La forme du débat est plus ouverte que par le passé. Il y aura six thèmes déterminés par le modérateur, le vétéran de la télévision public, Jim Lehrer. Chaque candidat aura deux minutes pour formuler une première réponse, ce qui laissera 11 minutes pour un débat qui devrait être assez libre. Comme on peut l’imaginer, les candidats seront bien préparés, ils auront déjà imaginé les questions, répété des réponses succinctes et des ripostes acérées. Ce sera une sorte de match de boxe, avec quelques particularités tout de même.
Avant que match ne commence, on aura bien géré les attentes du public, chaque candidat faisant mine d’exagérer les capacités de l’autre et de minorer les siennes, afin de pouvoir mettre en perspective sa propre performance. Une fois la joute commencée, le challengeur aura déjà marqué un point du simple fait qu’il est là, d’égal à égal avec le président, ce qui lui confère une certaine stature. Ensuite, surtout pour Barack Obama, le favori dans tous les sondages, le match ne doit pas se terminer par un KO. Il lui suffira de ne pas faire de gaffe, ni non plus de paraître trop condescendant.[1] Enfin, il y a un troisième facteur : le modérateur, ce troisième participant : Jim Lehrer, un homme d’un certain âge, ayant déjà pris sa retraite et qui, selon certains, serait d’un tempérament trop « modéré »… qui pourrait alors le tenter d’intervenir activement pour rehausser sa propre réputation.
Qui sera Mitt Romney ?
Barack Obama devra donc éviter de faire une gaffe… Quant à Mitt Romney, il devra essayer de bien se repositionner en vue des quatre dernières semaines de campagne et des deux prochains débats présidentiels.
C’est son moment de vérité ; Mitt Romney doit, d’une certaine manière, se montrer au public, montrer qui il est et pourquoi il veut accéder à la présidence. C’est plus difficile qu’on ne le croirait, car les longues primaires Républicaines et les divers opposants qu’il eut à vaincre — et l’obligation ressentie de rechercher la faveur sinon la ferveur du Tea Party et des évangéliques de base — compliquent la tâche. Cette quadrature du cercle aurait dû être accomplie lors de la convention de Tampa, mais ce fut raté, et pas seulement par la faute de Clint Eastwood. Comment Romney va-t-il s’y prendre maintenant ? La presse parle de « recalibration », de modération, comme si l’ancien gouverneur de l’Etat libéral du Massachussetts allait réapparaître. En effet, comme le débat attirera plus de 60 millions de spectateurs, dont beaucoup verront et entendront Romney pour la première fois, on comprendrait que ce mormon qui ne boit pas d’alcool mette en avant son goût pour le Coca-Light !
Mais comme l’élection ne se décidera pas uniquement en fonction de la popularité du candidat mais surtout sur la mobilisation des fidèles, le choix de la modération risque d’être coûteux. Le plus raisonnable alors serait pour Romney de jouer la carte de sa compétence d’homme d’affaires en soulignant les effets de la crise qui perdure.[2] On imagine alors les répliques d’Obama, qui rappellera les positions contradictoires de son opposant et insistera sur sa lourde dette envers l’aile droite Républicaine qu’il voulait amadouer par le choix de Paul Ryan comme colistier.[3] Veut-on, dira Obama, prendre le risque de revenir à la politique économique du temps de Bush ?
Des répliques de génie
Est-ce que ce sont les généraux qui gagnent les batailles ? On pourrait le dire pour autant que leur charisme, ou leur stratégie réfléchie, ou encore leur capacité tactique à faire face à l’imprévu, mobilisent leurs troupes dont la ferme foi emporte l’adhésion de la population. Mais l’analogie n’est pas bonne ; il s’agit aujourd’hui d’acteurs politiques qui doivent séduire des spectateurs assis devant leurs télévisions. Après tout, l’idée de débats publics télévisés ne date de 1960, le début de notre ère télévisuelle, lorsque le jeune JFK, éclatant de santé, semblait vaincre le vice-président d’Eisenhower, Richard Nixon.
Or, malgré la légende téléphile[4], ce fut la machine politique du maire de Chicago qui fournit les voix nécessaires à la victoire. Les partisans des débats citent d’autres exemples, parfois des répliques de génie — la question de Reagan « Est-ce que votre situation est meilleure qu’il y a quatre ans ? » ; ou bien la réponse impassible de Michael Dukakis lorsqu’on lui demandait comment il réagirait si sa femme avait été violée ; ou encore ces images de George Bush senior qui regardait sa montre comme s’il s’ennuyait sur l’estrade avec Bill Clinton ; ou encore les soupirs audibles d’Al Gore exprimant son dédain lorsque Bush junior étalait ses réponses apprises par cœur.
Ce ne sont que des anecdotes—mais c’est peut-être aussi l’expression d’un système politique qui, systématiquement, évite de poser les questions de l’avenir… comme celle de l’avenir de sa constitution bicentenaire de plus en plus inapte à articuler politiquement les failles d’une société rivée par des inégalités criantes. L’appel à l’« audace » de 2008 est remplacé chez Obama cette année par un impératif ambigu : « En avant » ! Peut-être en apprendra-t-on ce soir un peu plus sur le chemin où Obama veut nous conduire ?
[1] L’avantage d’Obama n’est pas énorme, il est resté constant malgré les péripéties de la campagne. Qu’il s’agisse de sa prise de position en faveur du mariage gai, de l’arrêté de la Cour suprême qui validait la constitutionalité de sa réforme de la santé, de son décret en faveur des jeunes immigrés sans papiers—ou de la nomination de Paul Ryan, héros de la droite et du Tea Party—cet avantage n’a pas faibli… ni monté par ailleurs. Néanmoins, au point où en sont les choses, Obama est bien positionné pour remporter les 270 voix des Grands Électeurs ; il y plusieurs combinaisons d’Etats qui les lui garantiraient alors que la voie vers les 270 voix pour Romney est extrêmement étroite.
[2] Pourquoi Mitt Romney a-t-il publié une tribune critiquant la politique proche-orientale d’Obama dans le Wall Street Journal de dimanche (30 septembre) ? Ce premier débat doit traiter de la politique domestique. Est-ce donc du bluff ? Une tactique pour désorienter le camp adverse ?
[3] Notons que, depuis les premiers enthousiasmes qui suivirent sa nomination, Paul Ryan ne semble pas avoir apporté beaucoup de nouveaux soutiens au ticket républicain. Bien au contraire, d’après certains sondages, notamment en Floride où les seniors craignent ses propositions de réforme de l’assurance santé et de la sécurité sociale.
[4] Accréditée par le fait que Nixon avait refusé de débattre avec son opposant en 1968 et en 1976. Ce n’est que Gerald Ford, vice-président de Nixon devenu président dans la foulée de Watergate et manquant donc de légitimité, qui a accepté le principe du débat, qui perdure depuis.