de l’offensive russe débutée le 30 septembre.
L’objectif est de reprendre le contrôle de l’axe Damas-Alep. Le contrôle de la ville centrale de Homs au début de décembre permet à la coalition russo-irano-syrienne de s’étendre vers l’est en direction de Palmyre conquise par Daech, et vers le sud-ouest frontalier du Liban où Daech et le Front al-Nosra ont conquis les monts du Qalamoun. L’objectif principal de cette offensive est le nord du pays, avec la volonté de reprendre les villes d’Idleb et d’Alep, qui se trouvent à quelques dizaines de kilomètres de la frontière turque. Cette reconquête permettrait de verrouiller la montagne des Alaouites et de réduire les ambitions turques.
Erdogan isolé
La Turquie, marginalisée depuis le début de l’offensive russe, a envoyé des troupes au nord de l’Irak pour tenter de contourner le PKK kurde qu’elle combat très durement sur son sol. Ce déploiement à proximité du territoire autonome du Kurdistan irakien n’est pas du goût de Washington. Russes et Américains semblent d’ailleurs être d’accord pour réduire le rôle du président turc Recep Tayyip Erdogan dans le conflit syrien. Si Washington soutient les Peshmergas kurdes irakiens, Moscou soutient le YPG kurde syrien, proche du PKK. Isolé, Erdogan s’est rapproché d’Israël avec qui les liens de coopération militaire avaient été rompus ces dernières années après une période de coopération.
Vladimir Poutine ne s’est d’ailleurs pas privé d’enfoncer le clou en déclarant que « les dirigeants turcs ne sont pas là pour l’éternité ». Les douze avions militaires américains présents à Incirlik ont d’ailleurs quitté discrètement cette base turque, soulignant l’isolement croissant d’Erdogan mais aussi la volonté de l’administration d’Obama de se désengager du bourbier syrien pour se concentrer sur la lutte contre les troupes de Daech présentes en Irak.
Israël conforté
L’autre événement important qui souligne le rôle central de Moscou dans la gestion de la crise syrienne est l’attaque de l’armée de l’air israélienne durant la nuit du samedi 19 au dimanche 20 décembre – soit quelques heures après l’accord signé à New York. Des responsables du Hezbollah libanais réunis dans un immeuble situé dans la banlieue de Damas pour coordonner des attaques anti-israéliennes à partir du plateau du Golan ont été visés. L’immeuble a été entièrement détruit, ses occupants décimés et une importante personnalité druze, ancien prisonnier en Israël a été tué. Cette opération-éclair dans le ciel syrien n’aurait pas pu se faire sans l’accord tacite de Moscou.
Cette opération est également le signe des limites que Moscou assigne à Téhéran et à ses alliés du Hezbollah. Elle souligne l’autorité acquise par Vladimir Poutine dans la gestion de la crise syrienne. Il faut d’ailleurs rappeler que Benyamin Netanyahou et Vladimir Poutine se sont rencontrés à deux reprises depuis le début de l’offensive russe en Syrie.
La réduction du rôle de Téhéran en Syrie et au Liban n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais il y a des signes qui ne trompent pas vis-à-vis des radicaux iraniens et leurs alliés.
Carte blanche pour Poutine
La visite effectuée le 21 décembre par le ministre français de la Défense Jean-Yves le Drian à son homologue russe Sergueï Choïgou pour conclure un accord d’échange d’informations conformément à la décision prise par le président François Hollande lors de sa rencontre, le 26 novembre, avec Vladimir Poutine, souligne encore la centralité du rôle de Moscou en Syrie.
Sur le même registre, le service de renseignement extérieur allemand, le BND, vient de s’installer à Damas pour un échange d’informations avec les autorités syriennes qui permettra de mieux contrôler le flux des réfugiés syriens en route vers l’Europe. Car la lutte contre Daech est, depuis les attentats terroristes du 13 novembre à Paris, la principale préoccupation des pays de l’UE.
La coordination entre la coalition occidentale et Moscou sur ce dossier est la pièce centrale du dispositif qui se met en place et qui souligne l’urgence d’une solution, au moins transitoire du conflit syrien. L’aspect sécuritaire l’emporte sur l’aspect politique qui devient un sujet secondaire. Vladimir Poutine a même pratiquement carte blanche sur la Syrie. Mais il va devoir encore faire ses preuves.