Ursula von der Leyen sera la nouvelle présidente de la Commission européenne. Elle vient d’être confirmée par une majorité du Parlement européen – une majorité courte, mais une majorité quand même. Elle va pouvoir prendre la place de Jean-Claude Juncker le 1er novembre. Il y avait du soulagement dans l’hémicycle de Strasbourg. Soulagement, avant tout, pour la candidate qui ne pouvait pas être sûre de passer le test. Elle avait besoin de 374 voix ; elle en a obtenu 383. Un refus du Parlement de confirmer la candidate du Conseil aurait créé une crise institutionnelle grave. Soulagement général aussi, car l’Union doit affronter d’énormes défis, internes et externes. Désormais, la nouvelle équipe dirigeante va pouvoir se mettre en place.
Il est à noter qu’au cœur de cette équipe, là où les présidentes disposent de vrais pouvoirs régaliens, à la Commission et à la Banque centrale européenne, il y aura deux femmes - une Allemande, une Française (Christine Lagarde). Signe d’une détermination franco-allemande de se charger, ensemble, sérieusement de l’avenir de l’Union et de démontrer que, face aux „hommes forts“ comme Trump, Poutine, Erdogan, Xi, l’Europe peut compter sur des femmes compétentes. Cela peut même faire partie d’une „culture politique“ proprement européenne – une culture d‘émancipation et de respect du droit au sens large – à améliorer, certes, mais décidément opposée aux attitudes autoritaires des héros politiques masculins auto-proclamés.
Compromis et marges de manœuvre
Pour y arriver, la future présidente de la Commission avait la tâche la plus difficile. Il a fallu „le discours de sa vie“ devant les députés européens pour qu’une majorité du Parlement européen avale la décision mal aimée du Conseil européen de ne pas honorer les choix des familles politiques, sur lesquels ils avaient fait campagne pour les élections européennes. Elle avait deux semaines pour se faire connaître auprès des groupes parlementaires et pour les convaincre de voter pour elle. Elle avait deux semaines pour écouter et répondre aux questions, pour présenter ses idées sur l’Europe, mais aussi les marges de manœuvre rendant possibles des compromis qu’une majorité des parlementaires pourraient soutenir. Avec sept groupes parlementaires et une cinquantaine de non-inscrits ce n’était pas chose facile.
Des sondages, notamment en Allemagne, n’étaient pas du tout encourageants : Immédiatement après sa nomination par le Conseil européen, près de 70% des sondés ont désapprouvé sa nomination (avec une opinion „très négative“ pour 53,7 %, négative“ pour 15,9 %). Certes, le groupe PPE (chrétien-démocrate) l’a soutenue malgré la colère du plus grand groupe du Parlement européen après le refus de son „spitzenkandidat“, Manfred Weber, par une coalition, au Conseil européen, entre Emmanuel Macron et Victor Orban, comme l’a souligné le secrétaire général de la CDU, Paul Ziemiak. Les députés SPD au Parlement européen, parti de la coalition gouvernementale à laquelle appartenait Ursula von der Leyen, se sont carrément opposés, bien que la majorité du groupe socialiste ait voté pour elle.
Le refus des Verts
Le groupe des Verts a également refusé de la soutenir malgré des discussions „constructives“ avec elle. Le soutien du groupe libéral, dont fait partie „La République en Marche“ du président Macron, était nécessaire et acquis, mais pas suffisant. Il a fallu un coup de fil de Mme Merkel à Varsovie pour convaincre le parti PiS au pouvoir, dont les députés européens appartiennent au groupe conservateur, pour assurer une majorité à la candidate. Les Polonais du PiS en tout cas en sont fiers et l’ont déclaré à haute voix.
Les début de Mme von der Leyen sur la scène européenne ont donc été difficiles. Pourtant, dans son discours de candidate, elle a pris des engagements ambitieux ; il n’est pas certain qu’elle puisse les tenir. Relativement sûre du soutien de son propre groupe, le PPE (avec le risque de défections), elle a présenté quatre dossiers qui sont surtout au cœur de l’intérêt des autres partis mais dont les positions ne sont pas toutes appréciées par sa propre famille politique.
Une priorité : „sauver la planète“
D’abord, elle a repris le grand thème des Verts en proposant un „European Green Deal“, une approche européenne commune pour „sauver la planète“ en réponse au changement climatique : sortie du charbon, taxe CO2, actions contre les déchets en plastique. La poussée des Verts en Allemagne et en France ainsi que l’impact des manifestations continues des jeunes “Fridays for future“ l’ont conduite à s’engager dans ce domaine. Les Verts à Strasbourg ne s’en sont pas satisfaits, mais Ursula von der Leyen a sans doute jeté les bases d’une coopération entre sa famille politique et les écolos qui va porter ses fruits plus tard. En France, les macronistes peuvent être satisfaits, alors que les amis politiques de la candidate au sein du groupe PPE, „Les Républicains“, ne peuvent pas l’être. En fait, la protection de l’environnement et le dossier „climat“ s’imposent dans tous les pays européens, et ceci dans la durée. Il est important que l’Union s’occupe davantage d’un dossier qui ne connaît pas de frontières. Cela va demander de l’audace et de la persévérance.
