Bien sûr, il y a du soulagement. La réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française le 24 avril rassure les amis d’une France forte, libérale, européenne, ouverte sur le monde et, par là, influente ; une France qui compte et sur laquelle on peut compter. Outre Rhin, on est content de pouvoir mettre de côté le cauchemar d’une Marine Le Pen à l’Elysée. La reine de la „dédiabolisation“ de l’extrême droite nationaliste et anti-européenne n’a pas été une simple „adversaire politique“ du président sortant. Sa victoire aurait changé fondamentalement la donne pour toute l’Europe. Pour les Etats membres de l’UE, des élections nationales, aussi essentielles soient-elles pour les nations concernées, ne sont plus, depuis longtemps, pour celles-ci une affaire exclusive. Les élections récentes, en Hongrie comme en Slovénie, en témoignent ; leurs résultats auront un impact certain sur l’ensemble de l’Union européenne ; celles qui ont eu lieu en France, pour des raisons évidentes, plus particulièrement.
En Allemagne, on a souvent parlé, pendant la campagne électorale française, des conséquences d’une victoire de l’extrême droite - sans vraiment y croire. Mais aussi sans préciser ce que cela aurait entraîné. Priorité nationale ? Cela aurait détruit les fondements de l’Union européenne, car ce serait en violation pure et simple des traités de Lisbonne. Suprématie du droit national sur le droit européen ? Cela aurait défait la communauté de droit sur laquelle reposent toutes les activités économiques de nos pays, avec des effets désastreux sur notre union monétaire qui ne pourrait plus fonctionner. Contrôle des frontières nationales ? Cela aurait manifesté un désir de fermeture, en contradiction complète avec les textes en vigueur et avec l’esprit européen.
La coopération franco-allemande
Marine Le Pen a-t-elle évolué depuis 2017 parce qu’en 2022 elle ne demande plus que la France sorte de l’UE ? Sûrement pas. Proposer de garder une coquille vide n’est pas mieux, au contraire. Le Pen aurait vidé l’intégration européenne toute entière de son sens. Elle aurait fait plaisir à d’autres nationalistes dans l’Union et aux amis d’une „démocratie illibérale“ – à Vladimir Poutine aussi, d’ailleurs, son banquier, qui rêve de voir l’UE éclater.
Plus particulièrement, l’animatrice du Front national, renommé „rassemblement“, avait annoncé sa volonté d‘en finir avec tous les projets de coopération franco-allemande dans le domaine de l’armement. Un arrêt de la coopération dans un domaine politique aussi important aurait eu, par perte de confiance, des conséquences néfastes sur beaucoup d’autres, sinon sur toutes les coopérations bilatérales de taille qui constituent pourtant la base jusque là solide des relations entre nos deux pays. Avec toutes ces propositions la championne de l’extrême droite a obtenu quand même 41,5% des voix des électeurs français – une „victoire éclatante“, comme elle l’a déclaré le soir de sa défaite. Un résultat et un constat qui donnent à réfléchir.
Une victoire assombrie
Soulagement mais aussi soucis, tels sont les mots d’ordre pour le président réélu, car pendant son premier quinquennat il a échoué dans son combat contre les extrêmes du monde politique français. L’éclatement du système des partis politiques en France au niveau national n’a profité qu‘aux extrêmes. Le Pen, Zemmour, Mélenchon – ensemble ils ont rassemblé 55% de l’électorat au premier tour de la présidentielle contre 41% pour Le Pen et Mélenchon ensemble il y a cinq ans. Le centre, certes, a pu maintenir sa majorité au deuxième tour, mais la question se pose : était-ce grâce à Macron ou malgré lui ? Il a constaté lui-même que beaucoup d’électeurs ont voté en sa faveur pour faire barrage à Marine Le Pen, non pas pour soutenir son programme. Sa victoire semble donc être une victoire assombrie. Selon ses propres mots, „la partie la plus difficile commence maintenant.“
C’est une victoire quand même, mais accompagnée de soucis majeurs. D’une part, il y a le souci de la polarisation de la société francaise, à laquelle le président Macron a contribué, même s’il a cherché à la surmonter en déclarant n’être ni de gauche ni de droite. Et il n’était pas le seul à polariser. Mais les analyses électorales montrent un clivage évident entre un monde plus ou moins aisé, ouvert, le plus souvent urbain, qui a soutenu le président sortant, et un monde, souvent rural, qui se sent ignoré, oublié, abandonné, qui se replie sur lui-même et sur ses besoins immédiats, dont Marine Le Pen s’est faite la porte parole. Ce clivage s’est aggravé pendant le quinquennat qui s’achève, et il va falloir beaucoup d’efforts pendant le quinquennat suivant pour le faire reculer si Emmanuel Macron et celui ou celle qui lui succédera veulent éviter que Marine Le Pen réussisse enfin – en 2027. Avec des conséquences sur toute l’Europe – voir plus haut.
