La „super-année électorale“ a commencé en Allemagne. Les scrutins du 14 mars au Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat apportent des messages multiples qui soulèvent plus de questions qu’ils ne donnent des réponses aux stratèges des partis politiques à Berlin. Six mois avant les élections législatives du 26 septembre, les incertitudes en ce qui concerne le scrutin national sont plus grandes que jamais. Les messages-clés de ce dimanche sont au nombre de trois. Le premier est que les chefs des gouvernements sortants comptent plus que leurs partis politiques respectifs. Le deuxième est que les discussions sur un futur gouvernement fédéral qui ne serait pas dirigé par la CDU, parti de la chancelière, sont désormais lancées. Le troisième est que les scores de l’extrême droite sont à la baisse, en dessous des 10% dans chacun des deux Länder.
Les victoires des Verts au Bade-Wurtemberg et du SPD en Rhénanie-Palatinat sont dues avant tout à la popularité des deux chefs de gouvernement. Malu Dreyer à Mayence et Winfried Kretschmann à Stuttgart ont obtenu des résultats dont leurs partis ne peuvent que rêver au niveau national. Après dix ans à la tête du gouvernement régional à Stuttgart, M. Kretschmann améliore encore son score à avec 32,4% ds voix - alors qu’au niveau national, les Verts viennent juste de passer le cap des 20% dans les sondages, ce qui n’est déjà pas mal, comparé aux 8,9% qu’ils avaient obtenus aux élections de 2017. Quant à Malu Dreyer, elle maintient à peu près son score d’il y a cinq ans avec 35,7%, ce qui est très supérieur aux chiffres du SPD dans les sondages au niveau national, où il reste bien en dessous des 20% et à la troisème place derrière les Verts. Les résultats des scrutins permettent aussi de dire que les votants font plus confiance à Mme Dreyer et à M. Kretschmann personnellement qu’à leurs partis politiques respectifs.
Cela pose un problème majeur pour les partis en question. Certes, en août 2020, le SPD a fait d’Olaf Scholz, le vice-chancelier actuel, son candidat à la chancellerie pour les élections du 26 septembre. Mais depuis le SPD n’a pas pu remonter dans les sondages au-dessus des 16-17% où il plane depuis le début de sa troisième coalition avec Mme Merkel. Il ne faut pas oublier que son parti, par un vote des militants fin 2019, n’a pas voulu de lui comme chef. Olaf Scholz n’apparaît donc pas comme la personnalité incontestée qui saurait sauver la social-démocratie – même s’il espère démontrer le contraire.
Qui sera le candidat des Verts ?
Les Verts, en revanche, sont mis sous pression, depuis dimanche dernier, de prendre la décision que le SPD a déjà prise. Qui doit être le candidat ou la candidate à la chancellerie ? C’est un défi pour un parti dont l’origine est une opposition fondamentale au système politique „bourgeois“. Depuis que dans les sondages il devance le SPD pour la deuxième place, ses deux co-présidents, Annalena Baerbock et Robert Habeck, ne cessent pas de déclarer qu’ils visent maintenant la première place. Encore doivent-ils se mettre d’accord sur le nom de celui, ou de celle, qui occupera cette première place. Il n’y en a qu’une. Des co-chanceliers, cela n’existe pas, alors que la tradition de ce jeune parti veut qu’il y ait toujours un équilibre homme/femme à tous les niveaux de responsabilité. Il lui faudra choisir entre ses deux co-présidents. Depuis dimanche dernier, ce choix est devenu urgent.
Il n’y a pas de doute que, si Annalena Baerbock réclame cette place, elle l’aura. A côté d’Olaf Scholz et du candidat de la démocratie chrétienne - que ce soit Armin Laschet, le nouveau chef de la CDU, ou Markus Söder, le chef de la CSU bavaroise - , elle serait la plus jeune et surtout la seule femme – une vraie alternative aux choix de la continuité avec le merkélien Arnim Laschet, s’il est choisi comme candidat, ou avec Olaf Scholz qui est toujours vice-chancelier du gouvernement sortant.
Première question, donc, au lendemain du 14 mars : qui seront les personnalités fortes qui seront capables de réussir la campagne à venir et de prétendre à la chancellerie ? Angela Merkel ne se représentant plus, il n’y en a pas. Le seul candidat déclaré du SPD est encore loin derrière. Du côté du parti de la chancelière comme de celui des Verts on ne sait pas qui sera le candidat. Question ouverte.
