Le renouvellement vanté par Emmanuel Macron est en passe de concerner aussi la politique étrangère de la France sur un sujet qui occupe les diplomates depuis plus de six ans : la guerre en Syrie. Dans le long entretien que le nouveau président de la République a donné au Figaro et à d’autres journaux européens, il annonce un changement sur deux points essentiels par rapport à la politique de son prédécesseur.
D’abord il n’accepte pas l’idée que la France doive renoncer quand elle se retrouve dans la situation d’avoir à agir seule. « Quand vous fixez des lignes rouges, si vous ne savez pas les faire respecter, vous décidez d’être faible », dit-il dans une critique à peine voilée à Barack Obama mais aussi à François Hollande. En août 2013, la France était prête à frapper des sites du régime syrien après que celui-ci eut utilisé des armes chimiques dans la banlieue de Damas. Elle avait renoncé au dernier moment, lâchée par les Etats-Unis qui avaient pourtant défini l’emploi d’armes chimiques comme une ligne rouge à ne pas franchir.
Dans un tel cas, la France pourrait et devrait agir seule, affirme Emmanuel Macron. L’attitude adoptée en 2013 est un aveu de faiblesse dont a profité Vladimir Poutine qui s’est senti « du coup libéré sur d’autres théâtres d’opérations », allusion à l’Ukraine.
Le deuxième point d’inflexion concerne le sort de Bachar el-Assad. Le président français revendique un « vrai aggiornamento ». « Je n’ai pas énoncé, dit-il, que la destitution de Bachar el-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime. »
Là encore il s’agit d’un changement par rapport à la ligne adoptée par la France, du temps de Nicolas Sarkozy comme de François Hollande. « Assad doit partir », était le principe le plus souvent répété même s’il subissait parfois quelques amodiations. « Assad n’est pas l’avenir de la Syrie », une affirmation qui ne devrait pas choquer Emmanuel Macron même s’il ne la reprend pas publiquement à son compte.
Le jeune président annonce ainsi un retour à ce qu’Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac après avoir été un proche collaborateur de François Mitterrand, appelle « le compromis gaullo-mitterrandien ». La Realpolitik l’emporte. Dans son entretien aux journaux européens, Emmanuel Macron renvoie d’ailleurs à leurs chères études les diplomates du Quai d’Orsay, qualifiés de « secte », sensibles aux thèses des néoconservateurs américains. « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans ». Le néoconservatisme étant considéré ici comme la volonté de promouvoir à travers le monde la démocratie par la force, au risque de créer des « Etats faillis » qui contribuent à la déstabilisation et au terrorisme. L’école néoconservatrice américaine mérite sans doute mieux que ce raccourci simpliste, mais c’est une autre histoire.
Le réalisme veut aussi que l’on cherche des terrains d’entente avec la Russie dans la lutte contre le terrorisme et que l’on s’efforce de régler avec elle les questions en suspens. C’est ce qu’Emmanuel Macron a commencé à faire avec Vladimir Poutine quand il l’a reçu à Versailles. C’est ce que vient de faire pendant de longues heures à Moscou le nouveau ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avec son collègue Sergueï Lavrov.
Cette recherche du dialogue n’exclut pas bien au contraire un langage de fermeté. Emmanuel Macron l’a montré lors de sa conférence de presse commune avec le président russe, sur la Syrie, sur l’Ukraine, sur le sort des ONG en Russie et celui des homosexuels en Tchétchénie. Mais le réalisme n’a une chance d’infléchir la position russe que s’il s’appuie sur un rapport de forces qu’il est grand temps de reconstruire.