D’autre part, il y a un souci concernant le système de la Ve république. Emmanuel Macron exerce les pouvoirs présidentiels d’un exécutif fort face à un Parlement faible. Et pourtant, il a besoin d’une majorité à l’Assemblée nationale pour réaliser son programme. Or, il n’a pas encore gagné la bataille pour le Palais Bourbon. Au contraire. Ce qui reste de la gauche tente de faire des élections législatives du 12 et 19 juin un „troisième tour“ de la présidentielle, avec Jean-Luc Mélenchon, le chef des „Insoumis“, qui prétend au poste de premier ministre et cherche à établir une VIème République. Après avoir appelé, au deuxième tour de la présidentielle, à faire barrage à l’extrême droite de Marine Le Pen, le chef de l’extrême gauche appelle les électeurs, aux législatives, à faire barrage à Emmanuel Macron „Jupiter“, au président tout-puissant, et à lui imposer une cohabitation.
„Une méthode nouvelle“
Si cette perspective n’est peut-être pas un souci sérieux dans l’immédiat, car le système électoral fait obstacle à des changements fondamentaux, l’évolution en cours du système des partis politiques l’est sans aucun doute. Au niveau national, les partis politiques traditionnels se sont effondrés au profit de mouvements qui soit n’existent que pour soutenir le président, soit s’opposent à lui radicalement, que ce soit de gauche ou de droite. Par conséquent, les extrêmes se sont stabilisés, voire renforcés. En même temps, l’enracinement des partis traditionnels dans le pays résiste, comme en témoignent les résultats des élections régionales et municipales récentes. Comment ces tendances vont-elles se manifester au niveau national dans les prochaines élections législatives ? Seuls les résultats du 19 juin, second tour des législatives, permettront de dire si et comment ce président réélu va pouvoir agir.
Emmanuel Macron, lui, semble avoir compris. Le soir de l’élection il a souhaité qu‘“ensemble nous trouvions une méthode nouvelle pour cinq années meilleures“ qu’il appelle déjà une “ère nouvelle“. Le président sortant, qui vient de réussir sa réélection, veut changer de méthode. Pour être le président de tous les Français ? Pour se transformer en rassembleur, en modérateur enfin ? En fait, au niveau européen, c’est exactement ce qui est demandé actuellement, plus que jamais. Avec Angela Merkel à la retraite et muette et Olaf Scholz en difficulté, ce serait l’heure du président réélu Emmanuel Macron de se présenter comme leader de l’Europe. Ce leader doit rassembler, modérer ; il ne doit pas essayer d’accélérer son agenda, comme Emmanuel Macron l’a fait dans le passé.
Du changement de méthode pendant le nouveau quinquennat vont dépendre aussi les chances d’avancement des dossiers européens et de la relation franco-allemande. Des dossiers importants et urgents pour la gestion desquels la coopération étroite entre Paris et Berlin ne peut qu’être bénéfique.
Réviser le rôle de l‘OTAN
La guerre en Ukraine, évidemment, se trouve en tête de la liste des dossiers qui doivent être traités, de préférence, dans un esprit de „souveraineté européenne“, en concertation étroite entre la France et l’Allemagne. Celle-ci, si elle existe, se fait encore très discrètement. La concertation s’organise plutôt au niveau „occidental“, dirigée par les Etats-Unis. Dans la situation actuelle de guerre, c’est très bien et approprié. Mais en même temps il est évident que l’issue de cette guerre déclenchée par la Russie n‘est pas le seul enjeu. A long terme, ce sont les relations futures de l’Europe avec la Russie, mais aussi avec les Etats-Unis, qui demandent à être développées sur des bases nouvelles. Après cette guerre, les Etats-Unis vont se retourner vers la Chine, leur principal rival, et demander à leurs alliés européens de les soutenir. La Russie, indépendamment de l’état dans lequel elle se trouvera, reste la voisine de l’Europe. Macron et Scholz ont du travail à faire, dans la durée.
Le rôle de l’Otan est à réviser. Ce travail de révision ne s’arrêtera pas avec l’adoption d’un nouveau concept stratégique au sommet de Madrid fin juin. Au contraire. La guerre en Ukraine a tout changé et on ne sait pas encore si elle aura pris fin le jour du sommet. Ce que l’on sait, c’est que l’expérience de cette guerre en Europe, de cette attaque militaire d’une grande puissance sur un pays voisin, un „pays frère“ même, ne permet pas qu’on retourne au statu quo ante. Il serait urgent que la France et l’Allemagne s’efforcent de développer puis de proposer ensemble une réponse européenne à ce défi, l’avenir de l‘Otan.
Pour ce faire, le travail déjà entamé pour rénover l’Union européenne doit être poursuivi. Quel rôle l’Union européenne devrait-elle jouer sur la scène internationale ? En tant qu’acteur géopolitique ? Que peuvent faire la France et l’Allemagne pour faciliter cette rénovation ? Sont-elles d’accord sur la direction à prendre ? D’autres problèmes - le changement climatique, la question de l’énergie, celle des migrations – sont sur la table. Ils ne peuvent pas attendre. Le président réélu et le chancelier récemment élu devront affronter tous ces défis ensemble. Au-delà du soulagement, tels sont les soucis qui se présentent aux partenaires et voisins.