« Historique » et son inévitable corollaire « irréversible » sont des termes très usités dans l’iconographie politique contemporaine. Le sommet de Panama, qui a réuni vendredi 10 et samedi 11 avril Barack Obama et Raúl Castro, est indiscutablement « historique » car la dernière fois que les présidents des Etats-Unis et de Cuba se sont vus à l’occasion d’une rencontre officielle remonte à 1956. Aujourd’hui, et Washington et La Havane aspirent à ouvrir un nouveau cycle de leurs relations.
Irréversible ? Il y a différents degrés dans l’irréversibilité, sans compter que l’emploi du terme peut se terminer en fiasco. Exemple, la signature en septembre 1993 d’un arrangement entre Israéliens et Palestiniens qui démontre depuis avec insistance à quel point il est réversible, avec frein et marche arrière. C’est la raison pour laquelle on n’atteindra pas le degré absolu d’irréversibilité dans le processus américano-cubain avant la levée de l’embargo qui frappe l’île des Caraïbes.
En revanche, ce qui apparaît déjà comme irréversible, c’est que cette Amérique latine réunie à Panama n’est pas celle de Miami en 1994, lieu d’accueil du premier sommet des Amériques. La littérature politique de l’époque proposait la consolidation de la démocratie et l’irréversibilité de la fin des militaires au pouvoir, tandis que la priorité du jour à Panama a été l’opposition à l’interventionnisme extérieur, comme les discours bolivariens à connotation révolutionnaire – mais pas seulement ceux-là – l’ont bien montré à ce sommet.
Ce front soudé contre l’ingérence extérieure trouve son point de départ dans la conviction que certaines affaires – c’est le cas du castrisme –, concernent uniquement les Latino-Américains, et que, au-delà des grandes différences, comme celles existant entre la gauche dite « compatible » (le Brésil, le Chili et, peut-être, l’Argentine) et celle appelée « radicale » (le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur), l’Amérique latine existe pour la première fois sur le plan international avec une vigueur qu’on ne lui connaissait pas depuis l’époque des indépendances.
Obama répond à cette nouvelle et dure réalité en soulignant que Washington n’a plus comme objectif de renverser des gouvernements – et rien ne dit que, même si telle était sa volonté, il en ait la possibilité – et en renouvelant l’offre formulée au sommet de Trinidad et Tobago, en 2009, d’une « relation entre égaux ».
Beaucoup de facteurs jouent en sa faveur de ce nouveau départ. Par ces temps de relatif désintérêt pour les affaires latino-américaines à cause des avancées et des reculs américains au Moyen-Orient, le fait que les Etats-Unis n’aient pas élaboré une politique globale pour l’ensemble de la région mais opéré par une succession d’approches bilatérales auprès des pays hispano-américains, n’est pas le moindre, comme le fait remarquer le politologue espagnol Carlos Malamud, du Real Instituto Elcano de Madrid.
Barack Obama ne dispose plus de beaucoup de temps pour joindre les actes aux déclarations d’intention, mais s’il met fin à l’embargo frappant Cuba – ce pour quoi il doit franchir l’abrupt obstacle d’un Congrès dominé par les républicains –, et réussit à consolider, contre ce même adversaire, l’accord nucléaire avec l’Iran, il pourra prétendre léguer à son successeur et ou sa successeure un monde différent.
Obama a opéré les Etats-Unis d’une tumeur géopolitique qui, justement à cause de cette nouvelle personnalité internationale de l’Amérique latine, polluait l’ensemble de leurs relations avec le monde des langues espagnole et portugaise. Il peut dorénavant s’adresser à lui, en choisissant parmi des blocs, principalement économiques. Nous aurions alors affaire à un projet à l’irréversibilité historique, à moins qu’un éventuel prochain président républicain ne préfère retourner à la position bien connue du « nous vivions mieux quand nous étions contre nos ennemis ».