Soixante ans après ses débuts, la construction européenne se délite, faute d’avoir admis un certain nombre de réalités.
Déjà la majorité des nouveaux Etats membres, après les six fondateurs, n’avait pas la même ambition qu’eux d’une Europe unie. La Grande Bretagne était entrée dans la Communauté européenne pour accéder à un Marché commun dont la mise en place s’avérait plus prometteuse que la zone de libre échange qu’elle avait promue auparavant. La Grèce adhéra pour des raisons politiques et économiques qui lui étaient propres. Quant aux pays de l’Est, ils voulurent bénéficier sans délai de la prospérité de la Communauté européenne et participer à une démocratie qu’ils n’avaient pratiquement jamais connue dans leurs histoires passées. En fait, ils étaient plus atlantiques qu’européens, s’appuyant avant tout sur le parrainage américain.
Même à son commencement, la construction européenne avait été viciée. La France avait initialement fait de l’harmonisation des charges sociales et fiscales une condition sine qua non de son adhésion au futur marché commun. Ensuite, elle abandonna cette condition pour obtenir l’association de ses territoires d’outre-mer à ce dernier.
Il eût fallu un chantre comme Malraux
Comme premier président de la Commission européenne, il eût fallu un chantre comme André Malraux pour entretenir la flamme, on préféra nommer l’honorable Monsieur Hallstein. Mais si l’on continua de parler toujours de grands desseins, il s’agit de plus en plus de technocratie, voire d’épicerie.
Au demeurant, un Jean Monnet américanisé ne pouvait imaginer l’Europe unie que sous la forme d’Etats-Unis bis. La construction européenne se fait donc largement contre les Etats membres au lieu de les associer pleinement à une démarche commune. En outre, si l’on affichait toujours l’ambition d’une Europe unie, l’augmentation constante des membres de l’Union européenne apparaissait comme le signe de sa réussite ; mais leurs réalités, leurs objectifs, voire leurs valeurs étaient par trop différentes pour permettre une véritable union.
On voulut resserrer les rangs autour de quelques membres dans une zone euro. On espérait que les différences de niveaux économiques existant entre eux s’effaceraient avec le temps ; ce fut tout le contraire qui se passa. On ne fit qu’aggraver les choses en acceptant de nouveaux membres dans une zone qui ne pouvait réussir qu’à condition de ne pas être sans cesse élargie. On prétend la renforcer en multipliant –penchant bien français- des institutions qui lui seraient propres, aboutissant ainsi à scinder l’Union en délaissant ceux de ses membres qui ne feraient pas partie de celle-ci.
Enfin, faute d’une Union forte et d’une véritable communauté, on n’échappe pas au retour des nationalismes auxquels on assiste dans le monde en général.
Un projet ressassé dans un monde qui change
Je suis sans doute l’un des rares survivants –mais c’était à un niveau très modeste- de la délégation française aux négociations de 1956-57 sur le Marché commun. Comment ne pas être profondément déçu par cette Europe, qui a certes fait certaines grandes choses, mais qui pour le reste s’est largement fourvoyée ?
Il importe de cesser de s’aveugler avec un projet ressassé, vieux de plus de soixante ans, et jamais vraiment accompli, dans un monde et une Europe même profondément changés. Il faut sauver l’Europe, et pour cela la repenser, voire la reconstruire. Il lui faudra du courage, quitter les idées rebattues et faire preuve d’imagination. Sauvegarder l’essentiel, mais élaguer le reste. Se rappeler ce qu’on a vite oublié et que disait le sage Robert Schuman : « L’Europe doit se chercher moins dans de grandes constructions que dans des réalités concrètes dont naîtront des solidarités ».
(le titre et les intertitres sont de la rédaction de Boulevard-Extérieur)