La bataille entre Laschet et Söder
Ce sera particulièrement difficile pour le couple CDU/CSU. M. Laschet s’est imposé comme le nouveau chef de la CDU, mais il n’apparaît toujours pas comme un leader efficace et motivant. On lui reproche de réagir trop tard. Le soir du 14 mars et du double échec de son parti, qui a obtenu ses plus mauvais résultats dans deux Länder qui, pendant des décennies, ont été des fiefs de la CDU, le nouveau chef ne s’est pas prononcé devant les caméras. Aucun mot public de consolation ou d’encouragement à reprendre l’élan pour la prochaine étape. Il s’est contenté de constater que la chancellerie ne serait pas acquise d’office pour l’union CDU-CSU. Dans les sondages, elle retrouve son niveau médiocre d’avant la crise sanitaire – 30% ou moins. Le chef de la CSU, M. Söder, de son côté, n‘a pas tardé à déplorer le „coup dur au coeur de l’union“ et demandé de nouveaux efforts dans les six mois à venir avec une „nouvelle équipe d’avenir“, sans pour autant demander explicitement un remaniement du gouvernement.
Il aurait pu le faire, car l’image de ce gouvernement, dirigé par Angela Merkel, n’est pas bonne. Tout récemment, trois députés CDU/CSU ont dû démissioner de leur groupe parlementaire (dont deux ont aussi démissionné de leur mandat) et de leur parti, parce qu’ils ont été impliqués dans des affaires personnelles concernant des commandes de masques dans le contexte de la crise sanitaire et ont tiré des profits personnels exorbitants d’une situation de crise que leur propre gouvernement et leur ministre de la santé, Jens Spahn, essaient de maîtriser. Bien que ce comportement ait été condamné tout de suite par les deux chefs de la CDU et de la CSU comme étant totalement inacceptable et incompatbile avec la fonction d’élu, l’image d’un gouvernement qui gouverne mal a pris le dessus.
Car cette „affaire des masques“ s‘ajoute à d’autres affaires portant sur les tests, sur l’organisation de la vaccination, sur l’exécution tardive des aides financières aux entreprises et, d‘une manière générale, sur la gestion de la crise par cette conférence des ministre-président(e)s et de la chancelière qui ne semble suivre aucune stratégie cohérente et ne pratiquer aucun suivi cohérent des décisions prises, dont les bases juridiques sont constamment mises en question. Les élections régionales, disent les analyses, ont été l’occasion d‘un vote-sanction. Et c’est la CDU, avant tout, qui a été pénalisée.
Tout de même, M. Laschet et M. Söder maintiennent leur intention de s’accorder entre eux „entre Pâques et la Pentecôte“ sur le choix du candidat à la chancellerie. Le second apparaît comme l’homme fort, actif face à la crise, omniprésent dans les médias, mais il est le chef d’un parti limité à la Bavière. Le premier est le chef de la partie majoritaire de „l’union“, il est celui qui sait rassembler, modérer, suivre les traces d’Angela Merkel, mais en même temps, il apparaît comme un mou. Ce sont, bien évidemment, des caricatures. Mais il sera important de voir comment l’un et l’autre vont se présenter dans les semaines à venir.
Une majorité sans la CDU ?
Un aspect des résultats électoraux dans les deux Länder a particulièrement surpris. Non seulement Mme Dreyer va pouvoir continuer à gouverner avec une coalition dite des „feux de circulation“ – rouge (SPD), jaune (les libéraux du FDP), vert, la CDU restant dans l’opposition, mais la même coalition serait désormais possible à Stuttgart, où le SPD et le FDP se sont dits disposés à former une coalition avec les Verts. C’est l’une des conclusions du 14 mars : une majorité sans la CDU est possible. Le SPD a aussitôt repris cette idée pour sa campagne des législatives, en précisant, bien sûr, que ce serait lui qui serait à la tête d’une telle majorité – ce qui est loin d’être acquis. La question de savoir s’il serait prêt à entrer dans un gouvernement dirigé par les Verts est restée sans réponse.
Deuxième question : un gouvernement fédéral sans la CDU/CSU devient-il vraiment envisageable ? Ce n’est plus à exclure. Même M. Laschet et M. Söder préviennent : la chancellerie n’est pas encore gagnée. Il faudra donc observer avec attention dans les prochaines semaines les comportements de Laschet et de Söder, les prises de paroles des co-chefs des Verts, les positionnements des leaders du FDP. Finalement, il ne faut pas perdre de vue non plus l’extrême-droite (AfD) qui a, certes, subi un échec en descendant en dessous des 10%, mais qui risque de reprendre de la force lors du prochain scrutin. Ce sera le 6 juin en Saxe-Anhalt, où l’AfD est encore la deuxième formation à la Diète avec 24,3% des voix, pas loin derrière la CDU. Assistera-t-on à une autre surprise ?