Les résultats obtenus le 2 avril à Lausanne par le groupe dit P5+1 (les cinq membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) et l’Iran marquent un temps décisif dans le long processus commencé en 2012 par les premiers contacts noués entre Américains et Iraniens sous l’égide du Sultan d’Oman. Ce processus avait ensuite été impulsé par "le Plan commun d’action" adopté par les sept parties prenantes le 24 novembre 2013.
Ce document fixait la méthode, les mesures de mise en confiance et les objectifs de la négociation de fond qui allait s’ouvrir pour parvenir à un accord durable et complet sur la question du programme nucléaire iranien.
Les formules qui viennent d’être trouvées à Lausanne ont fait sauter un certain nombre d’obstacles sur la voie d’un tel accord, faisant enfin jaillir la lumière au bout du tunnel. Ce résultat a été atteint au prix d’efforts exceptionnels venant au premier chef des délégations américaine et iranienne. Il peut être en particulier salué comme un succès pour l’équipe américaine, conduite par John Kerry qui a beaucoup donné de sa personne. Les diplomates américains ont mobilisé en cette affaire toute leur persévérance, leur imagination, leur capacité d’initiative pour parvenir à forcer les résistances iraniennes et emporter les résultats que l’on connaît.
Deux documents
Dans le même temps, un analyste doit la vérité à ses lecteurs. Deux documents émergent comme la partie visible de l’accord. Le premier est une déclaration commune lue successivement par la Haute représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, et par le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohamad Javad Zarif, Les résultats obtenus le 2 avril à Lausanne par le groupe dit P5+1 (les cinq membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) et l’Iran marquent un temps décisif dans le long processus initié en 2012 par les premiers contacts noués entre Américains et Iraniens sous l’égide du Sultan d’Oman. Ce processus avait ensuite été impulsé par "le Plan commun d’action" adopté par les sept parties prenantes le 24 novembre 2013. Ce document fixait la méthode, les mesures de mise en confiance et les objectifs de la négociation de fond qui allait s’ouvrir pour parvenir à un accord durable et complet sur la question du programme nucléaire iranien.
Le second est un document diffusé presque au même moment par le service de presse du Département d’Etat américain, et intitulé : "paramètres pour un plan d’action global concernant le programme nucléaire de la République islamique d’Iran". Le premier est plutôt court et rédigé en termes généraux. Le second est beaucoup plus détaillé et contient des données précises : chiffres, quantités, pourcentages, durées. On y voit ainsi apparaître le nombre de centrifugeuses de première génération autorisées à enrichir sur une période de dix ans (5.060), ou le montant maximum d’uranium légèrement enrichi (au plus à 3,67%) autorisé à être stocké pendant quinze ans sur le sol iranien (300 kilogrammes).
Des deux documents, seul le premier peut être considéré comme formellement agréé par toutes les parties. Le second a fait l’objet d’une diffusion unilatérale, à la seule initiative de la partie américaine. Si l’on veut bien croire que la diplomatie américaine agit de façon responsable, l’on peut en déduire que la délégation iranienne a jugé les nombreux paramètres énumérés par ce document comme au moins acceptables. Mais il est difficile d’aller au-delà. Le premier paragraphe du document en question souligne que ces "paramètres-clés" ont "été décidés à Lausanne", mais sans préciser par qui. Il rappelle au lecteur que ces paramètres "forment la fondation sur laquelle sera rédigé entre maintenant et le 30 juin le texte final de l’accord global et reflètent le progrès significatif qui est intervenu dans les discussions". Il va sans dire qu’il y a dans le langage diplomatique un monde entre "progrès significatif" et bel et bon accord. Et le paragraphe conclut avec la formule désormais consacrée : "il n’y a accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout". Façon d’admettre qu’à l’heure qu’il est, rien n’est agréé.
En ce qui concerne la courte déclaration conjointe qui reflète les positions communes à l’Iran et au groupe des P5+1, elle évoque en effet des solutions trouvées sur des "paramètres clés", faisant ainsi allusion au document américain. Mais elle ne dit pas explicitement que toutes les délégations ont donné leur accord à ces solutions. Pour voir les choses du bon côté, les autorités iraniennes n’ont élevé aucune protestation formelle à la parution du document américain, contrairement à ce qu’elles avaient fait en novembre 2013 lorsque ceux-ci avaient publié un document analogue qui présentait leur interprétation du "Plan commun d’action" venant d’être adopté. Cette fois-ci, le ministre iranien Javad Zarif a simplement tweeté : " Nous avons trouvé des solutions qui, telles qu’elles sont, sont bonnes pour tous. Aucun besoin de créer d’excitation avec des "feuilles de résultats" prématurées".
