Les populistes, arbitres de la politique autrichienne

Les résultats définitifs des élections législatives autrichiennes ont été publiés, le jeudi 19 octobre, après dépouillement des nombreux votes par correspondance. Les conservateurs de l’ÖVP menés par le jeune ministre des affaires étrangères Sebastian Kurz arrivent en tête avec 31,5% des voix (+ 7,5 par rapport à 2013), devant les socialistes 29,6% (sans changement) et les populistes de droite, FPÖ, 26% (+ 5,5). Deux autres petits partis entrent au Parlement dont les Verts sont éliminés (3,8%, soit – 8,).
Le FPÖ dirigé par Heinz-Christian Strache au passé sulfureux apparaît bien placé pour arbitrer la formation du prochain gouvernement, ni les conservateurs ni les socialistes n’ayant exclu de s’allier avec lui pour obtenir une majorité au Parlement. Le président de la République, l’ancien écologiste Alexander van der Bellen, a tracé une ligne rouge : l’engagement européen de l’Autriche ne doit pas être remis en question.

Heinz-Christina Strache et Sebastian Kurz
Kurier/Juerg Christiandl

L’avenir de la politique autrichienne dépend de deux hommes. Un jeune de 31 ans, Sebastian Kurz, ministre des affaires étrangères de la grande coalition SPÖ-ÖVP depuis trois ans, et Heinz-Christian Strache, 48 ans, président du FPÖ. Il y a un troisième larron, Christian Kern, le chef des socialistes, chancelier sortant qui ne peut rester au pouvoir qu’en s’alliant avec les populistes de droite. Une alliance a priori contre nature mais qui a existé dans le passé au niveau fédéral et qui continue de prospérer dans certains Länder.
La plus forte probabilité est cependant la formation d’un gouvernement des conservateurs et des populistes. Au cours de la campagne ils se sont retrouvés sur les thèmes anti-immigration et anti-islam. A tel point que Heinz-Christian Strache a accusé Sebastian Kurz d’avoir « volé » ses idées. Une autre solution pourrait être la reconduction de la grande coalition droite-gauche, mais cette fois sous la direction d’un chancelier conservateur. Elle a peu de chances de se réaliser, Sebastian Kurz ayant rompu l’alliance précédente pour provoquer des élections anticipées. Son objectif était de devenir chancelier et il est près du but. S’il entre au Ballhausplatz, il sera le plus jeune chancelier de l’histoire autrichienne.

Tripartisme

Après le traumatisme de l’élection présidentielle de 2016, la vie politique autrichienne semble avoir repris son cours traditionnel. L’année dernière, le vieux système des partis avait volé en éclats. Les candidats des deux grandes formations qui se partageaient le pouvoir pratiquement sans interruption depuis la fondation de la IIème République n’avaient récolté chacun qu’à peine 10% des voix. Avec 35% des suffrages, le grand triomphateur du premier tour de scrutin avait été le prétendant populiste de droite Norbert Hofer, homme lige de Heinz-Christian Strache. Celui-ci se voyait déjà entrer à la chancellerie à la prochaine occasion.
C’était sans compter sur un sursaut de dignité de l’électorat autrichien qui ne pouvait imaginer d’avoir un président de la République, fut-ce dans une fonction largement honorifique, issu de l’extrême-droite. Contre toute attente, au deuxième tour, Norbert Hofer a été battu par l’ancien écologiste Alexander van der Bellen.
Il n’en reste pas moins que le FPÖ semblait avoir le vent en poupe par rapport à l’ÖVP et au SPÖ, usés par des années de gouvernement, englués dans des scandales et paralysés par la Proporz, le partage des postes et des prébendes. La campagne du jeune Sebastian Kurz a freiné l’ascension des populistes. Secrétaire à l’intégration à 25 ans, ministre des affaires étrangères à 27 ans, Sebastian Kurz s’est d’abord assuré le contrôle de l’ÖVP, le parti conservateur. Il a éliminé la vieille garde et exigé les pleins pouvoirs sur les organes dirigeants, la liste des candidats et la direction de la campagne électorale. Il a même effacé le nom du parti des affiches et des bulletins de vote pour le remplacer par l’expression « Liste Sebastian Kurz – le nouveau parti populaire ». C’est ainsi qu’il est arrivé en tête aux élections législatives.

Eviter les erreurs de 2000

Mais il va devoir composer avec le FPÖ. Heinz-Christian Strache essaiera de se vendre au plus offrant. Il veut éviter les erreurs du début des années 2000 quand sous la présidence de son ancien mentor Jörg Haider, le FPÖ a participé au gouvernement du chancelier Schüssel (ÖVP). Wolfgang Schüssel se targuait de vouloir appliquer vis-à-vis des populistes la même tactique que Mitterrand vis-à-vis des communistes en 1981 : les embrasser pour mieux les étouffer. Il y a en partie réussi. Le FPÖ est sorti lessivé et divisé de sa participation au gouvernement. Il lui a fallu plusieurs années pour s’en remettre.
Avec des variations sur le thème « l’Autriche aux Autrichiens », dans un pays économiquement prospère avec un taux de chômage autour de 5% mais à la croisée de plusieurs flux d’immigration, le FPÖ joue sur les frustrations d’une partie de la population, sur les craintes identitaires et la peur de l’islamisme. Il se rapproche des tendances « illibérales » des voisins d’Europe centrale. Il a même noué des liens officiels avec Russie unie, le parti de Vladimir Poutine.
Plus encore que le passé d’Heinz-Christian Strache qui, dans sa jeunesse, a fréquenté les milieux néonazis autrichiens et allemands, c’est ce rejet des valeurs européennes qui inquiète les partenaires de Vienne. Certes le chef du FPÖ a poli son image pour devenir « salonfähig » (acceptable dans les salons). Il a renoncé à ses déclarations les plus violentes contre les étrangers ou à ses sorties teintées d’antisémitisme. Si son parti est officiellement boycotté par Israël, il s’est lui-même rendu deux fois à Jérusalem. Il a également mis en sourdine ses propos anti-européens, ses critiques vis-à-vis de l’euro, ses exigences de passer par des referendums pour chaque décision venant de Bruxelles.
Sebastian Kurz a profité du Conseil européen du 20 octobre pour s’engager auprès de Jean-Claude Juncker, président de la Commission, sur la continuité de la politique européenne de l’Autriche, quelle que soit la future coalition au pouvoir à Vienne. C’est aussi l’exigence d’Alexander van der Bellen, qui en tant que président de la République n’a pas beaucoup de pouvoirs mais qui a au moins celui de pressentir le candidat chancelier.
En 2000, les Européens avaient tenté de dissuader Wolfgang Schüssel de s’allier avec l’extrême-droite. En vain. Ils avaient alors décidé des sanctions contre l’Autriche. Celles-ci avaient été levées après qu’une commission eut constaté que les libertés fondamentales et l’Etat de droit n’avaient pas été affectés par cette alliance. Depuis, les populistes de droite ont participé à divers gouvernements européens sans que personne ne paraisse s’en émouvoir. C’est sur cette banalisation que compte Heinz-Christian Strache pour réussir la prochaine fois à devenir chancelier.