Il a exclu, pour le moment d’envoyer des troupes sur le terrain, mais il a ordonné au secrétaire à la défense, Chuck Hagel, de dépêcher le porte-avions USS George H. Bush, avec tous les bâtiments d’accompagnement dans le Golfe persique. C’est plus qu’une mesure de dissuasion. Avec les hommes dont les Etats-Unis disposent dans leurs bases disséminées dans la région, Barack Obama peut jouer sur une palette complète de mesures. Et répondre aussi aux critiques de la droite républicaine qui l’accusent de faiblesse.
Action ou inaction : éviter les erreurs
Devant les cadets de l’académie militaire de West Point, le président a récemment développé les bases de sa politique étrangère, et en particulier de sa doctrine en matière d’interventions extérieures. Il a insisté sur deux principes. L’objectif est de ne pas commettre d’erreurs, or l’action, a dit Obama, peut avoir des conséquences plus négatives que l’inaction. Barack Obama a usé d’une image pour suggérer que la puissance américaine ne devait pas être employée à mauvais escient : « Ce n’est pas parce que nous avons un marteau que tout problème est un clou ». Le deuxième principe veut que, quand les intérêts de sécurité des Etats-Unis ne sont pas directement menacés, Washington doit privilégier la coopération avec ses alliés et dans la mesure du possible l’appel aux institutions internationales, tout en mettant en œuvre toute la gamme des moyens d’intervention (pressions diplomatiques, sanctions économiques, etc.), en-deça de l’usage de la force. Action ou inaction, la situation en Irak place le président américain devant ce choix. Il n’existe pas de recette infaillible pour en sortir.
Barack Obama a bâti sa popularité des premiers temps sur son refus de la guerre en Irak. Il a accepté la guerre en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001 comme étant « une guerre de nécessité », par opposition à l’intervention en Irak contre Saddam Hussein, qualifiée de « guerre de choix ». Les démocrates qui avaient à l‘origine soutenu la décision de George W. Bush, sont pour la plupart revenus sur leur position. Y compris Hillary Clinton. L’activisme du précédent président leur parait synonyme d’aventurisme.
« Leading from behind »
Les choix récents faits par Obama sont peu instructifs pour anticiper les décisions qu’il prendra confronté à une situation nouvelle. En 2011, en Libye, Barack Obama a accepté de soutenir militairement l’intervention décidée par deux de ses plus proches alliées, la France et la Grande-Bretagne. Mais les Etats-Unis n’étaient là qu’en soutien. D’où l’expression de « leading from behind » (diriger depuis l’arrière). Elle n’est pas de Barack Obama lui-même mais elle a été utilisée pour caractériser son attitude et critiquée par ses adversaires qui y voient une renonciation au leadership américain.
Ce sentiment a été renforcé par la décision du président américain de ne pas intervenir en Syrie à l’été 2013 malgré l’emploi par le régime de Bachar el-Assad d’armes chimiques. C’était pourtant une « ligne rouge » fixée par Barack Obama lui-même (et par François Hollande) mais elle a été transgressée par le dictateur syrien sans conséquence pour ce dernier. Le chef de la Maison blanche a pris prétexte du refus de la Chambre britannique des communes, traumatisée par la guerre en Irak, de participer à une opération aérienne, pour se réfugier derrière une approbation du Congrès. Compte-tenu de la crainte des élus américains – et de leurs électeurs – de toute nouvelle aventure militaire, l’appel au Congrès signifiait l’abandon de toute action. Resté seul, le président français ne pouvait que se résoudre à ne rien faire.
L’inaction américaine – et plus généralement occidentale – dans le conflit syrien, qui dure depuis plus de trois ans et qui a fait plus de 160 000 victimes, a deux conséquences, l’une régionale, l’autre globale.
Impuissance en Syrie
La durée du conflit, la brutalité de la répression de la part du régime et les atrocités commises de part et d’autre ont favorisé la montée en puissance des groupes d’opposition les plus radicaux. L’Armée syrienne libre, issue du Conseil national syrien, qui regroupait les opposants modérés à Bachar el-Assad, y compris des démocrates et des libéraux, a été marginalisée au profit des extrémistes islamistes sunnites, dont l’EIIL créée par Abou Moussa al-Zarqaoui et dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi. C’est cet Etat islamique d’Irak et du Levant qui est en train de s’implanter dans une partie de la Syrie et au nord de l’Irak, et qui a même avancé jusqu’à une centaine de kilomètres de Bagdad.
Plus que le retrait américain d’Irak, c’est l’inaction en Syrie qui se paie aujourd’hui. L’Armée syrienne libre qui représentait l’opposition modérée a été longtemps abandonnée à ses propres forces. Les opposants ont reçu des armes de régimes arabes concurrents entre eux qui ont favorisé les groupes radicaux plus ou moins inféodés. Quand s’est posée dans les capitales occidentales la question de livrer des armes à l’opposition syrienne, c’était trop tard. On a préféré ne rien faire par crainte – justifiée – que ces armes ne tombent dans de « mauvaises mains », celles des groupes radicaux. Les djihadistes ont eu le champ libre.
Le développement du conflit a déstabilisé les Etats voisins, au-delà même de l’Irak. Le Liban qui n’est jamais à l’abri des vicissitudes de la politique syrienne ; la Jordanie, qui doit, elle aussi, accueillir des millions de réfugiés alors qu’elle abrite déjà une nombreuse communauté palestinienne ; la Turquie qui s’est vite détournée du régime de Bagdad et qui a soutenu l’opposition « modérée » avant d’être menacée par les djihadistes. Les régimes arabes du Golfe, par ailleurs alliés des Américains, ont eux aussi de quoi s’inquiéter de la montée en puissance de groupes radicaux qu’ils ont pourtant encouragés. D’autant plus que leur ennemi iranien, allié de Bachar el-Assad et du Hezbollah, a profité du conflit syrien pour accroitre son influence, même si les mollahs peuvent s’inquiéter que le premier ministre chiite irakien Nouri al-Maliki paraisse incapable de contrôler la situation. C’est donc à une équation à plusieurs inconnues qu’ont à faire face les Etats-Unis.
De l’Europe à l’Asie, un doute sur la crédibilité américaine
L’inaction en Syrie a une conséquence plus globale sur la crédibilité même des Etats-Unis. Elle n’a certainement pas échappé à Vladimir Poutine quand le président russe a décidé de profiter de la crise ukrainienne pour annexer la Crimée. Elle a inquiété les alliés des Américains les plus proches géographiquement de la Russie. Barack Obama s’est vu contraint de profiter de son voyage en Europe pour tenter de les convaincre de sa détermination à les défendre contre toute menace potentielle. Il y a en grande partie réussi car les Etats de l’ancien bloc soviétique qui ont rejoint l’OTAN jouissent d’une sécurité, au moins relative, supérieure à ceux qui sont restés en dehors (Géorgie, Ukraine…)
Le doute ne s’en est pas moins insinué sur la fiabilité de la protection américaine. Et pas seulement en Europe. Le conflit en Syrie et la crise en Ukraine ont soulevé des interrogations en Asie, chez les alliés des Etats-Unis et dans les pays qui, comme le Vietnam, sans être des alliés formels comptent sur une garantie de sécurité américaine face aux ambitions chinoises. Si l’Irak tombe sous la coupe des radicaux de l’Etat islamique de l’Irak et du Levant, les inquiétudes n’en seront que plus grandes. Avec cette conséquence paradoxale que les mêmes qui ont critiqué la guerre américaine en 2003 réclameront bientôt une intervention en Irak ou regretteront qu’elle n’ait pas lieu.