Les autorités de Riyad ont fini par reconnaître le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, dans l’enceinte du consulat saoudien d’Istanbul, par des agents venus d’Arabie saoudite, dont plusieurs ont été identifiés comme des proches du prince héritier et homme fort du pays Mohammed Ben Salmane, alias « MBS ». Officiellement on n’en sait pas plus sur les circonstances du drame ni surtout sur l’éventuelle responsabilité de « MBS », que les révélations de Riyad visent à disculper, mais la nouvelle version des faits laisse perplexes la plupart des observateurs, qui ne croient pas à l’innocence du prince héritier.
Le soupçon que cette affaire fait peser sur « MBS » porte un rude coup à l’image positive qu’il tente de se donner, depuis que son père, le roi Salmane l’a choisi pour prince héritier en 2017, auprès du peuple saoudien comme auprès de la communauté internationale. Mohammed Ben Salmane, 33 ans, a annoncé en effet plusieurs mesures de modernisation destinées à sortir la société saoudienne de son immobilisme et à faire souffler sur le pays un vent de renouveau. Déterminé à bousculer les résistances et les conservatismes, il a lancé un vaste plan de développement qui doit soustraire l’économie au tout pétrole et attirer de nombreux investisseurs étrangers. Il s’est attaqué aussi aux archaïsmes devenus insupportables à une partie de la population.
« MBS » a conquis une partie de la jeunesse par son dynamisme affiché et son ambition réformatrice. Il a notamment mis l’accent sur la promotion des industries de loisir, accepté une certaine liberté de ton dans les médias, réduit les pouvoirs de la police religieuse. Il a entrepris également de modifier le statut des femmes par diverses mesures dont la plus spectaculaire, et la plus commentée, est l’autorisation de conduire. Même si ces transformations restent modestes et que certains tabous subsistent dès lors qu’il s’agit de la famille royale ou de l’Islam, ces petits pas ont ouvert la voie d’un changement possible et permis à « MBS » d’incarner, malgré ses méthodes souvent brutales, l’espérance d’un avenir meilleur.
C’est ce visage prometteur qui disparaît aujourd’hui derrière la face sombre de la barbarie et de l’horreur après l’assassinat de Jamal Khashoggi. Cette « énorme et grave erreur » évoquée par le ministre saoudien des affaires étrangères, en attendant d’autres informations promises par les autorités turques et éventuellement les résultats des enquêtes demandées par l’Union européenne, met en cause les relations entre l’Arabie saoudite et ses alliés occidentaux, quel que soit le sort personnel réservé au prince héritier. En dépit des intérêts économiques aussi bien que géopolitiques qui les lient au royaume, les démocraties occidentales ne peuvent pas laisser sans réagir une aussi flagrante violation de l’Etat de droit.