Le péronisme revient au pouvoir en Argentine. Le président sortant, le libéral Mauricio Macri, est battu dès le premier tour par le péroniste Alberto Fernandez, associé à l’ancienne présidente Cristina Kirchner. Richissime homme d’affaires, Mauricio Macri l’avait emporté en 2015 sur un programme de droite libérale. Il avait reçu le soutien de la plus grande partie du patronat. A la tête d’un gouvernement de chefs d’entreprise, il avait appliqué une politique de rigueur, marqué notamment par la dérégulation du marché du travail et la suppression de nombreux emplois publics. Sa priorité était de rétablir la confiance des investisseurs. Il a échoué. Il a été sanctionné par une majorité du peuple argentin, qui s’est tourné, une fois de plus, vers le vieux parti péroniste fondé dans les années 40 par l’ancien président Juan Peron et souvent défini comme un parti populiste.
Au même moment, dans un autre pays d’Amérique latine, le Chili, un autre milliardaire, Sebastian Pinera, redevenu président de la République en 2018 après un premier mandat de 2010 à 2014, est la cible d’une vaste mobilisation populaire qui dénonce l’accroissement des inégalités sociales et la dégradation des services publics. C’est l’augmentation du prix du ticket de métro qui a mis le feu aux poudres, mais c’est le procès du libéralisme, ou plutôt de l’ultralibéralisme, qui est instruit par les manifestants, dans un pays qui n’a pas rompu avec le modèle économique mis en place dans les années 70 et 80 par le dictateur Augusto Pinochet. L’éducation, la santé, les retraites, l’eau sont privatisées au Chili, où la question-clé est de savoir à qui profite la croissance. Les mesures annoncées par Sebastian Pinera n’ont pas suffi à apaiser les tensions.
Mais au-delà du cas particulier de ces deux dirigeants, désavoués l’un par les urnes, l’autre par la rue, pour s’être montrés incapables de répondre aux aspirations de leurs concitoyens, le phénomène de désaffection des partis de droite et du centre, qui incarnaient une forme ou une autre de libéralisme, sont rejetés dans plusieurs Etats d’Amérique latine. L’exemple le plus spectaculaire est celui du Brésil, où le Mouvement démocratique brésilien (MDB) de l’ancien président Michel Temer et le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) d’un autre ancien président, Fernando Henrique Cardoso, deux partis représentatifs des politiques libérales, sont mis sur la touche. Entre l’extrême-droite de Jair Bolsonaro, qui vient d’accéder à la présidence, et la gauche du Parti des travailleurs, longtemps dirigé par Lula, qui reste populaire dans une large partie de la population, ils ont perdu la place qu’ils occupaient naguère sur l’échiquier politique.
Le Venezuela illustre aussi la mise en échec des partis d’inspiration libérale face aux populismes qui s’accrochent par tous les moyens au pouvoir. Le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, dont le parti, Volonté populaire, couvre le spectre de la droite et du centre, n’a pas réussi à déloger le chaviste Nicolas Maduro de la présidence. Il continue de s’autoproclamer président du Venezuela mais la situation semble désormais bloquée. Autre exemple, celui de la Bolivie, où la réélection contestée du président sortant, Evo Morales, chef de file du Mouvement vers le socialisme, dès le premier tour de scrutin, malgré des soupçons de fraude, provoque des mouvements de protestation dans le pays. Le candidat libéral, Carlos Mesa, ancien président de la République, journaliste et historien, réclame en vain un second tour en affirmant que les résultats proclamés « bafouent la volonté du peuple ».
On pourrait citer d’autre cas, comme celui de l’Equateur, où le président Lenin Moreno, converti au libéralisme, est aux prises avec une crise sociale sans précédent pour avoir voulu augmenter le prix de l’essence dans le cadre d’un accord avec le Fonds monétaire international. Partout ou presque en Amérique latine les anti-libéraux se manifestent avec éclat, soit qu’ils gagnent les élections à la régulière, comme en Argentine ou au Brésil, soit qu’ils truquent plus ou moins le scrutin, comme en Bolivie, soit qu’ils confisquent la démocratie, comme au Venezuela, soit encore qu’ils affirment leur force par des manifestations massives, comme au Chili ou en Equateur. Leurs motivations diffèrent. Les uns protestent contre les dérives de l’ultralibéralisme, les autres défendent un projet qui s’apparente au populisme. La partie n’est pas propre à l’Amérique latine, elle se joue à l’échelle du monde.