Ceci peut être lu comme une critique voilée du document américain, sans aller jusqu’au rejet. Il faut aussi garder à l’esprit que le Guide suprême de la Révolution islamique, Ali Khamenei, avait en février dernier publiquement écarté l’idée d’un accord en deux phases, l’une en mars, l’autre en juin, interdisant ainsi à la délégation iranienne de se rallier à quelque accord que ce soit à Lausanne. A noter enfin que le côté iranien a diffusé plutôt discrètement, peu après les Américains, sa propre liste de paramètres. Il y est dit qu’un ensemble de solutions a bien été trouvé à Lausanne mais qu’elles ne lient pas les parties et forment simplement "un guide conceptuel" pour l’élaboration de l’accord à venir. Dans les détails qui viennent ensuite, un certain nombre rejoint les paramètres américains. Il en est, par exemple, ainsi du nombre de centrifugeuses autorisées à enrichir ou du pourcentage maximum d’enrichissement autorisé.
Des écarts et des silences
Mais sur beaucoup d’autres points apparaissent des écarts ou des silences significatifs. L’un dans l’autre, les données détaillées mises sur la table peuvent certainement être considérées comme constituant une sorte de banque de ressources où puiser pour élaborer l’accord final, et au moins une bonne base de discussion pour toutes les parties. Mais il est clair que la route vers l’accord à atteindre fin juin sera encore difficile, cahoteuse, et semée de pièges en tous genres.
A ce jour, le socle incontestable sur lequel les parties peuvent commencer à bâtir peut être considéré comme à peu près délimité par les formules figurant dans la déclaration conjointe :
- "la capacité d’enrichissement de l’Iran, son niveau d’enrichissement et son stock d’uranium seront limités pour des durées spécifiées... il n’y aura pas d’autre installation d’enrichissement que Natanz" ;
- "la recherche et le développement conduits par l’Iran en matière de centrifuges seront menés en un cadre et des échéances qui ont été mutuellement agréés" ;
- "le site d’enrichissement de Fordo sera converti en centre de physique et de technologie nucléaires... il n’y aura aucune matière fissile à Fordo" ;
- "A Arak, un réacteur de recherche à eau lourde modernisé... ne produira pas de plutonium de qualité militaire" ;
- "Il a été convenu d’un certain nombre de mesures... parmi lesquelles la mise en oeuvre du Code modifié 3.1 et l’application provisoire du Protocole additionnel" ;
- "l’Union européenne mettra fin à toutes ses sanctions économiques et financières se rapportant au nucléaire, et les Etats-Unis mettront fin à toutes leurs sanctions économiques et financières secondaires se rapportant au nucléaire, en simultanéité avec la mise en oeuvre par l’Iran, sous la vérification de l’AIEA, de ses engagements clés en matière nucléaire" ;
- "une nouvelle résolution du Conseil de sécurité endossera le Plan global d’action conjoint, mettra fin à toutes les résolutions antérieures relatives au nucléaire et intégrera certaines mesures restrictives pour un laps de temps mutuellement agréé".
C’est déjà beaucoup, suffisamment pour considérer le résultat de Lausanne comme un succès, et pour nourrir la dynamique déjà bien enclenchée devant conduire au résultat final.
Encore une réflexion, pour conclure. Une absence épaisse plane sur les discussions de Lausanne. Comment se fait-il qu’aucun des documents produits, ni même que rien dans le flot des déclarations qui les ont entourés, ne contient la moindre phrase encourageant l’Iran à envisager de ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires ? Ce traité, on le sait, conduit ses signataires à renoncer à toute forme d’explosion nucléaire, qu’elle soit civile ou militaire. L’Iran figure parmi les premiers signataires de ce traité, en 1996, mais ne l’a pas encore ratifié. Sa ratification dans le cadre du futur Plan global d’action enverrait un signal fortement positif en direction de la communauté internationale et scellerait de façon solennelle l’intention iranienne de n’utiliser l’énergie nucléaire qu’à des fins pacifiques. Il y a, bien entendu, une explication à cet étrange oubli. Deux des membres du groupe P5+1, dont la ratification de ce traité contribuerait beaucoup à faciliter son entrée en vigueur, ne se sont pas encore résolus à sauter le pas. Il s’agit de la Chine et des Etats-Unis. Il en va ainsi de la lutte contre la prolifération...