Pour une politique sociale
Ursula von der Leyen a aussi repris un certain nombre de revendications chères aux socialistes/sociaux-démocrates, mais aussi aux macronistes : systèmes européens de salaire minimum, réassurance chômage et programmes pour les jeunes chômeurs, approfondissement de l’union économique avec budget de la zone Euro, une certaine flexibilité intelligente dans l’application des règles de l’union monétaire. Tout cela sera difficile à digérer par ses propres amis politiques au PPE, voire à la CDU. Le chef du groupe conservateur, le Tchèque Jan Zahradil, se plaint déjà que „Mme von der Leyen n’ait rien fait pour soutenir les positions des groupes de centre droit du Parlement européen. Elle est la candidate des socialistes, des macronistes et du PPE.“ Malgré cela, les députés du PiS polonais, qui fait partie de ce groupe, ont voté pour elle.
Le problème épineux de la migration
La future présidente s’est attaquée également au problème épineux de la migration. Elle a annoncé des efforts pour réformer le système „Dublin“, système européen de gestion des demandes d’asile, qui ne fonctionne plus depuis 2015, quand plus d’un million de réfugiés sont arrivés sur les plages de la Méditerranée, en Grèce, en Italie, en Espagne, à Malte, avant de poursuivre leur chemin vers l’Autriche, l’Allemagne, la France, les pays scandinaves. Ursula von der Leyen avait, à l’époque, toujours soutenu la politique de la chancelière Merkel - ne pas fermer les frontières, comme l’ont fait d’autres, mais essayer d’arriver à une répartition des réfugiés à travers toute l’Union. On sait qu’elle n’y est pas parvenue, mais que cette question a contribué à diviser les Européens. Bien que le nombre des réfugiés ait baissé considérablement depuis, le problème persiste – un conflit entre ceux qui veulent que l’Union reste ouverte au monde et accueillante, dans des conditions bien définies, et ceux qui cherchent à être protégés des menaces venant de l‘extérieur, de tout ce qui est étranger, et à fermer les portes, surtout aux musulmans et aux Noirs. On ne peut qu’espérer que la future présidente trouvera le moyen d’apaiser les esprits et de chercher une solution acceptable pour un problème qui ne va pas disparaître.
Les principes de l’Etat de droit
Finalement, Ursula von der Leyen a bien confirmé la valeur fondamentale pour l’Union des principes de l’Etat de droit, un sujet d’une sensibilité particulière étant donné les procédures juridiques engagées par la Commission actuelle contre la Pologne et la Hongrie pour violation de ces principes. Si les députés du PiS polonais ou du Fidesz hongrois, qui ont voté pour elle, croient qu’elle sera moins déterminée à poursuivre ces procédures, ils risquent de se tromper. En même temps, Mme von der Leyen s’est aussi déclarée soucieuse d’un clivage Est-Ouest qui risque de grandir, en même temps que le sentiment, dans les pays de l’Est, que „vous ne nous voulez simplement pas.“ Est-ce un hasard si aucun représentant des pays de l’Est ne figure dans la future équipe dirigeante ?
Les défis sont nombreux et ils vont bien au-delà des quatre dossiers évoqués. Ils concernent le Brexit, la réforme de la politique agricole, le danger d’une guerre commerciale, la position de l’Europe dans le monde, pour n’en citer que quelques-uns. La Commission est la gardienne des traités, elle possède seule le droit d’initiative législative –qu’elle veut partager avec le Parlement—, elle est la gestionnaire de la politique de l’Union, mais les décisions relèvent toujours des Etats membres, réunis en Conseil, et en collaboration avec le Parlement. Elle peut, elle doit prendre des initiatives, lancer des débats – mais pour obtenir des résultats elle dépend des gouvernements nationaux et d’une majorité au Parlement.
Avant même de prendre sa fonction le 1er novembre, Ursula von der Leyen va devoir convaincre les gouvernements nationaux de nommer des candidats à la Commission qui permettent à sa présidente de former un collège de commissaires à la fois cohérent et uni, mais aussi dans le respect de la parité hommes/femmes, comme elle l’a annoncé devant le Parlement. Ensuite, elle doit réunir encore une majorité au Parlement pour confirmer la Commission future. Des surprises ne sont pas exclues. Il y a encore du chemin à faire avant qu’elle puisse commencer son travail.
Ce sera encore plus compliqué dans le domaine de la politique étrangère et de défense dont elle a parlé aussi devant le Parlement. Ancienne ministre de la défense, Ursula von der Leyen sait que ni la Commission, ni le Parlement n’ont de vraies compétences en la matière. Ce sont les nations qui continuent à disposer seules de leurs diplomaties et de leurs forces armées. La nouvelle présidente tentera de trouver la potion magique qui permettra d’avancer dans ce domaine.